6 défis majeurs pour la France largement délaissés par les partis traditionnels (et qui ne leur laissent que leurs yeux pour pleurer sur la hausse du FN)<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
6 défis majeurs pour la France largement délaissés par les partis traditionnels (et qui ne leur laissent que leurs yeux pour pleurer sur la hausse du FN)
©REUTERS/Benoit Tessier

Dans le déni

François Hollande, lorsqu'il déclare dans Le Parisien vouloir "arracher" les électeurs au Front National, se comporte comme l'ensemble de la classe politique française depuis plus de 30 ans : incapable de s'attaquer à la réalité, celle-ci se contente de mettre en garde contre la "menace FN".

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

Voir la bio »
Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

Voir la bio »

Gérald Pandelon

Avocat à la Cour d'appel de Paris et à la Cour Pénale Internationale de la Haye, Gérald Pandelon est docteur en droit pénal et docteur en sciences politiques, discipline qu'il a enseignée pendant 15 ans. Gérald Pandelon est Président de l'Association française des professionnels de la justice et du droit (AJPD). Diplômé de Sciences-Po, il est également chargé d'enseignement. Il est l'auteur de L'aveu en matière pénale ; publié aux éditions Valensin (2015), La face cachée de la justice (Editions Valensin, 2016), Que sais-je sur le métier d'avocat en France (PUF, 2017) et La France des caïds (Max Milo, 2020). 

Voir la bio »
Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

Voir la bio »
Paul-François Paoli

Paul-François Paoli

Paul-François Paoli est l'auteur de nombreux essais, dont Malaise de l'Occident : vers une révolution conservatrice ? (Pierre-Guillaume de Roux, 2014), Pour en finir avec l'idéologie antiraciste (2012) et Quand la gauche agonise (2016). En 2023, il a publié Une histoire de la Corse française (Tallandier). 

Voir la bio »

La construction européenne

Christophe Bouillaud : "L’intégration européenne fera revenir la croissance des Trente Glorieuses", voilà sans doute l’une des plus grosses erreurs de jugement de la classe politique depuis les années 1980.

La classe politique française a en effet présenté l’intégration européenne dans les années 1980 comme le remède miracle qui allait relancer la croissance en France et en Europe. Ce fut le cas à la fois pour le "Grand Marché" européen au 1er janvier 1993, et pour le lancement de l’Euro au tournant du millénaire. 

Avec l’élargissement de l’Union européenne à l’est (après 2004), le "Grand Marché" policé et ludique qui avait été promis aux Français s’est transformé en un espace continental de lutte à mort entre entreprises où les prix et les salaires sont très différents entre pays. Du coup, les salariés français ont découvert qu’ils étaient parfois dix fois mieux payés qu’un autre salarié européen pour un travail comparable. Cela a donné la polémique autour du "plombier polonais" lors de la campagne du référendum de 2005, et cette réalité ne cesse de revenir dans l’actualité à chaque fois qu’une usine française est délocalisée à l’est de l’Union européenne ou qu’un prestataire de service employant des citoyens de l’est de l’Union européenne intervient sur le territoire français. La concurrence est acceptable quand elle s’effectue à niveaux de salaires proches comme dans l’ "Europe des six" de nos grands-parents, elle devient une toute autre affaire quand les salaires n’ont plus rien à voir au sein même du même marché. Avec la crise économique ouverte en 2008 et sa gestion par des "dévaluations internes" dans les pays en difficulté (Espagne, Grèce, Portugal, etc.), les salariés français ont en plus été mis au pied du mur : soit ils acceptent une stagnation de leurs salaires, soit ils perdront à terme leur emploi.

L’Euro était de son côté censé apporter une prospérité renouvelée au continent européen. De fait, pendant ses premières années, il a surtout permis le développement d’une bulle de crédit dans les pays périphériques (en particulier au sud et l’est) entre 2000 et 2007, qui a financé l’immobilier (Espagne, Irlande, pays baltes), ou les dépenses publiques (Grèce). Cette bulle de crédit a donné une illusion de prospérité, mais elle a fini par exploser entre 2009 et 2010. Les Etats se sont alors endettés pour sauver leurs banques qui avaient participé à cette mauvaise utilisation de l’épargne des pays du centre de la zone Euro (Allemagne, Autriche, etc.). L’Euro a donc surtout permis des énormes erreurs de stratégie économique, et la gestion de la crise par les autorités européennes depuis 2010 a en plus complètement négligé l’emploi et le bien-être des citoyens. A cause de l’austérité, le chômage a explosé dans l’Europe du sud, et la France n’a pas été épargnée par cette tendance. L’Union européenne avec sa politique d’austérité "pro-cyclique", dénoncée en particulier par l’actuelle administration américaine, a vraiment eu la pire politique économique possible entre 2010 et 2013. Même si des modifications sensibles sont en cours, la plupart des Européens du sud, dont les Français, ne voient pas encore les effets positifs de la meilleure gestion de la zone Euro.

Plus généralement, les dirigeants français de droite, de gauche ou du centre continuent de s'accrocher au projet européen sans se rendre compte que les résultats économiques de tout cet effort d’intégration européenne depuis le début des années 1980 sont très moyens, pour ne pas dire plus, que nous ne sommes vraiment pas revenus aux "Trente Glorieuses". Ils ont en quelque sorte "survendus" l’Europe à leurs concitoyens. En plus, ils ne reconnaissent pas que cette intégration a profité d’abord aux grandes entreprises, et pas aux petites entreprises. Il faut ainsi souligner, comme le montre le scandale Luxleaks, que l’optimisation fiscale que permet l’intégration européenne profite surtout aux grands groupes multinationaux. Les gros se trouvent donc aidés de fait à écraser les petits. Ils ne se sont pas rendus compte non plus que ne profitent vraiment de l’intégration européenne que les pays à la population la mieux formée, en particulier les Scandinaves.

Nicolas Goetzmann : Il n’est pas naturel de "juger" ce qu’est devenu l’Europe. Malgré le contexte ambiant, nous restons plongés dans ce sentiment de plénitude, dans cette promesse cotonneuse de "l’Europe c’est le bien" qui nous masque la réalité. Parce que le bilan, c’est un PIB de la zone euro qui stagne depuis 2008, c’est-à-dire 7 années de perdues, c’est aussi 11.2% de chômage, un niveau supérieur à ce qu’il était avant l’existence même de l’euro, et une tension politique généralisée sur le continent. Il n’est pas raisonnable de tempérer le constat, comme s’il s’agissait de préserver un enfant, ce résultat économique est un échec. Non pas parce que l’échec serait le destin obligatoire pour l’Europe, mais parce que la construction européenne s’est servie de l’euro pour se grandir, alors que cette monnaie est viciée dans sa conception. L’euro, en tant qu’émanation de la "stricte stabilité des prix" (au lieu d’être une monnaie de plein emploi comme peut l’être le dollar de 2015) est la planche vermoulue de la construction européenne. L’Europe n’est pas en cause en tant que telle, mais cette idée d’unir des nations sur une monnaie méritait que l’on se préoccupe un peu plus de ce qu’est le pouvoir monétaire au sein d’une l’économie.

Mais la France et l’Allemagne ont considéré dès l’origine que l’action d’un pouvoir monétaire consistait à regarder passer les trains. Cette politique est en train de faire dérailler l’ensemble du projet lui-même. Le paradoxe, c’est que l’ennemi est à l’intérieur même du système. Parce que le plus grand moteur de l’euroscepticisme, le fait générateur, c’est cette gestion calamiteuse. Si les politiques actuels aiment vraiment l’Europe, s’ils veulent une Europe prospère, de la croissance et du plein emploi, ils devront modifier les règles du jeu en profondeur.

On a donc bâti cet ensemble sur des idées fausses, tout en espérant que la fiction prendrait le pas sur la réalité, simplement en la proclamant. ​On fait comme si le plan de départ se déroulait sans accroc, en ne remettant jamais rien en question. "Tout se passe comme prévu", alors que l’Europe se ballade avec ses 11.2% de chômage inscrit sur son front. Ce qui conduit à l’exaspération naturelle des populations. Plus symptomatique encore, l’acharnement des uns et des autres à vouloir comparer les résultats économiques des pays entre eux. Comment imaginer que le Dakota puisse revendiquer sa supériorité sur la Louisiane ? En partageant une monnaie commune, on doit oublier cette dimension nationale, ou alors il ne fallait rien faire. Mais comparer le chômage allemand et le chômage espagnol n’a aucun sens pour mesurer l’efficacité de l’euro, c’est le taux de chômage de la zone euro prise dans son ensemble qui "dit" quelque chose: parce qu’une monnaie est égale à un taux de chômage: soit 11.2%. Nous pourrons parler des manquements des uns ou des autres lorsque le taux de chômage de la zone euro sera à 5%, ce qui relève de la monnaie. Mais avant, cela relève de l’indécence.

Entre "apartheid" et SOS racisme, la victimisation de pans entiers de la population

Paul-François Paoli : Les années 80 marquent une césure historique. C’est le moment où la gauche renonce à ses objectifs, c’est-à-dire le socialisme. Consciemment ou non, les dirigeants du Parti socialiste comprennent à un moment donné que le capitalisme et le libéralisme sont partis pour rester le modèle dominant. C’est alors qu’ils changent leur fusil d’épaule : ils ne s’adressent plus à ce qu’ils appelaient autrefois les "travailleurs", mais aux nouvelles populations, en particulier la jeunesse d’origine immigrée, censée pouvoir leur fournir une nouvelle clientèle. Cela ne s’est pas forcément passé de manière consciente ou explicite, mais de fait, on constate que la naissance d’un mouvement emblématique comme SOS racisme s’est produite en 1983, année symbolique qui voit la gauche abandonner son projet de réforme économique, et commencer à prôner des réformes sociétales. C’est à partir de ces années là qu’apparaît un discours victimaire, et que la gauche, qui était autrefois militante de l’assimilation républicaine, adhère à une vision multiculturaliste, c’est-à-dire beaucoup plus anglo-saxonne, de l’intégration des nouveaux-venus.

Pour la première fois, les jeunes immigrés s’entendent dire qu’ils doivent être français, mais qu’en même temps ils doivent rester eux-mêmes. Et en même temps que l’on victimise les descendants de l’immigration, on se met à culpabiliser la France en tant que nation historique et coloniale. Ce discours s’adresse systématiquement aux descendants des habitants de nos ex-colonies. Les jeunes issus de l’immigration asiatique n’ont jamais posé de problèmes d’insertion. De fait, on n’en parle jamais

Aujourd’hui ce discours arrive à saturation. Il a créé un double ressentiment, d’une part du côté de la jeunesse concernée, "black beur", travaillée par un discours victimaire qui a atteint son point culminant il y a quelques années, lorsque la repentance à l’égard des pays africains colonisés occupait le discours de nos politiques. Ce sentiment s’est imposé, au point que Dominique de Villepin n’a même pas osé commémorer la victoire d’Austerlitz, alors que les Anglais, eux, célébraient Trafalgar.

Ce choix politique de la France a été dénoncé par un intellectuel de gauche, Hervé Algalarrondo, dans son livre "La gauche et la préférence immigrée" (2011). Le think tank Terra Nova, en particulier, a théorisé cela, au travers d’une sorte de remplacement. Non pas le "grand remplacement" dont parle Renaud Camus, mais d’une sorte de remplacement politique : cette intelligentsia de gauche a considéré qu’au fond, des couches entières de la population française étaient historiquement "has been" : les ouvriers, les agriculteurs. Dès cette période, le transfert de voix de ces catégories vers le FN s’opère. Non seulement elles sont considérées comme politiquement has been, mais aussi historiquement "has been". La gauche libérale libertaire de l’époque fait le choix d’une vision multicultiraliste, antiraciste, jeuniste et féministe. Finalement, l’homme blanc occidental est ringardisé par l’histoire.

Nous voyons aujourd’hui un système de non-dit. Tout cela n’a pas été dit de vive-voix par les responsables de gauche, mais c’est un profond changement sociologique qui s’est produit. Alain Finkielkraut a bataillé contre cette idéologie pendant des années, Eric Zemmour a connu le succès que l’on sait avec "Le suicide français. " Cette idéologie arrive à son terme, car nous voyons apparaître aujourd’hui un communautarisme de type musulman qui jette le trouble sur le scénario idyllique que l’on nous présentait, qui a atteint son point culminant en 1998 avec la France "Black Blanc Beur ". Les optimistes pouvaient penser que la France allait réussir l’adaptation du modèle républicain classique au modèle d’intégration multiculturel. La grande différence entre les deux tient dans la juxtaposition paritaire de toutes les communautés propre à la seconde. Il s’agit d’un système anglo-saxon qui ne marche plus nulle part en Europe, qui est contesté par les conservateurs en Angleterre, et même par Angela Merkel en Allemagne. Nous nous trouvons dans une impasse. Nous ne pouvons pas réinstaurer le système républicain classique, car il celui-ci n’est pas compatible avec une immigration de masse. Le mal a été fait, et le choix se fait entre ceux qui veulent revenir à assimilationnisme impraticable sur le terrain, et ceux qui à gauche se résignent à cette situation en nous racontant la fable du vivre ensemble. Cette fable consiste à essayer de passer sous silence le fait que des gens qui n’ont pas envie de vivre ensemble y sont pourtant contraints. Entre ces deux positions se trouve l’intégration douce d’Alain Juppé, à laquelle personne ne croit.

L’impasse dans laquelle nous nous trouvons crée des tensions autour de tous les sujets, comme "l’apartheid ". Manuel Valls a utilisé un terme impropre et absurde, puisque cela impliquerait une volonté d’exclusion explicite venant de l’Etat. Le géographe Christophe Guilluy a montré dans ses derniers livres que lorsque qu’un communautarisme dominant se met en place dans certains quartiers, ceux qui se sentent tout à coup minoritaires et étrangers en éprouvent un malaise. Cela relève des lois de l’anthropologie : si l’on se sent étranger dans la ville où l’on est né, on ne peut qu’être mal à l’aise. C’est ce qui se produit à Roubaix par exemple, comme l’a très bien montré Lydia Guirous dans "Allah est grand, la République aussi ". Elle raconte les pressions qu’elle a subies à l’école au moment du ramadan, car en tant que kabyle d’origine algérienne, les petits islamistes locaux considéraient qu’elle était musulmane et qu’elle devait s’y conformer. Les discours de vivre ensemble nient donc la réalité de ceux qui se sentent minoritaires dans certains endroits face à une communauté de laquelle émanent des pressions sociales. Mais dès que ces questions sont abordées, il se trouve toujours de bonnes âmes pour dire qu’il ne faut pas stigmatiser l’islam. Comme on ne peut plus dire les mots qui correspondent aux réalités, des discours passe-partout, soi-disant consensuels et fédérateurs, sont là pour calmer les esprits et essayer d’éteindre le feu qui couve.

Aujourd’hui les Français savent que lorsque l’on dit que des "jeunes" ont caillassé un voiture de police, il s’agit de certains jeunes. Et c’est tout le côté malsain de ce non-dit, qui ne fait qu’accroître l’angoisse et parfois des réactions viscérales qui peuvent s’apparenter à une forme de racisme .Quand on ne peut plus dire les choses, le refoulé revient plus violemment. Le discours officiel que l’on nous sert est une novlangue qui sert à occulter le réel. Dans ce domaine il n’y a plus que le Front National qui soit crédible, car il passe pour le parti qui a fait preuve de lucidité historique, en expliquant depuis les années 80 que cette évolution serait fatale. Du côté de l’UMP on ne sait plus quoi penser, quand par exemple un Bruno Le Maire dit qu’il ne faut pas stigmatiser les jeunes franco-algériens quand ils défilent dans la rue avec des drapeaux algériens, alors que l’on sait très bien qu’il s’agit d’un message politique, et parfois d’une franche hostilité à l’égard des populations autochtones. Il ne trouve pas mieux que de dire que l’on ne peut pas remettre en cause la double nationalité, "parce qu’on ne saurait pas quoi en faire ", comme si le fait de demander de choisir entre une nationalité dans laquelle ils ne se reconnaissent pas et une autre qu’ils revendiquent, aussi fantasmée soit-elle, était un crime.

Gestion de l'immigration

Guylain Chevrier : Une forte immigration continue de s’imposer à la France. C’est un sujet porteur des campagnes électorales de gauche comme de droite, avec les contours d’un enjeu à haut risque. Si la droite tonne sur la nécessité de contenir l’immigration, la gauche n’est pas aujourd’hui en reste, qui a quitté une idéologie laxiste dans ce domaine à justification humanitaire, en des temps où les tensions sociales pèsent. Tous prétendent se donner les moyens d’une maîtrise des flux migratoires, mais qu’en est-il en réalité ?

Les chiffres donnent l’ampleur du problème. Début 2013, 5,8 millions d'immigrés vivaient sur le territoire français, soit 8,8 % de la population habitant en France, indique l'INSEE. C'est 800.000 de plus qu'en 2004. De 2004 à 2012, ce sont 200.000 nouveaux immigrés qui sont arrivés en France par an, avec un solde migratoire annuel d’une moyenne de 90.000. En 2012, ce sont 230.000 immigrés, donc plus, qui sont entrées sur le territoire national. On retrouve ici comptabilisés des migrations qui s’étaient taries et correspondent à une Europe malade de l’Union européenne, avec des Portugais, des Espagnols, des Italiens, des polonais, qui viennent en France aujourd’hui chercher du travail. Mais aussi, trois migrants sur dix qui viennent d’Afrique, avec un chiffre qui augmente chaque année. Rappelons que la stratégie de Lisbonne, mise en place par l’UE en 2000, promettait une amélioration générale et significative de l’emploi en Europe, sous-estimant dans un tel contexte l’impact de l’immigration loin de la réalité d’aujourd’hui. Le mélange chômage-immigration tourne ainsi à la catastrophe sur tous les plans et spécialement politique, avec la montée des extrêmes qui n’ont qu’à tendre les mains pour cueillir les fruits mûrs des promesses sans lendemains, comme le fait en France le FN. Si gouverner c’est prévoir, Droite et gauche n’avaient donc rien vu ? En réalité, la situation dans laquelle intervient l’immigration est en parfaite cohérence avec une logique de la mondialisation et d’un marché ignorant les frontières, qui livre les peuples à toutes les concurrences possibles et déloyales, dont nos dirigeants ne sont rien de moins que les principaux acteurs politiques.

Concernant l’immigration venant des pays hors-Europe, éloignée des codes culturels des pays européens d’accueil, très majoritairement musulmane, elle implique une politique d’intégration visant à l’appropriation des valeurs, libertés et conception du droit propres à notre République, ce qui ne va pas de soi. La montée actuelle des revendications identitaires à caractère religieux, s’identifiant largement à un islam du voile, avec l’affirmation d’une logique communautaire tournant au communautarisme, en est le reflet cru ! La remise au centre de l’enjeu que représente la laïcité par les derniers événements tragiques liés au terrorisme, devraient mieux faire réfléchir. L’impossibilité d’une insertion économique des migrants peut facilement pousser à un repli sur le groupe d’aide communautaire de même origine, avec un risque qui est celui de l’enfermement communautaire et du rejet de l’intégration, ce qui peut constituer un terreau favorable au recrutement radical.

On notera dans ce prolongement que ce sont les populations maghrébines et subsahariennes qui accèdent le plus facilement à l’acquisition de la nationalité (68 % des effectifs annuels dont 52,1 % de Maghrébins). Il y a eu 123.000 nouveaux français en 2005 sous la présidence Chirac. En 2011, sous la présidence Sarkozy, c’étaient 143.275 et 70.000 en 2014 sous la présidence Hollande. Si ainsi la France intègre bien ses immigrés, en poussant avec volontarisme jusqu’au couronnement de l’intégration que constitue l’acquisition de la nationalité, elle doit aussi savoir en poser les exigences sans faire les compromis qu’au nom d’on ne sait quelle tolérance on accepte aujourd’hui, de façon inconsidérée, face aux affirmations identitaires. Les accommodements dits raisonnables, que ce soit à gauche ou à droite, sur le mode du clientélisme locale vont bon train, dont les pratiques ont été validées par le Conseil d’Etat comme autant de contournement à la loi de séparation des Eglises et de l’Etat. De « l’unité nationale » autour de Charlie à des compromissions de tous bords entre le religieux et le politique, il faudrait peut-être un jour sortir du double langage ! Finalement, la notion si controversée en un temps « d’identité nationale » n’a rien perdue de sa saveur à l’heure où on parle de la cohésion de la Nation, de la citoyenneté et de la République, comme des moteurs de l’intégration et de la résolution des graves discordances apparues récemment dans notre vivre-ensemble.

Les frontières de l’Europe, que le traité de Schengen est censé protégé, est un leurre qui justifie une porosité institutionnalisée des frontières nationales des Etats membres. Les entrées clandestines en Europe ont augmenté de 180 % en 2014, avec plus de 274.000 illégaux en un an, contre un peu plus de 100.000 en 2013. Ce ne sont pas les quelques 15.161 étrangers en situation irrégulière qui ont été éloignés en 2014 du territoire qui peuvent venir compenser les flux migratoires actuels. Au passage on  notera « l’efficacité » de la Directive « retour » adoptée par le parlement européen en 2008 ! Ne parlons pas du Pacte européen sur l’immigration et l’asile qui tient de la même efficacité. En 2014, l’OFPRA a pris un total de 52 004 décisions, soit une augmentation de 10,7% du nombre de décisions par rapport à 2013. Au total, le nombre de décisions d’accord d'un statut de protection (réfugié et protection subsidiaire) prises par l'OFPRA et la Cour Nationale du Droit d’Asile s’établit en 2014 à 14.564, en hausse de 27,4% par rapport au total des décisions positives de 2013.

On évalue à 400.000 le nombre de personnes qui résident irrégulièrement en France, sans doute un chiffre sous-estimé. Contrairement à ce que l’on nous fait entendre, on laisse faire le temps qui joue en faveur de ces irréguliers, au fil des alliances et des naissances, de l’accès à un emploi et à un logement, pouvant bénéficier de tout un réseau d’aides et de soutiens, pour permettre une régularisation au final selon un parcours qui acte l’illégalité comme une voie ordinaire à l’immigration. Si le motif familial continue de justifier 83 % des régulations, celles pour motif économique (obtention d'un travail) sont en hausse (+ 9,4 %). Lorsqu’il ne s’agit pas d’immigration irrégulière, l’immigration économique qui passe par la fameuse « immigration choisie » par opposition à celle vécue comme « subie », cache mal la volonté encore là de surseoir à l’interruption de l’immigration économique intervenue en 1974 à laquelle on avait préféré le regroupement familial. Introduite par la loi de juillet 2006 sous la présidence Sarkozy, l’immigration dite « sélective » a ouvert les frontières à une migration très qualifiée et à des flux saisonniers pour les métiers faiblement qualifiés. 

Ne parlons pas du phénomène des mineurs isolés étrangers (MIE) que l’on considérait être 8000 en France en 2010, qui arrivent à un rythme qui a été multiplié par dix en deux ans sur notre territoire, le dispositif Taubira (mai 2013) ayant réalisé un appel d’air sidérant. On a remplacé le principe de l’âge osseux (radiographie des os) pour déterminer la réalité ou pas de la minorité de ceux qui se présentent comme MIE, par une évaluation réalisée sur la base d’entretiens par des associations favorables aux migrants, comme France terre d’asile. On sait que les trois quarts de ces demandeurs qui se présentent comme mineurs sont majeurs, et constituent une immigration économique déguisée qui n’a rien à voir avec la protection de l’enfance. Un véritable scandale lorsque l’on sait que la prise en charge d’un mineur qu’il faut protéger, par l’Aide sociale à l’enfance, est de 150 à 280 euros par jour. Sans compter qu’ils sont pour la plupart des migrants africains pour lesquels encore, la question des conditions qui peuvent être faites à leur intégration républicaine, reste brûlante. Qui donc à droite ou à gauche dénonce sérieusement cette situation gravissime?

Sous les gouvernements de droite et de gauche, il y a en France depuis plusieurs décennies, une tendance à une augmentation continue et soutenue de l’immigration, alors que nous connaissons une situation chronique de sous-emploi et de déficits publics, que les comptes sociaux sont exsangues, qu’une grave crise de nos repères communs se fait jour avec une société qui culturellement se fracture. En regardant les choses de près, entre droite et gauche au pouvoir, on peut distinguer des différences, mais qui ne contredisent pas un mouvement d’ensemble qui correspond à des choix politiques dans leurs grandes généralités, entre Europe et mondialisation, qui convergent pour exposer à une augmentation continue de l’immigration notre société, ainsi gravement fragilisée.

La mondialisation qui profiterait à tous

Nicolas Goetzmann: La mondialisation a franchi une étape décisive au cours des 20 dernières années, et ce, en raison de la brutale émergence des BRICs, Brésil, Russie, Inde et Chine. Mais c’est principalement l’impact de la Chine qui a bouleversé la donne en devenant la manufacture du monde entier. Le processus a notamment pu être mis en évidence par une étude économique du très influent Brookings Center, menée par Michael Elsby, Bart Hobijn et Aysegul Sahin dont la conclusion est que les délocalisations ont été à l’origine d’une chute de la part des salaires au sein de la valeur ajoutée aux Etats Unis. Et ce phénomène est commun aux autres pays occidentaux.

L’idée que la mondialisation profite à tous n’est pas une réalité, elle profite aux pays qui se développent, comme la Chine, qui est parvenue à faire sortir 700 millions de personnes du seuil de l’extrême pauvreté depuis 15 ans, et elle profite aux détenteurs de capitaux dont la part de revenus dans la valeur ajoutée a progressé. Mais elle n’a pas profité aux classes moyennes des pays développés, principalement les ouvriers. Pour ces derniers, le résultat est soit une perte d’emploi pure et simple soit une stagnation du salaire. Et en raisonnant intuitivement, le résultat n’est pas une surprise. Si pour un travail non qualifié, un ouvrier américain est mis en concurrence avec un ouvrier chinois, le premier n’a aucune chance en raison de son coût. Et si cette mondialisation a pu être à l’origine de création d’emplois qualifiés dans les  pays développés, ce qui est une réalité, cela ne permet pas de compenser la perte initiale. L’ouvrier ne retrouve pas d’emploi et ce n’est pas lui qui va bénéficier de ces nouveaux emplois qualifiés. Pour qu’un tel processus soit tenable sur le moyen terme, il faudrait être capable de former toute la population à des emplois qualifiés. Ce qui est une utopie. En attendant, les moins qualifiés restent les premières victimes de la mondialisation. Il ne s’agit pas de tout remettre en cause sur ce seul constat, mais d’ajuster au mieux le processus pour permettre un réel partage de la croissance.

Inégalités

Nicolas Goetzmann: Les politiques sont très actifs en France sur le traitement des inégalités. Mais l’approche générale me semble passer à côté de l’essentiel. Car la fiscalité est présentée comme étant le seul outil capable de redresser une situation inégalitaire. A gagne plus B, on taxe A, pour donner à B. Le problème est que ce processus est déjà allé très loin, et la fiscalité française est devenue plus punitive qu’autre chose. Ce qui est frappant, c’est que par ce système, on ne fait que constater la situation initiale : A gagne plus B, et on la modifie à postériori. Mais on ne se préoccupe pas du pourquoi A gagne plus B. La cause. Et surtout pourquoi l’écart ne cesse de grandir. Cela signifie que l’on va traiter la conséquence par la fiscalité, mais en oubliant la cause. Et quelle est cette cause ? Lorsque les pays occidentaux ont basculé dans les années 80, ils ont choisi, ensemble, de mener des politiques de lutte exclusive contre l’inflation. Et la lutte contre l’inflation est un synonyme de protection du capital. En période de crise, la capital est protégé, et la variable d’ajustement est le travail c’est-à-dire le chômage. Et au bout de 30 ans, cette stratégie ne pouvait que provoquer des inégalités. Lorsqu’une politique monétaire se contente de lutter exclusivement contre l’inflation, elle fait un choix. Et ce choix, c’est le renoncement au plein emploi.

Ainsi, pour lutter efficacement contre les inégalités, il faut d’abord s’attaquer à la politique monétaire. Ensuite, et seulement dans un second temps, il est possible de prendre en compte la fiscalité. Les Etats Unis ont une forte croissance avec des inégalités, ce qui découle d’une politique plus favorable à l’emploi mais avec une fiscalité douce avec les plus riches. En France, il n’y a pas de croissance et des inégalités plus faibles. Ce qui découle d’une croissance zéro et d’une forte fiscalité. Comme toujours, l’idéal se situe un peu entre les deux, le choix du plein emploi et d’une fiscalité adaptée. Plus forte qu’aux Etats Unis, et plus faible qu’en France.

Politique pénale : quand les débats idéologiques masquent la réalité

Gérald Pandelon : Par essence, c'est même ce que l'on appelle vaguement aujourd'hui son "logiciel" et que le philosophe Heidegger aurait nommé l'ontologie, la gauche française, davantage que la droite qui la refuse volontairement par stratégie politique,éprouve des difficultés dans l’appréhension du réel

En premier lieu, le réel, surtout s'il ne vient pas corroborer la version officielle ou la ligne du parti, est systématiquement révoqué en doute, ce qui constitue, à l'exception notable de M. Manuel VALLS, un a priori mental, et ce, même si ledit réflexe idéologique conduit le gouvernement à une crise importante de légitimité. Il en va ainsi de la perception du phénomène frontiste. Plutôt que de dire tout simplement la vérité, à savoir qu'il y a un lien évident entre la montée de l'insécurité et celle d'une immigration extra-communautaire qui n'est plus contrôlée, il apparaît préférable d'indiquer que les électeurs de Marine Le Pen seraient des "brebis égarées" ou des personnes sans doute exclusivement exclues socialement, même si la vérité est bien évidemment ailleurs. 

Pour les thuriféraires de cette posture mentale, lorsque le réel (l’observation objective des faits) contredit l'idéologie (leur interprétation du monde) alors le réel a soudainement tort. En effet, non seulement le FN compte autant d'élites surdiplômés non seulement parmi ses rangs mais également parmi celles et ceux qui, encore aujourd'hui, votent secrètement pour ce mouvement ; mais, au surplus, l'électorat frontiste n'est pas davantage en rupture sociale que d'autres électorats ; il constitue majoritairement aujourd'hui une classe moyenne, au même titre que les électeurs du parti socialiste ou de l'UMP. 

A ce titre, la disqualification systématique des cadres frontistes demeure la dernière arme pour  les partis institutionnels pour tenter d'arrimer à leurs programmes des électeurs qui pourtant sont définitivement las des promesses non tenues. Cette disqualification aveugle n'est d'ailleurs que la marque de la faiblesse grandissante de ces deux partis qui, tantôt par réflexe idéologique, tantôt par stratégie volontaire, brandissent le spectre du FN par crainte tout simplement de perdre uniquement leur fonds de commerce puisqu'ils ne pensent plus mais ne font que panser les plaies de leurs mouvements en décomposition. 

C'est ce que ressentent une part croissante de français qui s'aperçoivent massivement (certains l'avouent d'autres non) que la plupart des sujets importants (chômage, insécurité, terrorisme, immigration, fiscalité écrasante, question de l'indépendance de la France dans l'Union Européenne, etc), les partis institutionnels n'ont cessé et ne cessent de leur mentir. Ce sont, disent-ils, les mêmes qui nous expliquent qu'il faut lutter contre "Daech" (et non l'Etat islamique...) qui, par exemple, financent le parti islamique turc dans le cadre de l'aide de pré-adhésion à cet Etat octroyé par l'Union Européenne ; ce sont les mêmes qui considèrent que les impôts et charges sont écrasants et même confiscatoires qui, en réalité, ne font rien pour les baisser ; ce sont les mêmes qui nous expliquent "être à l'écoute du peuple" qui, dans les faits, in fine, le méprise, etc. 

C'est ce décalage abyssal entre les mots et les actes qui a créé et fait prospérer le Front national. 

En second lieu, et surtout pour le parti socialiste, il s’agit constamment de sacrifier la vérité à la théorie, fût-elle fumeuse, plutôt que d’accepter, même au prix d’un toilettage idéologique, et un peu d’honnêteté intellectuelle, qu'ils seraient dans l’erreur d’analyse et qu'ils auraient très largement sous-estimés les difficultés auxquelles notre pays est confronté. Il faut travestir la vérité car on ne peut pas reconnaître son impuissance structurelle à agir. Prenons l'exemple du sempiternel mensonge pénal que constituent les discours concernant la délinquance. Sur ce sujet, l’analyse se heurte à une forme de discours-écran, qui s'inscrit à l’interface entre la réalité observée et les conclusions toujours édulcorées qui en sont tirées au nom d’un impératif idéologique. Il en va ainsi de l’idéologie fallacieuse du sentiment d’insécurité. En effet, plutôt que de reconnaître que la réalité en Île-de-France et en PACA est celle d’une ultraviolence que l’on ne peut plus maîtriser, et dont les auteurs sont majoritairement issus d'une immigration extra-européenne (ce que reconnaissent curieusement en secret d'ailleurs tous les partis), par conséquent que la situation s'aggrave dramatiquement (encore deux assassinats dans les bouches-du-Rhône en quelques jours), il est désormais urgent et de bon ton prioritairement de manipuler les chiffres, donc les esprits, pour expliquer que, peu ou prou, la violence baisse, que les chiffres sont moins désastreux qu’il y a quelques années ; bref, in fine, que tout va bien. Or, la réalité vécue par une part croissante de la population c'est précisément le contraire : ça ne va pas ou mieux ça ne va plus.

Sourds aux cris de désespoir de son électorat, il convient toujours de pacifier l’ordre social et politique par le prononcé de sempiternels discours lénifiants qui, pourtant, se heurtent à la réalité vécue au quotidien par une population croissante, en région PACA ou en Île-de-France.  

Autrement dit, à rebours de ce que nous expliquent les sociologues et psychologues médiatisés, l’insécurité n’est pas un sentiment mais une réalité ; une réalité bien souvent cruelle ; celle vécue par des bijoutiers l'année dernière à Nice, celle subie par la moitié de la population marseillaise prise en otage par une multiplication d’actes d’incivilités qui leur pollue l’existence. C'est davantage le tabou sur des sujets sensibles qui a suscité et suscite un intérêt croissant pour les idées véhiculées par le front national qu'un quelconque penchant pour le racisme d'un électorat qui, très majoritairement, n'a rien de raciste mais qui érige tout simplement la réalité vécue et visible en réaction non pas condamnable mais parfaitement compréhensive et légitime. D'ailleurs, il n'y a, d'une certaine manière, plus que le FN qui fasse encore de la politique puisque seul son discours repose sur une idéologie alors les autres partis, ayant abandonné le combat des idées, n'usent que d'arrangements institutionnels (utilisation, par exemple, récente de l'article 49-3 de la Constitution, dans le cadre du projet de loi Macron, pour une majorité fragilisée).

Enfin, peut-on considérer sérieusement que le chiffre 33 % d'intentions de vote en faveur du parti de Marine Le Pen serait essentiellement le fait de personnes dépourvus d'humanité et d’empathie pour l'Autre ? A l'évidence, non.

La vérité c'est qu'il s'agit principalement d'excellents citoyens écœurés par le mensonge structurel et la lâcheté de nos gouvernants institutionnels. 

Ce qui fait défaut, de façon dramatique, à mon sens, c'est une réelle légitimation du pouvoir majoritaire.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !