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Le Premier ministre Jean Castex sur le plateau du journal télévisé de France 2 le 11 mai 2021.
Le Premier ministre Jean Castex sur le plateau du journal télévisé de France 2 le 11 mai 2021.
©Christophe ARCHAMBAULT / AFP

Bureaucratie

S’il n’en est ni la cause, ni le premier atteint, le Premier ministre est l’incarnation parfaite de la maladie d’une bureaucratie qui gesticule face au réel à grands coups de réglementations absurdes et avec un lourd déficit de bon sens.

Pierre Bentata

Pierre Bentata

Pierre Bentata est Maître de conférences à la Faculté de Droit et Science Politique d'Aix Marseille Université. 

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Charles Reviens

Charles Reviens

Charles Reviens est ancien haut fonctionnaire, spécialiste de la comparaison internationale des politiques publiques.

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Atlantico : Alors que nous apprêtons à reprendre une vie (a)normale, le Premier ministre a dévoilé les détails du déconfinement au Parisien. Comme d'habitude les épidémiologistes ont relevé les nombreuses incohérences et absurdités sanitaires. Le plan était presque parfait, mais de nombreuses incompréhensions sont à déceler comme les jauges. Lesquelles sont à souligner ?    

Pierre Bentata : Nous avons du mal à comprendre l’idée de la jauge, mais c’est une amélioration par rapport à ce que nous avions au départ. Suite au premier et au deuxième confinement, les jauges imposaient des valeurs brutes ce qui était absurde. Aujourd’hui, nous avons des valeurs relatives, mais très éloignées de la réalité.

Les nouvelles mesures de distanciation comme celles qui vont être instaurées au restaurant ou dans les théâtres et les salles de concert ne prennent pas en compte les spécificités du bâtiment et créent de la confusion pour les dirigeants. Par exemple, faut-il respecter l’espacement entre les tables ou respecter la règles de 50% d’occupation dans un restaurant ? Tout le problème au fond est que ces réglementations proviennent d’un système centralisé qui ne s’intéresse pas aux particularités et s’avère totalement déconnecté de la réalité. Le meilleur exemple est bien évidemment la réouverture des remontées mécaniques dans les stations de ski ! Annoncer cela tambour battant révèle une approche purement technocratique des questions sanitaires et économiques.

Ce plan de déconfinement est-il la quintessence de la bureaucratie sanitaire française ?

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Charles Reviens : Le calendrier présenté par le Premier ministre, synthétisé par les décodeurs du Monde, planifie le retour progressif à la vie économique et sociale « d’avant » avec une première étape d’ouverture des terrasses, de tous les commerces et des espaces culturels le 19 mai, avant une second étape le 9 juin avec la cible de la levée du couvre-feu le 30 juin. Nous sommes en revanche partie pour conserver durablement nos masques sur nos visages.

Tout cela est la conséquence des orientations de l’exécutif dans la gestion de la crise sanitaire suite à la mise en place de multiples interdictions économiques et sociales pour contrer le virus : restrictions de la liberté d’aller et venir avec couvre-feu et interdiction pendant tout le mois d’avril des déplacements supérieurs à 10 kilomètre (forme de passeport intérieur), restriction des libertés économiques, sociales et culturelles interdisant l’activité des commerces « non essentiels », restriction de rassemblement, encadrement des comportements (port du masque, télétravail, auto-attestations en tout genre…).

Si des particularités françaises (les attestation) existent, tous les pays occidentaux sont passés par des niveaux de contraintes globalement comparables comme le suit bien l’« index de la rigueur gouvernementale » (Government Stringency Index) de la Blavatnik School of Government de l’université d’Oxford. Partout en Occident l’Etat a institué un « théâtre de l’autorité » d’interdictions multiples sans pour autant réellement parvenir à protéger les populations contre l'infection.

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Globalement et depuis le début de la pandémie, la crise sanitaire a-t-elle été trop gérée avec des armes bureaucratiques plutôt qu’avec des armes sanitaires et scientifiques ?

Pierre Bentata : On l’a très bien vu avec le problème logistique d’approvisionnement des vaccins. D’un seul coup l’État s’est senti démuni. Il n’a pas pensé à l’aspect territorial et aux spécifiés locales. Mais la même chose est apparue en amont. Le retard au niveau de l’achat des vaccins venait d’une vision hors-sol de l’appareil étatique. Nos dirigeants ont agi en croyant qu’il suffisait de payer pour avoir les vaccins, ce qui est étrange et dénote une véritable méconnaissance des processus économiques. Quand tout le monde veut les mêmes vaccins et que leur production nécessite des ressources rares disponibles uniquement dans certains laboratoires, il est clair que la production ne pourra pas suivre l’offre, qu’il va apparaître des phénomènes de congestion et donc que les premiers arrivés seront les premiers servis. Or, nos dirigeants se sont étonnés de ne pas voir les vaccins arriver et ont cru qu’il suffirait de jouer le bras de fer avec les laboratoires pour obtenir les volumes désirés. Face à l’inefficacité d’une telle approche, ils ont alors pensé à faire produire en France, cela n’a rien changer parce qu’il faut du temps pour relancer une chaîne de production.

Toute l’histoire de la gestion de la pandémie se résume à cette croyance, purement technocratique, qu’imposer ou ordonner suffit pour obtenir.

Et que dire des tentatives de décentralisation. L’exemple du plan blanc est éloquent. On a voulu redonner de l’autonomie aux acteurs locaux, mais de manière bureaucratique. Les ARS qui ne sont pas au contact de la population ont eu la charge de choisir qui allait avoir des stocks de masques et qui n’en aurait pas. Comme leur vision est bureaucratique, comptable, elles ont fini par contingenter certaines cliniques pour fournir des hôpitaux publics. Résultats, des cliniques se sont retrouvées avec des lits mais pas de masques, et d’autres établissements de santé faisaient face à un volume de patients trop important pour être traiter.

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Charles Reviens : La réponse d’un pays à une pandémie combine d’évidentes dimensions sanitaire normalement basées sur des analyses scientifiques et des mesures d’organisation de la société pour constituer une réponse nationale globale.

Pour analyser ces réponses, on peut partir de la summa divisio entre stratégies d’éradication du virus qui semblent avoir fonctionné en Asie du Sud-Océanie et stratégies d’acceptation d’un niveau élevé de contamination qui ont conduit la plupart des pays occidentaux à multiplier des boucles renforcement-assouplissement des contraintes, boucles conditionnées en France par le niveau de saturation des infrastructures hospitalières. Mais depuis fin 2020 il y a dans le monde occidental une divergence liées aux rythmes de vaccination différenciés, rythmes qui conduisent aujourd’hui les USA et la Grande-Bretagne à retourner à un vie « quasi-normale », vaccination ayant deux à trois mois d’avance sur les pays de l’Union européenne, où semblent apparaître désormais des divergences (32 % de personnes ayant reçu une première dose en Allemagne contre 26 % en France).

La France suit ainsi l’approche « vivre avec le virus » évoquée plus haut sans ayant démontré à aucun moment le fait d’être en avance de phase avec plusieurs épisodes de pénuries. Ses deux instruments principaux que sont la libéralité budgétaire et la multiplication d’interdictions et de restrictions générales de toute nature comme évoqué plus haut, sans jamais réellement mettre en place de mesures très ciblées sur des publics porteurs de risques ou fragiles.

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En quoi la crise révèle-t-elle un problème plus large de sur-administration et de sur-réglementation en France ? Malgré les différentes réformes et tentatives de simplification, pourquoi n’y arrivons-nous toujours pas ?

Pierre Bentata : Ce qu’a révélé la crise c’est l’absence de pouvoir des agents de terrain. Les hôpitaux ont complètement perdu leur indépendance. Tout comme les maires qui sont vilipendés lorsqu’ils se comportent de façon efficace. Il y a un décalage entre le terrain et la tête de l’État.

C’est une révélation pour les politiques, mais pour les citoyens ce n’est pas une surprise. Depuis longtemps, les sondages rappellent que le maire reste la personne politique en laquelle les Français ont le plus confiance.

Et qu’on ne se méprenne pas, il ne s’agit pas d’une question d’incompétence des personnes qui travaillent dans les administrations. Le problème est plus large, plus systémique. La centralisation des décisions et la verticalité du pouvoir contraignent les différents échelons administratifs à appliquer les ordres qui viennent de plus haut. Tout l’inverse d’un système efficace. Si on est loin du terrain, on ne voit pas les spécificités géographiques, les particularités démographiques, a diversité des attentes des différentes population. Inévitablement les problèmes arrivent. Car certaines décisions qui ont du sens dans une grande ville n’en ont aucune dans un village. Sans remontée d’information, sans approche locale, les décisions sont forcément inefficaces. Chacun applique bêtement des règles très larges et qui n’ont aucun effet positif sur le terrain.

Charles Reviens : La pandémie covid a trouvé une France dont l’écosystème public a plusieurs caractéristiques originales au sein des pays occidentaux ou de l’OCDE, caractéristiques qui font système :

  • un niveau de dépenses publiques exceptionnellement élevé du fait de deux postes : prestations sociale et paiement des agents publics ;
  • une fonction publique très importante dans sa globalité (Etat, collectivités territoriales, hôpital) ;
  • une production des textes juridiques de toute nature génératrice de règles tellement nombreuses qu’elles ne peuvent à terme que poser à chacun des problème cognitifs de connaissance et d’assimilation, la réponse politico-administrative standard face à un événement de toute nature passant par la rédaction d’un nouveau texte (loi, ordonnance, décret, arrêté, instruction, sans même évoquer le droit européen ou international) ;
  • la multiplication des strates administratives.

On peut s’arrêter sur l’accumulation de strates au-dessus de l’hôpital : ministre et son cabinet, administrations centrales, multiples structures spécifiques , ARS et son projet régional de santé, GHT avec ses projets médicaux partagés... Chaque strate est génératrice pour la strate du dessous de normes, contrôles, besoins de coordination et remontées d’informations.

Objectivement il n’y a pas eu de réel effort de simplification et de rationalisation, bien au contraire. La dernière grande tentative a été menée sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy 2007-2012 avec la révision générale des politiques publiques (RGPP) couplée au non-remplacement d’un fonctionnaire d’Etat sur deux… pendant que les effectifs de la fonction publique territoriale continuaient à enfler. Il faut notamment ne pas oublier que le parti socialiste a été aux affaires pendant 20 des 40 dernières années et était très réticent à faire des réformes en la matière pour des raisons idéologique et électorales assez claires.

Quelles sont les solutions pour sortir de cette inertie bureaucratique ?

Pierre Bentata : Il ne faut pas décentraliser tous les types de décision, mais le rôle d’un État est d’être un donneur d’ordre, le chef d’orchestre : il doit se borner à fixer des objectifs et laisser aux décideurs locaux le choix des moyens pour les atteindre. Il faut alors qu’il y ait davantage d’autonomie et de pragmatisme pour avoir une gestion la plus proche des attentes des populations. Décentraliser est la clé, à condition qu’il s’agisse réellement de redonner de l’autonomie au local. Il n’est pas possible que l’information aille du local vers l’État central pour qu’ensuite ce dernier définisse des règles générales qui s’appliquent partout. Ce qu’il faut, c’est faire confiance aux acteurs locaux. Et les dirigeants devraient s’apercevoir qu’ils y gagneront, car non seulement les politiques seront plus efficaces, mais l’action du gouvernement retrouvera alors son sens.

Charles Reviens : Il faudrait d’abord qu’une partie importante de la population française se mobilise sur ces sujets et ce n’est pas le cas, comme l’atteste le bon niveau d’acception des restrictions en tout genre durant la crise sanitaire. Une grande partie de la population est favorable aux interventions de l'Etat et même en redemande, et une autre partie semble à ce jour résignée ou insensible, même si le mouvement des gilets jaunes première époque portait une partie de cette enjeu par sa dimension de révolte fiscale.

Ce ne semble d’ailleurs pas pour le moment un enjeu très porteur politiquement, et on peut le déplorer. Il y a certes eu le programme de réformes fortes de François Fillon en 2017, mais depuis la seule voix qui évoque le sujet est celle du maire de Cannes David Lisnard, dont la tribune de novembre 2020 dans FigaroVox sur la folie bureaucratique française avait marqué. Son discours prend appui sur son expérience de commerçant et de maire et il propose notamment une remise en cause des agréments et contrôles administratifs a priori qui se sont multipliés en permanence.

Sur le plan de la connaissance et des modèles d’action pratique, il y a l’enjeu de la diffusion de la connaissance des pratiques administratives d’autres pays, puisqu’on a vu par exemple avec le covid qu’il y avait intérêt à analyser comment les choses étaient menées aussi bien en Asie du Sud qu’au Sénégal. Quand on est en retard, il ne faut pas hésiter à reprendre les bonnes pratiques d’autres pays dont quasiment plus aucun ne peut plus rivaliser avec la France en matière de bureaucratie.

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