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Acte 24 des Gilets jaunes : le calme avant la tempête du 1er mai ?
©GERARD JULIEN / AFP

Répétition générale

Même si les annonces d’Emmanuel Macron et les habituelles tentatives pour déstabiliser le mouvement ont pu jouer leur rôle, le déroulé de cet Acte XXIV des « Gilets jaunes » montre bien, sinon la récupération pure et simple du mouvement par les partis et syndicats de gauche, au moins leur imbrication, qui attend de déboucher le Ier mai.

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : L’Acte XXIV de la mobilisation des « Gilets jaunes » aura été finalement peu suivi. Y a-t-il quand même quelque chose à retenir de ce qui s’est passé samedi 27 avril ?

Christophe Boutin : 23.600 manifestants en France selon le ministère de l’Intérieur, dont 2.600 à Paris, contre respectivement 27.900 et 9.000 la semaine dernière, cet Acte XXIV du mouvement des « Gilets jaunes » n’a effectivement pas fait recette. Mais, il faut bien le dire, cela n’a surpris personne, tant le mouvement - et ses nouveaux partenaires maintenant officiels, les partis et syndicats de gauche – se plaçaient depuis quinze jours dans la perspective maintenant très proche de la classique manifestation du Ier Mai

À Paris, deux cortèges étaient ainsi organisés. Le premier (2.000 personnes), allant de Montparnasse à la place d’Italie, proposait une « riposte générale » aux décisions du gouvernement et du Medef. Organisé par les fédérations et unions départementales CGT et quelques « Gilets jaunes », il était soutenu par le PCF, le NPA, et l’on y trouvait, en vrac, la journaliste Aude Lancelin, la « Gilets jaune » Priscillia Ludosky, la sénatrice EELV Esther Benbassa, Jean-Luc Mélenchon, Adrien Quatennens ou Alexis Corbière.

Parallèlement, un second cortège organisait une  « Marche sur les médias », accusés de diaboliser le mouvement. Parties de la Maison de la Radio, quelques centaines de personnes sont allées en direction du siège du CSA, passant devant TF1, LCI, CNews, Canal+, France Télévision et BFMTV. « On n'est pas des terroristes, on n'est pas des violents, on est simplement des gens en colère », déclarait le « Gilets jaune » Rodriguez, tandis que l'ancienne porte-parole de la France insoumise Raquel Garrido, dénonçait le « regard péjoratif voire insultant contre les gilets jaunes et le peuple en général » et demandait un « pluralisme à l’antenne, côté invités et côté éditorialistes ! ».

Face à tout cela, les services des forces de sécurité ont usé des éléments habituels : secteurs interdits aux manifestations (Champs-Elysées, abords de l'Elysée et de l'Assemblée nationale…) et, à 16 h, 8.920 contrôles préventifs et 11 interpellations.

Même chose dans les principales viles de province concernées par le mouvement. À Toulouse (interdiction de manifester sur la place du Capitole), ambiance tendue et tirs de lacrymogènes. Tensions aussi à Strasbourg quand les manifestants (un millier) ont semblé se diriger vers le Parlement européen, zone interdite comme le centre ville, ou quand des éléments vêtus de noir se sont manifestés, à proximité cette fois du Conseil de l’Europe. Le reste a été plus tranquille, à Lyon, où une opération escargot protestait contre le passage à 70 km/h du périphérique local, Marseille (1.000 personnes), Clermont-Ferrand, Evreux, Lille, Rennes, Rouen, autant de villes où les centres villes étaient généralement interdits aux manifestations.

Seule évolution, on a pu noter, comme la semaine dernière, un timide retour des « Gilets jaunes » sur les ronds-points de la France rurale. Même si ces ressortissants de la France périphérique ont pu être satisfaits de l’annonce de la mise en place de « maisons de proximité » administratives dans les cantons, de celle des aides aux parents isolés et, bien sûr, de celle du retour de l'indexation des petites retraites, ils n’en continuent pas moins à demander une baisse des carburants, de la TVA sur les produits de première nécessité, et l’instauration du RIC.

Une mobilisation moindre donc. Mais le déroulement de la semaine ne pouvait-il pas expliquer cela, d’une part parce que les « Gilets jaunes » s’étaient discrédités samedi dernier en agressant les policiers par des slogans d’une rare violence, et d’autre part parce que les propositions faites par Emmanuel Macron avaient pu satisfaire certains d’entre eux ?

Certes, la semaine avait eu son lot de tentative de déstabilisation d’un mouvement auquel on reprochait cette fois à certains de ses membres, comme vous le rappelez, d’avoir dit « suicidez-vous » aux forces de l’ordre, Une « ignominie » selon le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner, des slogans « pitoyables et abjects » selon son secrétaire d’État Laurent Nunez. Faut-il rappeler pourtant qu’en 1995 Libération notait que le groupe de rap « Ministère Amer » se proposait dans ses chansons « de sodomiser les femmes de flics, d'écraser en voiture leurs maris et de brûler les commissariats, bref, de ‘sacrifier du poulet’ » ? Ou, pour prendre quelques exemples parmi des dizaines d’autres, qu’en 2016 le rappeur Jo le Pheno pissait « sur la justice et sur la mère du commissaire » ? Que des marques de vêtements reproduisent les lettres ACAB, pour « All Cops Are Bastards », parfois travesties pour être plus discrètes en 1312, leur place dans l’alphabet ? Que les amis de Clément Méric défilaient aux cris de « Un flic, une balle, justice sociale » ? Que des tags appelant à la mort des policiers, ou s’en félicitant, sont régulièrement tagués dans des enceintes universitaires ? Mais l’indignation reste pourtant modérée : en 2016, un prévenu qui comparaissait ainsi pour avoir porté un tee-shirt sur lequel était marqué  « Un bon flic est un flic mort » a regretté ce « slogan potache » (sic) et a été relaxé… Même si de tels slogans sont indéfendables, ici encore, le « deux poids deux mesures » pratiqué par l’appareil d’État ne peut être que choquant, et cela aura sans doute eu peu d’effets.

La conférence de Presse d’Emmanuel Macron a par ailleurs été – dans le prolongement du Grand débat - un exercice d’escamotage de ce qui pouvait fâcher Jupiter. Rien en effet, ni dans la bouche du Président, ni dans les questions des journalistes, sur les violences policières commises lors des précédents Actes et les enquêtes qui sont en cours et visent des représentants des forces de l’ordre. Rien non plus sur le fichage des « Gilets jaunes » blessés par les hôpitaux parisiens. À peine une évocation misérabiliste de ceux qui démarrent le matin avec « la boule au ventre » et dont les seules revendications seraient sociales. Et une critique jupitérienne, dès le début de son « propos liminaire », des violences du mouvement : « l’antisémitisme, l’homophobie, les attaques contre les institutions, les journalistes parfois, les forces de l’ordre » - le Président aoutant toutefois qu’il ne confondait pas « les dérives de quelques-uns » et « les justes revendications portées à l'origine de ce mouvement et profondément soutenues ».

Et même les propositions présidentielles ont déçu – 63% des Français se sont d’ailleurs dits insatisfaits de cette intervention. Bien sûr, 86% s’entre eux se félicitent de la fin des fermetures d’écoles et d’hôpitaux jusqu’en 2022, 84% de la réindexation des petites retraites, 83% de la baisse de l'impôt sur le revenu. Mais 65% sont contre l’augmentation du temps de travail et 58% contre l’allongement de la durée de cotisation. En fait, le deal macronien présenté dès le début du « Grand débat », « produisez plus pour que je puisse répartir plus », ne convainc pas. Car les Français pensent au fond d’eux-mêmes que de l’argent, il y en a, et ne veulent simplement pas qu’il continue de partir dans des gouffres… que le Grand débat s’est bien gardé d’évoquer – et l’on retrouve le problème sociologique classique de la baisse du consentement à l’impôt lorsque la société explose en communautés. Au final, 65% des sondés pensent que ces éléments ne répondent pas à leurs attentes… et 80% que le mouvement des « Gilets jaunes » va se poursuivre. Il est donc permis de penser que l’impact des annonces aura été modéré.

Le mouvement va se poursuivre, mais sous quelle forme ? N’y avait-il pas aussi une démobilisation ce samedi parce que tous les regards se tournaient vers la manifestation prévue pour le Ier mai ?

Effectivement, le Ier mai va être important, en ce qu’il pourrait acter la récupération du mouvement des « Gilets jaunes » par des partis et des syndicats de gauche – et même de la « gauche de la gauche » - qui, d’abord, n’avaient rien vu venir de cette lame de fond, pour ensuite la dénoncer comme fascisante, tel le premier Bernard-Henri Lévy venu. Une gauche politique et syndicale que les « Gilets jaunes » du début, rappelons-le, chassaient de leurs manifestations, et avec laquelle ils se trouvent maintenant non seulement partenaires, mais  encore inféodés. Une récupération qui, on le comprend bien, est tout aussi satisfaisante pour un gouvernement qui retrouvera enfin des interlocuteurs à mettre autour d’une table de négociations, avec cette fois des demandes uniquement sociales.

Le seul problème est celui de la présence éventuelle de casseurs infiltrés – il est en effet plus facile pour ces derniers d’agir lorsque les manifestants sont nombreux que lorsqu’ils ne sont que quelques centaines. Les Blacks blocs pourraient donc s’inviter de nouveau à la fête dans quelques jours – le service d’ordre de la CGT, à même d’aplatir un temps dans des délais records tous les jeunes gauchistes violents qui traînaient trop près de ses manifestations n’étant plus ce qu’ils était. Et les repérages, comme les tests grandeur nature, effectués ces dernières semaines serviront autant les forces de l’ordre que les casseurs. Mais le gouvernement, pour donner toute leur légitimité à ces nouveaux interlocuteurs qu’il souhaite avoir en face de lui, et leur éviter de passer eux aussi pour des violents, veillera sans doute à ce que ses moyens agissent cette fois en temps et en heure et, sinon, à ce que les médias se montrent un peu moins insistants à montrer certaines scènes, à l’image de ce qui se passe quand une « émotion populaire » secoue un quartier de « reconquête républicaine »…

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