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Avant l'affaire Benalla, le vrai visage du fonctionnement de la protection rapprochée des présidents par les "gorilles de la République"
©JIM HOLLANDER / AFP

Bonnes feuilles

La polémique Alexandre Benalla a mis en lumière le rôle des hommes et des femmes chargés d'assurer la sécurité du chef de l'Etat. Gilles Furigo livre son témoignage et son expérience sur ce poste clé dans l'ouvrage "Les gorilles de la République, Une histoire du service de protection des hautes personnalités", publié chez Mareuil éditions.

Gilles Furigo

Gilles Furigo

Gilles Furigo a a fait son entrée dans la police en 1981. Il a travaillé de 1989 à1991 au service des voyages officiels, à la sécurité des hautes personnalités et était chargé de la formation. Pendant deux ans, il a ensuite été chef du groupe de sécurité du premier ministre à Matignon. Il a ensuite assuré la sécurité des personnalités étrangères. En 2016, il a été nommé chef du pôle sécurité des grands événements sportifs.
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Focus sur la sécurité des présidents

S’il est un point particulièrement complexe et sensible, variant en fonction de chaque président de la République, c’est bien celui de la protection rapprochée qui, de 1935 à 1981, fut exclusivement confiée à la police. Mais toute règle souffrant une exception, la gendarmerie va faire son apparition en même temps que la gauche entre à l’Élysée.

Le 10 mai 1981, François Mitterrand est à l’hôtel du Vieux-Morvan à Château-Chinon. Il y attend la confirmation de sa victoire. Sa famille, ses amis et ses fidèles sont peu à peu rejoints par des militants, des journalistes et des anonymes dont les flots grossissent au fur et à mesure que la rumeur du succès enfle.

À 20 heures, le nouveau chef de l’État fraîchement élu est très vite noyé dans la masse des sympathisants criant leur joie. François Mitterrand est bien entouré quand il prend la parole devant les médias, mais bien seul sur le plan de la sécurité. Les quelques policiers en civil chargés de sa protection depuis le début de la campagne électorale sont comme ballottés, emportés par une lame de fond militante, heureusement sympathique. À l’extérieur, aucun service d’ordre n'est prévu, à part quelques gendarmes locaux.

C’est dans une joyeuse pagaille que le cortège se met en route pour Paris. Après avoir été écartée du pouvoir depuis plus de vingt-trois ans, la gauche française inaugure une nouvelle manière de faire de la politique et affiche sa défiance à l’égard du tout sécuritaire. Mitterrand refuse de loger au palais de l’Élysée et décide de continuer à habiter rue de Bièvre. La préfecture de police prend des mesures et met sur pied une brigade spécialisée dans la sécurité du domicile du nouveau président, au commissariat du Ve arrondissement.

Si la France vit sur un petit nuage rose, le contexte international de l’époque est plutôt sombre. Le 30 mars 1981, Ronald Reagan, comme nous l’avons vu, est blessé par balle par John Warnock Hinckley. Un mois et demi plus tard, le 13 mai, le plus improbable des attentats se déroule à Rome où le pape Jean-Paul II est blessé par un militant turc des Loups gris, Ali Ağca, dont le bras a été armé par les services secrets soviétiques. Enfin, le 6 octobre 1981, le président égyptien Anouar el-Sadate est assassiné lors d’une revue militaire par un commando de quatre hommes dirigés par le lieutenant Khalid el-Islambouli, lié à l’organisation des Frères musulmans.

À son tour, la France va bientôt être rattrapée par le terrorisme. Le 9 août 1982, elle est frappée rue des Rosiers, dans le IVe arrondissement de Paris, au restaurant Goldenberg, où un attentat fait six morts et 22 blessés. Le pays découvre que les conflits du Moyen-Orient peuvent s’exporter en Occident.

Pourtant, à l’Élysée et dans les rangs socialistes, ce n’est pas de ce terrorisme-là dont on a peur, mais plutôt du complot intérieur, d’un putsch ourdi par un « ordre noir » aux contours mal définis. Car une rumeur court dans les coulisses du pouvoir ; des groupuscules d’extrême droite fomenteraient un coup d’État et voudraient attenter à la vie du nouveau président. La presse, un tantinet ironique, qualifiera cette menace de « syndrome Allende », du nom du président socialiste chilien qui se serait suicidé, ou aurait été suicidé, à la suite du coup d’État militaire du 11 septembre 1973.

Les policiers du service des voyages officiels qui escortaient le candidat socialiste l’ont suivi à l’Élysée. Les proches de François Mitterrand s’alarment des carences qu’ils découvrent dans le système de protection du président de la République. Avec l’aide de la DGSE, l’entourage de François Mitterrand va piéger son service de sécurité au cours d’opérations où de faux terroristes posent des bombes fictives dans des endroits théoriquement sécurisés. Des photos sont prises. Les preuves sont accablantes… François Mitterrand se laisse convaincre qu’il faut revoir sa sécurité et créer une nouvelle structure opérationnelle. Charles Hernu, un de ses fidèles, lui-même fils de gendarme, est nommé ministre de la Défense. Quelque temps auparavant, il a été très impressionné par une démonstration effectuée par le GIGN et propose le nom de son chef, Christian Prouteau, pour réorganiser la sécurité du président. Celui-ci accepte et signe le décret du 5 janvier 1983 constitutif du Groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR), une nouvelle entité forte de 105 militaires, rattachée à la présidence et non à la personne du président. Il faut remonter au régime de Vichy et au second Empire pour voir la sécurité d’un chef d’État français assuré par un corps militaire d’élite.

L’arrivée des gendarmes prend la dimension d’une affaire d’État, des coups bas sont échangés de part et d’autre, les syndicats de police entrent dans la danse, la police nationale est sonnée. La zizanie entre au château, d’autant plus que la nouvelle unité ne va pas entraîner la suppression des VO à l’Élysée. Le GSPR va se superposer au service des voyages officiels qui va conserver une section d'une soixantaine de fonctionnaires chargée de l’organisation logistique des déplacements du chef de l’État, mais aussi de la protection rapprochée de sa famille officielle – épouse, enfants légitimes, frères et beau-frère du président. Quant à la protection de Mazarine, elle sera assurée par les gendarmes. Pour simplifier le tout, les « privés », ces policiers qui avaient entouré le candidat Mitterrand, cohabitent avec les gendarmes autour du président. Une cohabitation difficile qui durera le temps des deux mandats de François Mitterrand. 

En 1995, avec l’élection de Jacques Chirac, la police nationale ne laissera pas passer sa chance. D’ailleurs, ne travaille-t-elle pas à la reconquête depuis 1983 ? Plus particulièrement le Service de protection des hautes personnalités qui s’est mis en ordre de bataille, en 1994, avec le changement de nom des VO et le retour à son cœur de métier : la protection rapprochée.

Le nouveau président n’est pas très porté sur la sécurité. Les premiers jours de son mandat, il est accompagné de ses deux fidèles gardes du corps, des policiers issus des VO qui l’accompagnent depuis son passage à Matignon. Il doit trancher sur la composition de son groupe de sécurité quand, lors d’un déplacement, avant de rejoindre son véhicule, il se tourne vers son officier de sécurité et lui dit : « Vous voyez cette poubelle ? Il y a une bombe dedans. Elle explose... Nous sommes tués tous les deux. Si nous avions été sept, il y aurait eu sept morts... »

Jacques Chirac accepte le principe d’un groupe mixte : deux forces de sécurité concourent à la protection des Français, il est donc normal que ces deux forces participent à la protection du premier d’entre eux. Synthèse politique sans doute parfaite mais d'une efficacité opérationnelle douteuse.

Un groupe mixte composé de 25 policiers et de 25 gendarmes est mis sur pied, il sera porté à 60 par la suite. À sa tête, un commissaire divisionnaire chef de groupe, secondé par un lieutenant-colonel de gendarmerie. Il s’agit d’un commandement tournant qui doit changer à mi-mandat, la gendarmerie prenant la tête du GSPR avec un policier comme adjoint.

Le SPHP et le Raid fournissent les policiers du GSPR, alors que le SPHP conserve à l’Élysée une structure de service général chargée de l'organisation logistique des déplacements du président.

Pendant douze ans, officiellement, tout se passe bien, peut-être parce qu’il n’y a pas eu d’agression caractérisée en dehors de la tentative d’attentat commise par Maxime Brunerie qui n’a d'ailleurs pas entraîné de réaction du service de sécurité. Bref, les escarmouches, s’il y en a, ne franchissent pas les murs du château.

Lors de l’accident cardiovasculaire de Jacques Chirac, sa famille a demandé qu’il soit transféré à l'hôpital du Valde-Grâce en toute discrétion. La communication doit être maîtrisée pendant quelques heures, le temps d’évaluer la gravité de la maladie avant de l’annoncer aux Français. Ce qui sera fait le lendemain à 13 heures.

Alors que les deux maisons, police et gendarmerie, n’ont pas la même culture, il faut désigner des hommes de confiance autour du président afin d’éviter toute fuite. Le colonel, alors chef du GSPR, prend la seule décision possible : gendarme lui-même, il s’entoure de gendarmes et relève les policiers de leur mission. La seule façon, selon lui, de maîtriser le secret. À sa place, j’aurais agi de la même façon, j’aurais relevé les gendarmes.

Changement de programme quand Nicolas Sarkozy est élu président de la République, en 2007. Il confie sa protection à des policiers et à eux seuls. Ce n’est pas vraiment une surprise, car depuis son passage au ministère de l’Intérieur, sa sécurité rapprochée est prise en charge par les policiers du SPHP. Il en apprécie la rigueur, le professionnalisme et la compétence. Dans la préface du livre de Mélanie Benard-Crozat (Service de protection des hautes personnalités (SPHP), par Mélanie Benard-Croz., Éditions Crepin Leblond) consacré au SPHP, Nicolas Sarkozy écrit : «[…] Face à la nouveauté de chaque situation, face à l’imprévu, face au danger, ils agissent toujours avec réactivité, en gardant toujours leur sang-froid et leur lucidité. […] Ils incarnent l’alliance rare des qualités humaines et des compétences techniques les plus variées. Qui saurait, comme eux, connaître aussi bien le protocole que le maniement des techniques de combat les plus sophistiquées, respecter les ordres fixés par leur hiérarchie et faire preuve d'initiative ? […] Au-delà de la sécurité des personnes qu'ils protègent, c'est la solidité de nos institutions, la bonne marche de l’État et la continuité de la vie politique française qui reposent sur eux. Je tiens à les remercier personnellement, ainsi qu’au nom de la France et des Français. »

Si Nicolas Sarkozy décide de confier sa sécurité à la police et à elle seule, c’est aussi parce qu’il estime qu’on ne peut confier la même mission à deux maisons concurrentes, ayant des cultures et des modes de fonctionnement différents. La sécurité d’un président ne peut être partagée. Pour des raisons d’efficacité, elle doit être confiée à une seule unité, qu’elle soit d’ailleurs de police ou de gendarmerie. C’est ainsi que le décret de 1983 est abrogé et le GSPR est intégré au sein du SPHP. La sécurité générale est également supprimée. Le GSPR, partie intégrante du SPHP, est désormais chargé de la protection rapprochée  et de l’organisation des déplacements du président de la République. 

En 2012, après son élection, François Hollande revient sur la décision de son prédécesseur et confie, dans un souci de synthèse, sa sécurité à un groupe mixte de policiers et de gendarmes. Toutefois, le GSPR conserve l’organisation des déplacements. 
Il n’y aura pas de grands changements avec l’arrivée d’Emmanuel Macron à l’Élysée, en tout cas au moment où j’écris ces lignes. Tout au plus le GSPR, toujours composé de policiers et de gendarmes, est-il renforcé, passant de 66 à 77 membres. L’organisation des déplacements du chef de l’État dans la capitale subit également quelques aménagements. Ainsi, ce sont désormais des fonctionnaires de la préfecture de police qui ouvrent en voiture les convois présidentiels. 

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