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A quoi pensent vraiment les 78% de Français qui estiment que le risque d’une crise politique majeure est important ?
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Nouvelle Jacquerie

Après le grand oral de François Hollande, les Français sont toujours aussi pessimistes. Selon un sondage Mediaprism pour Atlantico, 78% d'entre eux estiment que le risque d’une crise politique majeure est important et 60% la redoutent.

François Kalfon et Guillaume Bernard

François Kalfon et Guillaume Bernard

François Kalfon, conseiller régional d’Ile-de-France et adjoint au maire de Noisiel (77), est secrétaire national du PS en charge des études d’opinion. Il vient de publier avec Laurent Baumel un Plaidoyer pour une gauche populaire : La gauche face à ses électeurs, Editions Le Bord de l'eau (novembre 2011).

Guillaume Bernard est maître de conférences (HDR) à l’ICES (Institut Catholique d’Etudes Supérieures). Il a enseigné ou enseigne dans les établissements suivants : Institut Catholique de Paris, Sciences Po Paris, l’IPC, la FACO… Il a rédigé ou codirigé un certain nombre d’ouvrages dont : Les forces politiques françaises (PUF, 2007), Les forces syndicales françaises (PUF, 2010), le Dictionnaire de la politique et de l’administration (PUF, 2011). ou encore une Introduction à l’histoire du droit et des institutions (Studyrama, 2e éd., 2011). 

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A lire, notre sondage : 56% des Français estiment que la présidence de François Hollande est d’ores et déjà vouée à l’échec

Atlantico : Selon un sondage Atlantico-Mediaprism publié vendredi, 78% des Français estiment que le risque d’une crise politique majeure est important et 60% la redoutent. Comment analysez-vous cette inquiétude ? Est-elle révélatrice d’un pays au bord de l’explosion sociale et politique?

Guillaume Bernard : L’histoire nous enseigne que c’est la conjonction des crises partielles qui provoquent des bouleversements d’envergure. Le cas de l’empire romain, à partir du IIIe siècle de notre ère, est édifiant : crise économique (et fuite sociale vers les campagnes), crise identitaire (et instrumentalisation de la citoyenneté à des fins fiscales), crise militaire (et pression migratoire aux frontières), crise institutionnelle (et accroissement du dirigisme et de la bureaucratie).

De même, notre situation est, à l’évidence, particulièrement inquiétante, car trois insécurités, au moins, frappent de concert notre société : une insécurité physique et matérielle (délinquance et criminalité), une insécurité économique et sociale (mondialisation et intégration européenne) et une insécurité culturelle (multiculturalisme, déracinement, transformation des mœurs).

Ce qui pourrait provoquer l’explosion c’est, bien entendu, l’aggravation de ces crises mais aussi, et peut-être surtout, leur relativisation voire la négation de certaines d’entre-elles par les hommes politiques : l’insécurité des personnes et des biens ne serait qu’un « sentiment d’insécurité », l’insécurité économique et sociale et ne serait qu’un signe de fermeture et un manque de confiance dans l’avenir, l’insécurité culturelle ne serait qu’une manifestation de xénophobie et / ou de passéisme moral… 

François Kalfon : Il y a des éléments de tension de trois ordres qui expliquent ce climat trouble en France, avec des causes explicatives distinctes mais qui peuvent être cumulatives : les éléments de tension liées à la situation économique et sociale particulièrement en Europe d’une part, ceux liés à la situation politique et enfin ceux liés à la situation sociale induite par la situation économique.

La toile de fond de ce climat est à chercher du côté de la crise du système institutionnel, dont on a encore vu récemment avec deux enquêtes Cevipof à quel point elle atteignait maintenant non plus seulement la classe politique qui est entrée en défiance, mais également la classe journalistique elle-même très contestée par les Français (environ 70 %) ainsi que l’ensemble des corps constitués qui sont tous progressivement gagnés par la défiance. 

Il y a deux explications à celaD'abord, dans les démocraties modernes ouest-occidentales, la massification du niveau de connaissance contient en elle-même la finitude du modèle institutionnel : les citoyens étant plus éclairés, ils sont plus critiques. Il y a là une forme de paradoxe, car ce sont les institutions elles-mêmes qui produisent l’élévation qui engendre le scepticisme. 

Ensuite, dans la société de l’information dans laquelle nous vivons, les choses passées sous silence autrefois deviennent de véritables scandales. 

Le climat de défiance ne concerne pas que les institutions politiques, mais aussi les les autres institutions, notamment celles de la santé. Les scandales, que ce soient ceux de la pilule de 3e et 4e génération, du Médiator, ont montré la collusion des élites entre l’industrie pharmaceutique d’un côté, le mandarina médical de l’autre et les autorités administratives de santé. Et ces crises ont fini d’alimenter une forme de théorie du complot qui est maintenant devenue dominante. Sans même parler du scandale de la viande de cheval.

Le deuxième point saillant est constitué par la crise européenne, qui n’est pas seulement une crise conjoncturelle mais une véritable mutation profonde de notre modèle social. Le pacte social qui était celui sur lequel nous vivions encore, établi au lendemain de la Seconde guerre mondiale, créé par le Conseil national de la Résistance, est désormais épuisé.

On constate une fatigue des institutions bien ressentie par les citoyens. Le compromis entre production de richesse et redistribution, qui dans l’Europe occidentale était très favorable à la redistribution, est remis en cause par un libéralisme nettement moins protecteur. Le niveau des prélèvements obligatoire n'est plus accepté. Si le compromis était si généreux en faveur de la redistribution, c’est que notre système social était alors en concurrence avec le modèle soviétique. En outre, au lendemain de la Seconde guerre mondiale dans les pays européens, particulièrement en France, l’influence communiste était extrêmement forte.

Le compromis social démocrate a été placé largement en faveur de la redistribution sociale, pas seulement sous l’influence des communistes mais aussi sous celle de De Gaulle lui-même. Or, on voit bien que notre système est affecté par la vraie mondialisation libérale depuis une vingtaine d’années et la montée en puissance des pays émergents, avec un modèle d’entreprise qui tend a s'imposer - bien loin de l’entreprise paternaliste rhénane - et qui prend sa source dans le modèle anglo-saxon largement financiarisé.

Le sondage révèle également que  56% des  Français estiment que la présidence de François Hollande est d’ores et déjà vouée à l’échec. Cette défiance exprime-t-elle un sentiment plus général de défiance à l’égard de politiques jugés impuissants ?

Guillaume Bernard : Il est certain que la légitimité de François Hollande a été, dès le départ, doublement entamée. D’une part, malgré le processus des primaires, l’opinion publique a longtemps, presqu’inconsciemment, vu en lui un candidat de substitution, la doublure du candidat « naturel » empêché au dernier moment : DSK. D’autre part, l’analyse des résultats de l’élection présidentielle semble montrer que le vainqueur l’a plus emporté en raison plus d’un rejet de son concurrent que d’une adhésion profonde à sa personne ou à son programme. Il n’y a pas eu, en 2012, l’enthousiasme exprimé en 2007.

L’inquiétude des Français est moins la marque d’une déconvenue d’électeurs déçus, même si certains peuvent se considérer comme ayant été trompés, que le signe d’une défiance envers les institutions politiques et leur personnel. Au delà de la personne de l’actuel chef de l’Etat, c’est la classe politique qui, dans son ensemble, court le risque d’être délégitimée. Il est toujours délicat de faire des pronostics. Mais, du point de vue électoral, lors des prochaines consultations (municipales et européennes), il y a fort à parier qu’il y aura un effet de balancier en faveur de la droite et une probable progression du « populisme », actuellement incarné par le FN. Cela dit, une crise politique (encore plus) profonde, en marge des institutions représentatives, n’est pas à exclure. 

François Kalfon : Cette tendance a le dislocation du lien social n’est pas uniquement un phénomène français. La confrontation entre une mondialisation libre-échangiste et libérale d’un côté et le modèle ouest-européen de l’autre créée une situation de trouble, de crise, voire parfois de tensions sociales fortes dans dans l’ensemble des pays ouest-européens, peut-être à l’exception du Luxembourg, de la Scandinavie et de l’Allemagne relativement épargnés.

Mais partout ailleurs, nous retrouvons des éléments de crise économique et sociale lourds qui engendrent dans la grande majorité des pays une difficulté structurelle des exécutifs à rassurer les populations. Elles sentent ce décalage entre ce rouleau compresseur de la mondialisation libérale et les défis d’adaptation des systèmes sociaux. 

Sur la forme : entre la stratégie des petits cailloux efficaces et celle de renverser la table, Hollande a définitivement choisi son style : il préfère poser des petits cailloux efficaces aux grandes embardées chères à son prédécesseur. Tout le monde sait qu'il y a un problème d’équilibre en Europe, entre croissance et austérité. Or Hollande marque une dissonance importante avec Merkel sur le fond, et s’oppose à ce tunnel dépressif et désespérant de l’austérité considéré par certains comme un horizon ultime de la transformation européenne. C’est bien ce que nous étions en capacité et en droit d’attendre de son intervention.

Hollande a également fixé les bornes du débat du mariage pour tous qui occupe beaucoup la vie politique, en rejetant même la possibilité de recours à des mères porteuses. Cette manière de fixer des limites est tout à fait appréciable. Il a également levé des tabous français, notamment le scandale de la formation professionnelle qui était déjà, en son temps, soulevé par des rapports parlementaires. Hollande parle de la nécessaire, de l’indispensable réforme de la formation professionnelle et place les partenaires sociaux face à leurs responsabilités 

Bien sûr, tout n'a pas été dit dans l’émission de jeudi : il a voulu rassurer les forces productives et notamment les chefs d’entreprise. On pourrait souhaiter qu’à l’avenir nous insistions davantage sur les catégories populaires.

Dans le contexte de crise actuel, le risque de crise politique que la majorité des Français redoutent est-il réel ?

François Kalfon :Il y a beaucoup d’indices qualitatifs et quantitatifs d’augmentation de la tension sociale et communautaire. Il y a beaucoup de faits divers qui traduisent cela : quand un juge met en examen un ancien président de la République et se retrouve agressé par une partie de la représentation politique, et que cela entraîne ensuite des menaces de mort, il est clair que nous nous trouvons dans une dérive.

Une institution qui fait son travail se retrouve contestée, y compris par la classe politique elle-même.  On pourrait évoquer aussi une forme de dérive au sein de la vie politique quand une partie de la gauche désigne un ministre de l’Economie à la vindicte populaire, en précisant à une tribune de congrès son adresse... Il y a une forme d’accroissement de la violence entre les individus, qu’on constate dans tous les domaines, et pas seulement en politique : ces "attaques de la diligence" dans les trains de voyageurs... Beaucoup de tabous tombent. On a l'impression de perdre progressivement le respect au profit d'une violence qui se généralise.

On assiste aussi au retour d’une certaine forme de conflictualité sociale : pendant longtemps, nous nous étions préservés des fins de conflits sociaux violents, alors que dernièrement, avec Goodyear on retrouve cette conflictualité face aux forces de l’ordre. Nous l’avons également constaté à la fin de la manifestation anti-mariage pour tous. Ces débordements deviennent réguliers, et cette forme d’action protestataire violente traduit aussi le renforcement d’indices de tensions sociales auxquels nous devons tous être vigilants.

Les responsables politiques ne doivent pas se montrer irresponsables dans un climat où le désarroi et la colère ont tendance à s’exprimer. Ils doivent au contraire faire œuvre utile en rassurant et en apaisant

78% des Français estiment que le risque d’une crise politique majeure est important, 60% la redoutent. Cela signifie aussi que 18% des Français espèrent cette crise. Est-ce inquiétant ou un big-bang politique pourrait-il se révéler salutaire ?

Guillaume Bernard : Lorsqu’un mouvement s’enracine profondément dans le corps social, il paraît peu crédible de prétendre l’arrêter, surtout si l’on ne traite que les symptômes et pas les causes. Deux raisons expliquent la force inhabituelle de l’actuelle exaspération. D’une part, sociologiquement parlant, ce sont les classes moyennes qui se sentent désormais les plus « persécutées », notamment fiscalement, et qui se mettent à manifester (alors qu’elles sont le plus souvent dociles). Cela grossit énormément les rangs des mécontents issus « traditionnellement » des couches populaires. D’autre part, du point de vue institutionnel, la contestation qui gronde n’est pas canalisée par les partis politiques et les groupes d’influence (églises, syndicats, etc.). Cela en rend le contrôle plus aléatoire.

L’immense manifestation du 24 mars dernier contre le mariage homo en est une parfaite illustration. La sous-estimation de la mobilisation par le Gouvernement démontre qu’il n’a pas pris la mesure de ce double aspect des choses. D’un côté, selon un raisonnement matérialiste, il a tablé sur l’avarice supposée des « petits bourgeois » qui ne se déplaceraient pas, en famille et à leurs frais, deux fois de suite à un peu plus d’un mois d’intervalle. De l’autre, sur la base d’une interprétation légaliste de la politique, il a réduit la manifestation du 13 janvier à une « émotion cléricale » (selon l’expression de mon camarade Jean-Pierre Deschodt) et s’est persuadé qu’elle ne pouvait nullement être les prémisses d’une révolte populaire, sans véritables chefs (même si certains essayent soit de la récupérer, soit de la brider) et indépendante de tout mot d’ordre issue d’une quelconque institution sociale.

Ce n’est pas parce qu’un « big bang » n’est pas souhaité qu’il n’aura pas lieu, l’enchaînement des événements pouvant finir par échapper à ses acteurs… 

François Kalfon : La France est le pays de sans-culottes, souvenons-nous en ! La France moderne est la fille de la Révolution Française. Il a toujours existé une certaine forme de tradition de tension sociale et de violence politique, qui a très souvent été canalisée notamment par la manifestation de rue très bien connue chez nous. Contrairement à nos voisins comme l’Allemagne, l’Italie ou l’Espagne où la violence politique s'est aussi exprimée sous la forme d'un terrorisme intérieur meurtrier dans les précédentes décennies. 

Aujourd'hui se développe une certaine forme de violence tandis que  l'amplification de la contestation de rue est à redouter notamment du fait des dérives prévisibles. S’il y a des gens pour se livrer à des débordements dans les manifestations, c’est que certains souhaitent cette montée en pression de la société française. Pour ma part je n’ai aucune jubilation à cela. Mais cela existe. la France est un un pays où structurellement le mouvement anti-parlementariste et la défiance vis-à-vis des institutions a toujours existé : souvenons-nous du 6 février 34 avec les Croix de Feu, c’est une tradition politique bien connue qui rejaillit quand il y a des tensions qui s’expriment.

Propos recueillis par Alexandre Devecchio

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