A-t-on renoncé à "apaiser" les prisons autrement qu'en cédant aux caprices des détenus ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
France
A-t-on renoncé à "apaiser" les prisons autrement qu'en cédant aux caprices des détenus ?
©Reuters

Allô maman bobo

Jean-Marie Delarue, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, plaide pour l'autorisation du téléphone portable en prison. Il s'agit, selon lui, d'un "facteur considérable d'apaisement" de la détention.

Atlantico : Quels sont les dangers de la mesure proposée par le contrôleur général ?

Stéphane Quéré : C'est bien simple, et c'est un fait qui existe déjà actuellement. La présence de téléphones portables dans les cellules française pose un grave problème : ils peuvent dès lors communiquer avec l'extérieur, notamment pour continuer de gérer leurs activités criminelles, mais aussi pour préparer des évasions.

Alexandre Giuglaris : Les dangers potentiels sont multiples. Il s’agit surtout la persistance des trafics contre lesquels cette mesure est notamment censée lutter, l’échange d’informations avec l’extérieur alors que les investigations policières et surtout judiciaires peuvent être en cours, les menaces sur les victimes ou les demandes d’intimidation à l’égard des victimes ou des magistrats et le maintien d’activités délictuelle et criminelle en prison. En clair, un trafiquant de drogue, par exemple, pourrait tout à fait continuer son « business » en prison et au frais du contribuable… C’est, une nouvelle fois, une fausse bonne idée…

Autoriser les téléphones mobiles, cela ne revient-il pas à céder à un "caprice" de détenu ? Doit-on y voir l'aveu d'nu échec ?

Stéphane Quéré : Je pense que la proposition du contrôleur général part d'un bon sentiment et cherche à résoudre un problème récurrent dans les prisons françaises : l'isolement. Ce qui est le plus dur, c'est la rupture des liens familiaux ; et c'est pour ça qu'un certain nombre de mesures ont été prises. Les parloirs, le rapprochement des détenus des lieux ou vivent leurs familles... Tout ça part d'un bon sentiment, inéluctablement, qui est que le détenu ne se désocialise pas et garde un lien avec l'extérieur et sa famille.

Le problème est que si un certain nombre de détenus détiennent des téléphones mobiles pour rester en contact avec leurs proches, ces téléphones sont aussi utilisés pour des motifs illégaux. On peut présumer que la mesure est faite pour une bonne cause, elle n'en est pas moins naïve. C'est un problème de prise en compte de la réalité des choses. Étrangement, les prisons sont remplies de criminels et de délinquants.

Alexandre Giuglaris : C’est surtout tout à fait inacceptable. La loi pénitentiaire de 2009 a déjà promu beaucoup de droits en faveur des détenus. Le bilan qui a été fait de cette loi en juillet 2012 soulignait « une augmentation du nombre de permis de visite » et « un meilleur accès au téléphone ». Si la prison ne doit évidemment pas être une sorte de bagne et préparer à la réinsertion, elle est aussi, et surtout, une sanction à la suite d’un crime ou d’un délit grave et doit entraîner la privation de liberté. Notre société est en crise. Je ne pense pas qu’ouvrir ce type de débats dans cette période, soit une bonne idée. Enfin, j’aimerais que l’on consacre autant d’énergies à s’intéresser au sort des victimes. Une femme victime de viols par exemple peut s’enfermer dans le mutisme, dans l’isolement et perdre, elle, toute communication. J’aimerais que l’on s’intéresse au moins autant à leur sort.

Quelles peuvent être les autres solutions pour calmer les esprits sans céder ? On s’aperçoit, par exemple, de mutineries lors de rafles de téléphones par les gardiens...

Stéphane Quéré : Ces opérations, les fouilles régulières, déstabilisent l'ensemble de l'établissement et perturbent les trafics. On parle de téléphones portables, mais quand il y a des fouilles, on trouve aussi des cartes sim, des chargeurs, des stupéfiants voire des armes artisanales. Les fouilles au corps ayant été interdites par le gouvernement, on assiste à des gros problèmes de sécurité, tant pour les détenus (les violences qu'on trouve dans la rue se retrouvent exacerbées en prison) que pour les gardiens.

Il est extrêmement difficile de les calmer, néanmoins. On peut penser aux produits qui circulent et à une possible surmédicalisation des détenus les plus violents ou les plus malades (nombreux sont les cas à relever de la psychiatrie).

La surpopulation est un fait, mais tout le problème n'est pas là. Toutes les prisons ne sont pas en surpopulation, notamment les prisons centrales qui accueillent les détenus les plus lourdement condamnés comme les meurtriers multi-récidiviste ou les braqueurs.

Également, un certain nombre de prisons ne sont pas modernisées. La vétusté de certains établissements pénitenciers, combinée à la surpopulation peut créer des tensions. Les rapports d'argents sont aussi source de tensions : en prison, tout coûte plus cher.

Alexandre Giuglaris :Il n’y a rien à céder. Je pense que personne n’envisage sérieusement au niveau des parlementaires de voter ce type de mesures, en tout cas je l’espère. Les détenus doivent pouvoir communiquer avec leurs avocats et même leurs familles avec des téléphones fixes déjà mis par moment à leur disposition. S’il n’est pas question d’isoler totalement un détenu, je ne crois qu’il faille aller au-delà. La privation de liberté est aussi, et c’est normal, une certaine privation pendant un temps de ses proches ou de ses amis.

La mesure proposée soulève la question de la fonction de la prison : sert-elle à protéger la société en séparant cette dernière des criminels, ou à punir ceux-ci par la peine de l'isolement ? A partir de là, que penser du projet de réforme pénale porté par Christiane Taubira ?

Stéphane Quéré : Le rôle de la prison a toujours été discuté. Officiellement, elle sert à punir mais aussi à réinsérer et rééduquer. L'enfermement est clairement une punition ; limitée toutefois puisqu'un certain nombre de détenus peuvent continuer leur trafic et se retrouver ensuite dans la rue avec une position sociale au sein d'un milieu criminel relativement important. Quant à l'éducation et la réinsertion... Encore faudrait-il en avoir les moyens et axer nos efforts sur des gens qui sont capable de faire des efforts de leur côté aussi. Les bracelets électroniques ne sont pas une mauvaise idée, mais il faut avoir du monde pour surveiller les détenus. C'est bien beau d'avoir des caméras de surveillance dans la rue, s'il n'y a personne derrière les écrans pour surveiller. Les conseillers d'insertions n'ont pas le temps de surveiller, pas plus qu'ils n'ont le temps de vérifier la véracité des contrats de travail. C'est avant tout un problème de moyen et de temps.

De plus, à mon sens, mettre un bracelet électronique à un délit n'est pas efficace : il faut le mettre à une personne.  Un petit dealer de cité peut tout à fait être plus dangereux qu'un homme ayant assassiné l'amant de sa femme en cela que la chance de récidive est moindre. Il faudrait peut être adapter la peine à la personne, et à sa dangerosité, d'avantage qu'à la gravité du délit selon le code pénal.

Alexandre Giuglaris :La prison a plusieurs missions : rappeler à toute la société les conséquences de la trahison du pacte social et de la transgression des règles, la mise à l’écart des individus dangereux pour protéger la société, la réinsertion des condamnés faisant la preuve de leurs efforts et bien sûr la privation de liberté pour la personne condamnée. L’inconvénient des débats publics sur la prison, c’est que très souvent on ne parle que de la réinsertion des délinquants mais rarement de l’aspect dissuasif ou protecteur de la société.

Le projet de loi de Taubira est incohérent et dangereux. Incohérent car il ne permet de lutter contre la récidive comme cela est avancé et dangereux car il va entraîner, et c’est malheureusement son objectif, une diminution de plusieurs milliers de détenus. Or, à chaque libération massive de détenus, auparavant surtout au moment des grâces ou de politiques pénales plus laxistes, on a assisté à une hausse importante de la criminalité. Enfin, je pense que ce projet de loi manque un enjeu essentiel. Comment faire du temps de détention, un temps utile ? Rien n’est prévu dans le projet de loi pour lutter contre les addictions, développer la scolarisation ou le travail en prison. C’est une vraie erreur. On a le sentiment que l’idéologie l’emporte : la prison déplaît et dysfonctionne, alors on cherche à la supprimer la prison. C’est réellement inquiétant car cela ne répondra pas du tout à la hausse de la criminalité que l’on constate.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !