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Affrontements à Dijon : radioscopie de ce à quoi sont confrontées cette police et cette gendarmerie que certains souhaiteraient désarmer
©PHILIPPE DESMAZES / AFP

SOS ordre public en danger

Le quartier sensible des Grésilles à Dijon a été le théâtre de violences depuis quatre jours, notamment avec des membres de la communauté tchétchène. A quelle violence les gendarmes et policiers français sont-ils exposés ? Ont-ils les moyens suffisants pour s'en protéger ?

Régis de Castelnau

Régis de Castelnau

Avocat depuis 1972, Régis de Castelnau a fondé son cabinet, en se spécialisant en droit social et économie sociale.

Membre fondateur du Syndicat des Avocats de France, il a développé une importante activité au plan international. Président de l’ONG « France Amérique latine », Il a également occupé le poste de Secrétaire Général Adjoint de l’Association Internationale des Juristes Démocrates, organisation ayant statut consultatif auprès de l’ONU.

Régis de Castelnau est président de l’Institut Droit et Gestion Locale organisme de réflexion, de recherche et de formation dédié aux rapports entre l’Action Publique et le Droit.

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Driss Aït Youssef

Driss Aït Youssef

Driss Aït Youssef est Docteur en droit. Président de l’Institut Léonard de Vinci. Chargé en 2009 par le Ministère de l’Intérieur de mener un groupe de travail chargé de diagnostiquer les problématiques dans les rapports entre la police et la population.

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Atlantico.fr :  Dimanche soir, à Dijon, des affrontements d'une rare violence ont éclaté entre deux bandes rivales, alors que le débat a été lancé en France afin de désarmer les forces de l'ordre. De nouveaux incidents se sont déroulés ce lundi. À quelle violence les gendarmes et policiers français sont-ils exposés ? Ont-ils les moyens suffisants pour s'en protéger ?

Driss Aït Youssef : En 2019, 117 policiers ont été gravement blessés dans le cadre de leurs fonctions. 19 d’entre eux sont morts en mission. Ces chiffres sont suffisamment graves pour témoigner de la violence auxquels sont confrontés nos forces de l’ordre en particulier les policiers. Par ailleurs, d’autres chiffres témoignent de la dureté du métier de policier. En 2019, c’est 59 policiers qui ont volontairement mis fin à leur vie. Cela témoigne de l’enfer psychologique que peuvent vivre nos policiers lorsqu’ils ne sont pas suffisamment encadrés et accompagnés. 

D’un point de vue équipement, on peut noter une réelle volonté politique de doter convenablement les forces de sécurité de matériels de protection comme le gilet pare-balle – qui a sauvé de nombreuses vies – le renforcement des véhicules de plus en plus souvent la cible de projectiles lourds et la mise à disposition de bouclier de protection. Ces dotations sont aussi bien la conséquence directe des dangers particulièrement graves auxquels sont exposées policiers et gendarmes dans leurs missions du quotidien (lutte contre le terrorisme, lutte contre la délinquance, violences urbaines, violences volontaires contre personne dépositaire de l’autorité publique).  

Ensuite, la question n’est plus simplement celle des moyens même si elle demeure importante mais la légitimité de l’action des forces de sécurité intérieure. Lorsqu’on demande à des policiers et des gendarmes de se protéger, c’est accepter implicitement que la violence s’abatte sur eux. 

D’ailleurs, ce choix est tellement assumé politiquement qu’on imagine chaque fois des moyens de protection plus en plus performants pour les unités de forces mobiles en charge des opérations de maintien de l’ordre alors même qu’elles sont déployées en manifestation pour en assurer le bon déroulement.   

Pour conclure ce point, l’augmentation de la violence dans notre pays ne laisse pas insensible les forces de l’ordre qui expriment régulièrement et légitimement leurs inquiétudes. Les désarmer équivaudrait à engager un processus de démantèlement de l’État. 

À l'heure du Black Lives Matter (mouvement de protestation pour lutter contre les discriminations policières subies par les afro-américains), de nombreuses formations politiques de gauche se sont levées pour réclamer le désarmement de la police française. Après les évènements qui se sont produits hier à Dijon, cette demande a-t-elle encore du sens ?

Régis de Castelnau : Vous avez raison de faire référence d’abord au mouvement « Black Lives Matter » consécutif à la mort de Georges Floyd, qui a d’abord été une réaction américaine à cette tragédie. Manifestations, émeutes, affrontements politiques dans la perspective de l’élection américaine de cette année. Un certain nombre de pays, d’abord de culture anglo-saxonne ont importé le mouvement mettant la question du racisme pas seulement policier, au cœur du débat. En France, pour des raisons historiques, la culture du communautarisme anglo-saxon est rejetée, les notions de citoyenneté et d’universalité sont liées à une construction particulière de la nation. Pour pouvoir faire tenir ensemble un pays aussi hétérogène que la France, il a fallu construire un concept de peuple qui n’est pas la juxtaposition de plusieurs communautés ethniques séparées. Alors, dans un premier temps certains intérêts ont voulu profiter d’une forme d’émotion planétaire pour imposer un agenda communautariste et avancer un certain nombre d’objectifs politiques. C’est très précisément ce qui s’est passé avec l’affaire Traoré. Des activistes regroupés autour de la figure de la sœur du jeune malien disparu ont voulu profiter de l’affaire Floyd pour peser sur la justice en imposant une vision racialiste des crises sociales qui traversent notre pays. Cela a fonctionné dans un premier temps, comme l’ont prouvé les succès des premières manifestations et l’attitude assez invraisemblable de l’exécutif, quand deux des principaux ministres du gouvernement ont été complètement défaillants. Ministre de la justice et de l’intérieur rivalisant de pusillanimité et nourrissant un récit racialiste qui n’était pas conforme à la réalité. La révélation du passé judiciaire de la fratrie Traoré, le semi-échec de la manifestation du 13 mai, et les propos du chef de l’État dans son intervention du 14 ont rétabli un peu de rationalité. Le problème est que pendant, ce qu’il convient de qualifier de « folle semaine », un certain nombre de politiques opportunistes ont pensé que c’était le bon moment, d’abord d’une offensive clientéliste dans la perspective des municipales du 28 juin mais également pour regagner du terrain politique en surfant sur la lutte antiraciste. Je crois qu’il était nécessaire de resituer les positions dont vous faites état dans ce contexte. Car effectivement nous avons assisté à une surenchère où les absurdités ont rivalisé avec les niaiseries.

La description des forces de l’ordre dans notre pays, sorte de milice raciste qu’il convenait de désarmer présentait le double défaut d’abord de n’être pas conforme à la réalité, et ensuite de faire l’impasse sur le réel problème des violences policières déployées à la demande du pouvoir pour réprimer les luttes sociales depuis deux ans.

Alors l’enchaînement des événements est assez savoureux. D’abord le voile posé sur l’affaire Traoré pour faire de celui-ci un martyr de la cause antiraciste s’est déchiré, démontrant qu’il n’était pas le bon vecteur de cette lutte pourtant nécessaire. Et les événements de Dijon ont brutalement ramené à la réalité de la situation française. Et frappé les propositions de désarmement de la police d’un parfait ridicule. Cette réalité est celle de l’extension à l’ensemble du territoire, y compris dans les villes moyennes et petites d’un phénomène d’immigration aboutissant à créer des zones de non-droit, abandonnées par l’État à des mafias ethniques violentes et armées. Alors j’imagine la double gueule de bois de certains. Pour les uns d’abord à cause du reflux de l’opération Traoré et pour les autres du fait de déclarations et propositions totalement détachées du réel qui leur reviennent en boomerang.

Alors vous me demandez si les événements de Dijon privaient de sens les propositions de désarmement de la police. Je répondrais que dès le départ elles n’en avaient aucun, mais que maintenant elles affichent un côté farce que ceux qui les ont proférées risque de payer pendant un moment

La question du racisme suffit-elle à expliquer un regain de la violence à l'encontre des forces de l'ordre ? 

Driss Aït Youssef : Je ne crois pas que les personnes qui s’estiment être des victimes du racisme et qui manifestent sont les mêmes qui commettent des exactions.  

Samedi 13 juin, nous avons observé deux rassemblements, un premier à l’appel du collectif Adama Traoré et un second, rassemblement de casseurs. 

Le premier rassemblement met en exergue des faits minoritaires de racisme et d’antisémitisme inacceptables. Cette cause de racisme mérite d’être entendue par le pouvoir politique dans la mesure où elle est reconnue et combattue par les policiers eux-mêmes. En revanche, elle devient inaudible lorsqu’elle est dévoyée par d’opportunistes séparatistes qui pour certains n’ont jamais vécus de discrimination. On entre alors dans une phase d’instrumentalisation des revendications pour mieux exacerber les tensions. La meilleure preuve est l’absence de propositions visant à apaiser les tensions en rapprochant la population de sa police. Le mouvement des gilets jaunes a subi le même sort avec le résultat que l’on connait.     

Par ailleurs, aucune injustice n’est audible si elle se propose d’en créer d’autres. Les slogans antisémites et anti- France entendus, samedi dernier sont désespérants.   

Par ailleurs, les forces de l’ordre sont confrontés au phénomène des minorités qui prend le pas sur la majorité. En effet, la minorité de policiers raciste ne doit pas jeter l’opprobre sur une profession majoritairement engagée au service des français peu importe leurs origines ethnique, sociale ou cultuelle. Lorsque vous composez le 17, on ne vous demande pas la couleur de votre peau avant d’envoyer un équipage pour vous secourir.   

Enfin, ce regain de violence contre les forces de l’ordre est une action politique. En s’en prenant aux forces de l’ordre, c’est l’État que l’on attaque en lui signifiant qu’il n’est pas le bienvenu dans le quartier ou qu’il n’a pas sa place en manifestation. Au fond les policiers comme les gendarmes sont les récipiendaires d’une violence qui s’apparente davantage à un mode d’expression plutôt qu’à un mode action. En d’autres termes, on agresse un policer parce qu’on ne peut pas agresser un État. 

Régis de Castelnau : Il ne serait pas sérieux de nier qu’il existe dans la police des problèmes de racisme. Mais pour différentes raisons, prétendre que ces problèmes font système n’est pas conforme à la réalité. Le problème est que le pouvoir actuel, est d’abord très perméable à l’idéologie communautariste, car il est plus facile de mater un peuple divisé en poussant les communautés les unes contre les autres. Ensuite, la tentation est grande pour des raisons budgétaires d’abandonner la gestion des quartiers difficiles répartis sur tout le territoire à une forme de lumpenprolétariat, alliance des mafias et d’intégristes religieux. Il était assez impressionnant d’entendre sur les vidéos des violences de Dijon fuser les « Allah Akbar ». Il y a donc me semble-t-il un enjeu de pouvoir, que ces mafias ont parfaitement identifié. L’objectif étant de chasser la police d’un certain nombre de territoires. Ce qui explique en grande partie les affrontements, même si les forces de l’ordre ne sont pas exemptes de comportements condamnables comme l’a montré la répression des luttes sociales. Donc la question est d’abord et avant tout politique. Est-ce que la république doit abandonner les populations des quartiers difficiles à un lumpenprolétariat mafieux ?

Quelles solutions doivent être envisagées afin de réunir ordre républicain et justice sociale au sein de notre démocratie ? Quels sont les dangers qui nous menacent en cas d'échec ?

Driss Aït Youssef : Il n’y aura, dans notre pays pas de justice sociale sans ordre républicain comme il n’y aura jamais de liberté sans sécurité. 

La justice sociale est un objectif politique quand l’ordre républicain est l’une des conditions essentielles à l’édification d’une société démocratique. Autrement dit, pour pouvoir revendiquer et obtenir des droits, il faut respecter des règles de droit. C’est ce qui a permis le passage de l’état de nature à l’état de droit. Le chacun pour soi et le désir infini ont lassé pour laisser la place à moins de liberté pour plus de sécurité. On ne peut plus se faire justice soi-même mais s’en remettre à une autorité qui garantit à tous les mêmes droits et surtout une protection. 

Nous sommes à un moment important de notre époque où la contestation - parfois de n’importe quoi - conduit au désir du « c’était mieux avant » ou « sans l’État on saura faire mieux ». Cette fable ne repose sur rien d’autre qu’une chimère. 

Les évènements récents de Dijon montrent que sans un État légitime et donc fort, le retour aux milices et donc à l’état nature n’est jamais bien loin.  

Le danger est par conséquent, le dépérissement de l’État, projet politique de ceux qui contestent sa légitimité alors qu’il en tire des profits souvent contestables. 

Il est par conséquent urgent de rebâtir avec les collectivités et les autres acteurs en particulier la sécurité privée un projet de sécurité globale pour une meilleure prise en compte des attentes des personnes morales et privées.  

Par ailleurs, la sécurité n’est pas qu’une affaire intérieure mais une ambition qui concerne d’autres secteurs comme l’institution judicaire, l’éducation, la parentalité... 

Pour conclure, notre société est fondée sur des objectifs constitutionnels qui permet à notre démocratie de vivre et d’espérer des jours heureux. C’est ce qui permet à notre démocratie de protéger nos concitoyens qui naissent libres et demeurent égaux en droit ce qui constitue un atout essentiel du vivre ensemble…à la condition d’y croire.    

Régis de Castelnau : Je pense que c’est bien de cet enjeu qu’il s’agit. Nous sommes en présence d’une grave crise aggravée par de considérables inégalités sociales que certains veulent faire passer à l’aide d’un logiciel racialiste pour des inégalités raciales. En tentant de monter les différentes communautés, et en particulier celles d’immigration récente, les unes contre les autres. C’est quand même un paradoxe de constater la convergence des indigénistes, fascinés par le modèle américain et rêvant de l’importer chez nous, et Christophe Castaner partisan d’une application à géométrie variable en application d’une vision communautarise de la société française. La question de la justice sociale est centrale, et c’est d’abord et avant tout une question de volonté politique. Guère envisagée de cette façon par l’actuel pouvoir. Le danger qui nous guette ? Que s’instaure ce dont rêve les groupuscules indigénistes et que s’accomplisse le souhait de Rockahia Diallo quand elle nous dit : « la France a beaucoup à apprendre du système diversitaire américain. Désolé mais c’est vraiment sans façon.

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