2021, l'année de la libération de la parole ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Eric Zemmour lors d'une conférence à l'occasion du lancement de son nouveau livre "La France n'a pas dit son dernier mot" à Toulon, le 17 septembre 2021.
Eric Zemmour lors d'une conférence à l'occasion du lancement de son nouveau livre "La France n'a pas dit son dernier mot" à Toulon, le 17 septembre 2021.
©NICOLAS TUCAT / AFP

Bilan 2021

L'année 2021 a été marquée par la libération de la parole dans les médias, sur les réseaux sociaux et chez certains intellectuels. Les tenants de la doxa vont-ils mener une contre-offensive ?

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Bien des évènements ont marqué l’année 2021, comme par exemple l’évolution de la réponse gouvernementale à la crise sanitaire et l’enfermement progressif des Français dans un nouveau monde fait de contraintes et d’atteintes aux libertés, toutes présentées comme les indispensables conditions d’un retour à « la vie d’avant » dont certains commencent à douter, tant il semble à craindre que plus rien, justement, ne soit « comme avant ».

Mais c’est un autre élément que nous voudrions retenir en nous tournant vers l’année écoulée, cette libération de la parole qui n’est certes pas complète, tant elle est encore sous surveillance judiciaire, mais qui s’est au moins un peu affranchie du contrôle imposé par un monde intellectuel univoque. Le contrôle de ces « grande plumes » des médias, dont les éditoriaux donnent le « la » du bon ton idéologique pour certains depuis trente ou quarante ans, de ces universitaires de renom qui semblent tout droit sortis des romans de David Lodge et dont chaque ouvrage fait se pâmer les premiers, mais aussi et surtout de l’immense masse de leurs affidés, qui va de ces tacherons sans âme recopiant les dépêches de l’AFP à ceux qui transformant leurs cours en tribunes, de l’université à la maternelle - puisque c’est maintenant dès l’âge le plus tendre qu’il s’agit d’éduquer à la lutte contre les inégalités. Bref, le contrôle social de ces « intellectuels organiques » gramsciens qui, jusqu’il y a peu, régnaient sans partage.

Nul n’osait remettre en cause leurs diktats car cette caste fait régner depuis des décennies ce qu’il n’est pas excessif d’appeler un régime de terreur. Il passe, d’abord, par l’interdiction d’accéder aux sources : chiffres impossibles à trouver – et ce même pour des parlementaires chargés d’un rapport -, statistiques interdites, critères de lecture imposés et d’une rare mauvaise foi. Il passe, ensuite, par l’interdiction de parole des déviants : c’est l’éditeur qui refuse un manuscrit, la chaîne de télévision ou la radio qui écartent un chroniqueur, c’est la chape du silence qui recouvre les textes dérangeants qui sont malgré tout publiés. À cela s’ajoute bien sûr la volonté de punir sans pitié les coupables d’atteinte à la doxa ainsi imposée : dénonciation publique d’alliances infâmantes par les chiens de garde de service, attaques ad hominem répétées, pressions destinées à pousser dehors « volontairement » ou exclusions haineuses, toutes présentées comme des obligations morales, sont autant d’éléments conduisant, de la salle de rédaction à la salle des profs en passant par l’Université, à la mort sociale - bien heureux étant ceux qui s’en tirent avec un statut de paria les conduisant seulement à devoir renoncer à toute promotion.

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Les hommes politiques ne sont pas mieux lotis que les autres, car de leur soumission dépend souvent leur survie. Certains, promoteurs d’une politique économique plus rigoureuse, sont dits « de droite », d’autres, plus volontiers généreux avec l’argent des contribuables « de gauche », mais aucun d’entre eux ou presque dans les trop fameux « partis de gouvernement » n’aurait osé s’opposer aux nécessaires avancées sociétales qui, l’une après l’autre, déconstruisent les cercles d’appartenance des individus – famille, nation, langue, culture et jusqu’au sexe – et bâtissent un monde nouveau qui semble pourtant aberrant aux yeux de la majorité de nos concitoyens.

Depuis des années pourtant, des fenêtres se sont ouvertes et un courant d’air frais chasse l’air malsain de cette idéologie rance. Voici que des intellectuels bravent la doxa et osent dire ou écrire ce qu’ils voient : venus de la gauche, Christophe Guilluy, en décrivant les réalités de la « France périphérique », ou Laurent Bouvet – qui vient malheureusement de nous quitter - son « insécurité culturelle », anticipaient ainsi, par l’examen de ses causes, la survenance de ce soulèvement populaire, sinon populiste, qu'a été la crise des Gilets jaunes. À droite, Éric Zemmour, alors encore essayiste, analysait le « suicide français », Patrick Buisson plaidait « la cause du peuple », tandis que Mathieu Bock-Coté étrillait le multiculturalisme et le politiquement correct. Ailleurs encore, Jérôme Sainte-Marie s'interrogeait sur la nouvelle opposition entre « bloc élitaire » et « bloc populaire » qui structurait la vie politique, quand Pierre-André Taguieff continuait avec brio à déconstruire les déconstructeurs, renvoyant un certain nombre de pseudo-chercheurs à la vacuité de leurs « études ». Bref, il se passe manifestement quelque chose de nouveau au royaume des intellectuels brevetés.

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Les choses bougent ailleurs aussi. Comment ne pas évoquer la libération de la parole qui a eu lieu sur Internet, où un certain nombre de ceux que l'on pourrait qualifier « d'influenceurs », classés pour la plupart très à droite, les Papacito, Raptor, Lapin, et tant d’autres, n'hésitent pas hésité à briser les tabous ? Maniant parfaitement les codes de ce monde, ils font passer à un public nouveau des messages très, mais alors très loin de ce que l’on peut entendre dans la bouche des « humoristes » patentés, et les remarquables succès de leurs vidéos démontrent combien est grande la lassitude de nombre de jeunes face aux ricanements obligés du dogmatisme progressiste. La « fachospère », comme aiment à l’appeler ses ennemis, doit autant son succès à son humour, à ses redoutables « punchlines », qu’à sa capacité à briser les interdits.

De cette libération de la parole sont sortis renforcés, en dehors des blogs ou de publications plus confidentielles, certains médias : de Marianne à Front populaire, d’Éléments à Valeurs Actuelles, de Causeur à TV libertés, la dissidence à la doxa a pris aujourd’hui bien des formes. Mais lui fallait encore une sorte de consécration par un taux d’écoute quotidien important, et c'est Vincent Bolloré, qui la lui a offerte. Il est permis de penser que le patron breton a pu se rendre compte, en Afrique notamment, du fait que la doxa progressiste n’était jamais que l’arme destinée à remplacer certains pouvoirs – politiques ou économiques - par d’autres, et il n’a pas pour habitude de se laisser faire. Sur sa chaîne télévisée CNews, Éric Zemmour, qu’il a défendu et imposé quand il était attaqué, a sans nul doute été le phénomène culturel et politique de cette année 2021. Culturel, parce que sa réelle culture historique a fait beaucoup pour  attirer les Français – et quels taux d’audience ! ; politique, parce qu’il a dès le début montré le lien existant entre la préservation de cette culture et l’action politique, avec un entrain et une pugnacité que Christine Kelly avait parfois du mal à tempérer.

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Or, en s’emparant de nombre de ces travaux que nous avons signalés et qu’il avait chroniqués, non seulement Éric Zemmour leur donnait une audience plus importante, mais il réintroduisait par cela même au cœur du débat politique un certain nombre de points sur lesquels il était de bon ton de se taire, et le dit débat en a dès lors été totalement renouvelé. Pour prendre la seule question de l’immigration, de son niveau et des conséquences qui pouvaient être les siennes, c’en est maintenant fini de l’idée selon laquelle serait impossible toute critique de ce qui, selon la fameuse formule de Bernard Stasi, devait n’être jamais considéré que comme une « chance pour la France ». En répondant de son désormais fameux « ben voyons » à tous ceux qui venaient lui tenir le discours de la doxa en accumulant les contre-vérités, Éric Zemmour renouait avec le bon sens populaire.

Dès lors, et plus encore à partir du moment où la candidature du journaliste à l'élection présidentielle est passée du « très peu crédible » au « presque certain », avant qu’elle ne soit officielle, les thématiques qu’il soulevait allaient, les unes après les autres, impacter l'ensemble de la vie politique française. Certes, face à l’incendie, certains tentèrent leur contre-feu habituel, dénonçant l’« extrême-droitisation » devenue « zemmourisation » des esprits, répétant les habituels mantras sur les « heures-les-plus-sombres-de-notre-histoire ». Leur échec, le fait qu’il ne semble plus leur rester que la violence physique des antifas pour empêcher certaines prises de parole, est un élément important de cette année 2019. Pour les autres, il n'était plus possible de faire l'impasse sur ces sujets, et on a bien vu, lors du choix du candidat des Républicains à l'élection présidentielle, comment tous les prétendants avaient été contraints de s’emparer de ces thématiques et de proposer des solutions qui étaient, pour certains d’entre eux au moins, fort éloignées de celles qu'ils défendaient il y a de cela à peine deux ou trois ans.

De tout cela, de ces changements qui affectent la liberté de parole et de ton dans les médias, dans la recherche ou dans le monde politique, les tenants de la doxa ne cessent de se plaindre. De se voir contestés sans arriver à ostraciser leurs adversaires semble décidemment leur être un insurmontable traumatisme, et ils n'hésitent pas à évoquer leur excessive présence, forcément nauséabonde, alors que cette dernière est pourtant, ne nous leurrons pas, toujours très relative.

Il ne faudrait pas en effet faire une erreur de perspective. Qu’un instrument se fasse entendre en solo n’enlève rien à la cohérence et à la puissance de l’orchestre, et l’orchestre, dans la France de 2022, est toujours progressiste. C’est avant tout la surprise causée par ce discours nouveau qui en a renforcé l’effet, et la véritable question est de savoir s’il va avoir une suite. Un suite sur le plan politique bien sûr : certains thèmes, devenus pour quelques mois au moins des points de passage obligés dans les discours, vont-ils déboucher sur de vrais choix ? Des mesures pratiques et précises vont-elles ou non être mises en œuvre ? Mais une suite aussi sur le plan intellectuel : ces thèmes auront-ils désormais droit de cité, y aura-t-il ou non des débats possibles, ou resteront-ils, comme c’est encore le cas, marginalisés ?

Échaudés par cette rébellion imprévue, les tenants de la doxa pourraient en effet engager une contre-offensive sur plusieurs axes. Le premier consisterait à renforcer l’appareil répressif normatif et juridique à l’encontre des « discours de haine » - ce que promeut en ce moment la Commission de l’Union européenne et qui a été tenté récemment en France avec la « loi Avia ». Le deuxième viserait à sanctionner économiquement les entreprises médiatiques qui sortent par trop de la doxa – ce qu’ont tenté de faire les « sleeping giants » à l’encontre de Valeurs Actuelles. Le troisième étoufferait l’espace de liberté que constitue encore Internet, les fournisseurs d’accès étant sommés de faire la police idéologique en supprimant les comptes ou les sites dénoncés par les « vigilants ».

Mais les réponses à ces questions, au sujet desquelles les Français devront, on l’aura compris, rester particulièrement vigilants au vu des dérives potentielles, nous amènent à envisager le futur et non à tirer un bilan de l’année écoulée. Nous resterons donc sur cette impression de fraîcheur causée par la libération de la parole.

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