2022 : le casse-tête à 4 inconnues de Xavier Bertrand<!-- --> | Atlantico.fr
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Les sondages montrent que Xavier Bertrand remporterait beaucoup plus largement un second tour face à Marine Le Pen qu’Emmanuel Macron. Comment survivre au premier tour face à 4 obstacles majeurs qui se dressent sur sa route ?
Les sondages montrent que Xavier Bertrand remporterait beaucoup plus largement un second tour face à Marine Le Pen qu’Emmanuel Macron. Comment survivre au premier tour face à 4 obstacles majeurs qui se dressent sur sa route ?
©PHILIPPE HUGUEN / AFP

Mangez à nouveau des pommes

Les sondages montrent que le président de la région Hauts-de-France remporterait beaucoup plus largement un second tour face à Marine Le Pen qu’Emmanuel Macron. Mais comment survivre au premier tour quand 4 obstacles majeurs se dressent sur sa route ?

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : Le territoire naturel de Xavier Bertrand est celui de la droite. Mais sa stratégie le mène à faire campagne au centre droit voire au centre gauche. Le problème, c’est que cette stratégie est très difficile à mener pour un premier tour, aussi longtemps qu'Emmanuel Macron figure dans le paysage politique. Quelle stratégie peut-il mener ? Peut-il refaire une campagne à la Chirac 1995 ?

Christophe Boutin : Effectivement, Xavier Bertrand a vocation à être soutenu par l'électorat des Républicains, et donc à établir un programme qui lui convienne, mais, rappelons-le, LR est toujours divisé en deux courants principaux, avec une composante que l'on peut encore peut-être qualifier « de droite » en ce qu’elle se dit héritière du gaullisme, mais avec aussi une composante relevant clairement du « centre droit ».

Dans son parcours, Xavier Bertrand est en partie au moins typique de l'évolution de cette famille politique qui, dans la lignée de Jacques Chirac, a écarté bien des éléments qui faisaient l’ossature du gaullisme. Un certain nombre d’élus LR use ainsi souvent pour définir leur choix du terme de « gaullisme social », une formule ambiguë puisque le gaullisme a toujours eu un aspect social - foncièrement national, il supposait une redistribution, bien loin du libéralisme mondialisé prôné par les centristes, avec comme pomme de discorde symbolique avec ces derniers la construction européenne. L’ajout du terme « social » est donc inutile, et la formule sert souvent de cache-sexe à un « gaullisme sociétal », « gaullisme » pour se couvrir de l’ombre tutélaire qui continue de planer au-dessus de la Cinquième république, « sociétal » parce que cédant dans les faits devant les pressions d’une gauche qui contrôle largement le pouvoir médiatique – un « pouvoir intellectuel » sans intellectuels. Passé du « non » à Maastricht de sa jeunesse au « oui » au traité dit Constitution européenne quelques années plus tard, s’étant fait une spécialité du « social » dans ses fonctions ministérielles, homme de réseaux arc-bouté dans la défense des « valeurs républicaines » et du « barrage à l’extrême droite », Xavier Bertrand pourrait en effet avoir une stratégie de campagne « au centre droit voire au centre gauche » comme vous le dites.

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Reste que l’élu des Hauts de France a bien compris qu’il allait falloir jouer une partition différente pour s’affirmer entre le RN et LREM – ou plutôt entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron. S’il a toujours clamé haut et fort ses dissemblances avec la première, il est en effet beaucoup trop près de ce dernier sur un certain nombre de lignes – au point, rappelons-le, qu’il aurait été pressenti pour être Premier ministre en 2017 et aurait décliné. Conséquence de cela, depuis quelque temps déjà, et notamment depuis le dernier trimestre, entre le combat devenu proche des élections régionales et celui futur de cette élection présidentielle à laquelle il admet penser, un nouveau discours est mis en place qui permet, selon le point de vue adopté, de « faire du Le Pen pour gagner des voix, offrant ainsi une tribune aux idées nauséabondes », ou « d’éviter de laisser au RN le monopole des questions qui intéressent les Français ». Soit pour Xavier Bertrand, sans grande surprise il faut bien le dire – il suffit de prendre le dernier sondage pour être renseigné sur les priorités des Français -  les questions de l’Insécurité, de l’Islamisme et de l’Immigration.

D’abord donc tacler Emmanuel Macron sur l’insécurité – lui faisant porter le chapeau du laxisme en lieu et place de son ami Gérald Darmanin. Dans une France dans laquelle, jour après jour, des « couteaux fous » s’invitent dans l’actualité des moindres agglomérations, et où l’on se fait massacrer pour un regard, un mot ou une cigarette, Xavier Bertrand se pose en défenseur de l’ordre et des forces de l’ordre. Reste que, ayant des difficultés à poser la question d’une éventuelle spécificité des principaux fauteurs de trouble – son logiciel s’y refuse et les médias aussi – il ne peut que demander d’ajouter des lois répressives pour tous et une surveillance globale de l’ensemble de la population. « Depuis des années – déclarait-il en décembre -, il y a un mouvement en faveur de toujours plus de libertés individuelles, qui ne tient pas compte du besoin accru de sécurité collective ». L’électorat LR âgé appréciera, mais la jeunesse, y compris de droite, qui voit se profiler un avenir ressemblant de plus en plus à un épisode de Black Mirror – en pire – sera peut-être moins convaincue.

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Lutter ensuite contre « le séparatisme ». On ne sera pas surpris, au regard de ses appartenances philosophiques, de voir Xavier Bertrand défendre ici l’enseignement de la laïcité comme une panacée, même si les derniers sondages sur les lycéens permettent d’avoir quelques doutes sur son efficacité  – les djihadistes français n’avaient-ils pas tous suivi l’enseignement laïque et républicain ? Comment contrôler alors la réalité de l’acceptation ? En veillant à ce que l’intéressé « s’engage solennellement à respecter nos valeurs républicaines et nos lois, lors d’un entretien pratiqué par une personne de sexe opposé »… Un doute persiste.

Contrôler enfin l’immigration. Et pas n’importe comment : entre la question des présides espagnoles réglée, le blocus maritime de la Lybie instauré, la Turquie remise à sa place, les aides aux pays qui refusent de reprendre leurs ressortissants supprimées, on s’attend presque à entendre Xavier Bertrand annoncer qu’il faut « calmer tout ce petit monde [et] sécuriser le Proche-Orient ». En politique intérieure, ce seront cette fois des quotas d’immigration votés annuellement par le Parlement et un droit d’asile plus strictement accordé… On est loin du programme de centre-gauche que vous évoquiez.

Il pourrait certes y avoir une opposition à la mise en œuvre de telles mesures, qu’elle soit politique mais aussi médiatique. Xavier Bertrand - comme Marine Le Pen - pose donc la question de la légitimité ou de la légitimation de ces choix et n’hésite pas à évoquer alors « un référendum portant sur la laïcité, la protection des Français et l’immigration » - trois référendums en fait, car portant sur trois questions différentes. Il ferait ainsi droit à une des principales revendications populiste en la matière.

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Bref, nous serions ici plus dans l’affirmation d’une « droite décomplexée », comme aiment à le dire certains, que dans une « dérive centriste ». Mais Xavier Bertrand est trop homme de terrain – et travaille depuis des années dans une région où les problèmes qu’il évoque sont très clairement perceptibles - pour ne pas comprendre qu’il n’a pas le choix s’il veut éviter d’ouvrir un boulevard au RN.

Sur l’économie, Bertrand s’est plutôt aliéné les milieux économiques (on l'a vu sur les barricades de Bridgestone) même s’il a su parler aux petits entrepreneurs. Alors que l’accumulation de sondages donnant Macron perdant face à Le Pen pourrait pousser les grands patrons à trouver et soutenir un candidat qui les mettent moins en danger face au programme économique du Rassemblement national, Xavier Bertrand peut-il les convaincre ?

Effectivement, Xavier Bertrand est monté au créneau, notamment en 2021 face à la direction de Bridgestone (groupe maintenant japonais) qui a annoncé la fermeture définitive de l’usine de Béthune (863 salariés). À très juste titre il s’est officiellement indigné de voir un groupe étranger se gorger de subventions publiques - le CICE – avant de mettre la clé sous la porte. Est-il pour autant, ce faisant, en train de s'aliéner les milieux économiques ? À gauche comme à droite, des voix nombreuses s'élèvent pour lutter contre les délocalisations et la désindustrialisation : c'est le cas par exemple d'Arnaud Montebourg ou d’Olivier Marleix, dont les critiques trouvent de larges échos.

Ceux qui représentent les industries mondialisées ont depuis longtemps fait le choix d’Emmanuel Macron, dont ils ont financièrement soutenu la campagne en 2017, et Xavier Bertrand n'arrivera jamais à leur garantir autant d'avantages que les actuels démantèlements engagés sous couvert de réglementations européennes, et qui servent les intérêts, soit de pays étrangers (dont notre voisin d’outre-Rhin), soit de cette économie financiarisée qui n’a aucun lien territorial.

En demandant une meilleure intervention de l'État pour reconstruire un outil industriel sur le territoire français, en évoquant la problématique clef de la souveraineté industrielle indispensable autour de quelques industries essentielles pour la survie de la nation - du secteur de la défense à celui de la santé -, en affirmant sa volonté de favoriser le « made in France », Xavier Bertrand propose une nouvelle donne qui aura certainement contre elle les fonds de pension et les tenants de la mondialisation, mais qui lui vaudra le soutien de tous ceux qui estiment que l'argent du contribuable n'a pas vocation à aller dans la poche des actionnaires de ces derniers. Et, au-delà de l’opinion publique, le « sérieux économique » n’étant en rien lié de manière aussi obligatoire qu’évidente à l’acceptation des démantèlements en cours, nombre de patrons seraient sans doute convaincus par de tels choix.

Bertrand fait aussi face à des inimitiés personnelles. Peut-il surmonter l'obstacle Sarkozy ?

Xavier Bertrand a su de manière intelligente oublier un temps son ego pour promouvoir l'efficacité, actant la fin de l'homme providentiel : pour lui les Français ne demandent plus un sauveur, mais un gouvernement d'union nationale, ce qui est loin d'être la même chose. Il s’agit en fait de faire du Macron sans Macron, en dépassant comme ce dernier les clivages devenus obsolètes des partis politiques, mais sans créer cette fois un mouvement nouveau, et sans même vouloir incarner seul le changement – donnant ainsi bien moins de poids à ces « inimitiés personnelles » que vous évoquez.

 L’idée est donc de rassembler derrière soi une équipe qui prouve que l’on fait l’unité nationale, et les noms de cette dream team tournent dans les hommages que ne cesse de rendre Xavier Bertrand au fil de ses déclarations : en sus d’Arnaud Montebourg, déjà évoqué, voici Jean-Louis Borloo et Guillaume Peltier, Jean-Pierre Chevènement et le général Pierre de Villiers, Bernard Cazeneuve et Manuel Valls, et tous les ponts ne sont pas coupés avec par exemple Bruno Retailleau. C’est la théorie « l’arc républicain » face « aux extrêmes », le RN bien sûr, mais aussi cette gauche qui vient de se fédérer contre lui dans la campagne des régionales.

Le risque est ici qu’apparaisse une contradiction par trop manifeste entre le discours que l’on évoquait plus haut, qui entend évoquer des problèmes qui fâchent et tenter de les résoudre, et la composition de l’équipe qui serait censée apporter des réponses à ces interrogations en cas de victoire à l’élection présidentielle.

Aux régionales, il fera face à une gauche unie face à lui et une LREM déterminée à le faire chuter. De son côté, Macron peut être tenté de jouer un ticket avec une personnalité de droite, cette fois-ci non pas dans des débauchages personnels comme en 2017 avec Edouard Philippe mais dans une véritable alliance politique. Pourquoi pas d’ailleurs bénie par Nicolas Sarkozy ?

LREM est-elle décidée de faire chuter Xavier Bertrand ? Rien n’est moins certain. Rappelons que le mode de scrutin offrira une prime en sièges, et avec elle le pouvoir, à la liste arrivée en tête à l’issue du second tour (il semble peu probable de voir une liste l’emporter au premier), et que dans ces conditions, au vu des scores annoncés (Bertrand à 33%, le RN à 29%, la gauche unie à 26% et LREM à 9%), il convient d’être prudent. Une alliance LREM/gauche est peu probable et, de toute manière, l’électorat LREM se partagera alors entre la liste LR et la liste de Gauche.

Ce partage se ferait d’autant plus facilement que Xavier Bertrand entend bien manifester déjà aux régionales cet esprit d’ouverture et de dépassement des partis qu’il prône pour la présidentielle : « Je suis un homme de droite - de droite sociale, pas sectaire - et je l’assume » déclarait-il, ajoutant que sa « liste de très large rassemblement » ne devra rien aux « états-majors parisiens ». Un Xavier Bertrand qui rappelle volontiers que depuis son entrée en politique sa priorité est de « tout faire pour empêcher le FN de l’emporter, de gagner dans ma région et de gagner dans notre pays ». Bref, des régionales qui seraient le banc d’essai d’un présidentialisable.

Mais serait-ce un présidentiable menaçant au point de faire partie du duo du second tour en écartant l’hôte de l’Élysée ? Laisser Bertrand monter en puissance aux régionales serait-ce fragiliser Macron en 2022 ? Rien n’est moins certain, trop de paramètres entrant ici en jeu pour évaluer clairement cet impact éventuel – et, de toute manière, il faudra encore à Bertrand surmonter entre temps l’animosité des autres candidats potentiels de sa famille politique. Quant à l’alliance que vous évoquez, alliance d’appareil et non de personnalités, elle n’est plus à l’ordre du jour depuis qu’Emmanuel Macron a démontré en 2017 que l’on pouvait se passer d’un parti pour conquérir le pouvoir. Plus qu’à des d’alliances entre structures politiques, on assise depuis à des alliances d’individus, et à part le célèbre dicton selon lequel « l’histoire ne repasse pas les plats » rien n’interdit d’imaginer une union nationale autour d’Emmanuel Macron après les élections de 2022 à laquelle participerait Xavier Bertrand. Certes, il serait sans doute plus difficile pour celui qui aurait peut-être été le rival LR du président reconduit d’y participer, mais les circonstances peuvent toujours imposer « la nécessité d’un électrochoc » pour « sauver les valeurs républicaines ». 

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