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2016, l’année de la revanche de la classe moyenne blanche américaine
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Trans-Amérique Express

Et si 2016 était l’année de la revanche des hommes blancs? Et des femmes aussi ! Ce bloc électoral détient les clés de la Maison Blanche par sa capacité à faire la différence dans les fameux "Etats décisifs" (swing states). Et c’est justement ce bloc électoral qui est à la source de la popularité de Trump à droite, comme de Sanders à gauche.

Gérald Olivier

Gérald Olivier

Gérald Olivier est journaliste et  partage sa vie entre la France et les États-Unis. Titulaire d’un Master of Arts en Histoire américaine de l’Université de Californie, il a été le correspondant du groupe Valmonde sur la côte ouest dans les années 1990, avant de rentrer en France pour occuper le poste de rédacteur en chef au mensuel Le Spectacle du Monde. Il est aujourd'hui consultant en communications et médias et se consacre à son blog « France-Amérique »

Il est aussi chercheur associé à  l'IPSE, Institut Prospective et Sécurité en Europe.

Il est l'auteur de "Mitt Romney ou le renouveau du mythe américain", paru chez Picollec on Octobre 2012 et "Cover Up, l'Amérique, le Clan Biden et l'Etat profond" aux éditions Konfident.

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Le succès de Donald Trump a été largement imputé aux "hommes blancs en colère" ("angry white males" selon la terminologie américaine). Une explication un peu sexiste car elle semble exclure les femmes, alors qu’il suffit d’observer les meetings de Trump pour s’apercevoir qu’elles y sont aussi nombreuses que les hommes, sinon plus…

De son côté, Bernie Sanders continue de remporter des victoires surprenantes face  à Hillary Clinton. Mardi 8 mars dans l’Etat du Michigan, il l’a devancée de deux points et dix-huit mille voix, 50% contre 48%. Depuis le début des primaires, Bernie Sanders a également gagné dans le Colorado, le Minnesota, l’Oklahoma, le Vermont, le Nebraska, le Kansas, et le Maine. Tous ces Etats ont en commun d’avoir une population blanche beaucoup plus importante que la moyenne nationale : 82% ou plus contre 63%.

Par contre, Hillary Clinton a remporté tous les Etats du Sud, là où la proportion d’Afro-américains est largement supérieure à la moyenne nationale,  tout particulièrement au sein de l’électorat démocrate. Dès que l’électorat blanc domine, elle se retrouve en difficulté. Dans le Michigan, 60% des électeurs démocrates blancs ont voté Sanders quand Hillary bénéficiait de près de 90% du vote noir. Elle a pour elle les minorités. Sanders a les blancs, surtout les jeunes. Il a aussi une majorité des hommes, 54% contre 44%.

Il ne s’agit pas de parler d’un vote "ethnique" ou racial. Ce n’est pas le cas. Mais le parti démocrate est devenu le parti des minorités, ethniques et sexuelles, et la petite classe moyenne blanche aux idées traditionnelles ne s’y reconnait plus. Sauf quand arrive un Bernie Sanders, qui d’ailleurs jusqu’à peu n’était pas un Démocrate, et qui tient un discours beaucoup moins convenu, et à l’écoute des attentes de cette population désormais délaissée par le parti de l’âne.

La petite classe moyenne blanche est le segment de la société américaine qui a le plus souffert au cours des trente dernières années: une souffrance économique d’abord, face aux avancées de la mondialisation ; et une souffrance sociale et culturelle ensuite, face aux avancées des minorités, du multiculturalisme et à l’émiettement des valeurs dites "traditionnelles". En 2016, ce bloc électoral a décidé de laisser éclater sa colère. Elle se retrouve, chez les Démocrates dans le vote Sanders. Et chez les Républicains dans le vote Trump. Le rejet des élites, qui est au cœur du message de chacun de ces candidats,  colle parfaitement  à l’état d’esprit quasi-insurrectionnel de ces électeurs.

Reste à savoir si cette frustration et ce bloc électoral sont assez forts pour porter l’un de ces deux candidats à la Maison Blanche en novembre.

La frustration de cet électorat est d’abord économique. Cela a été particulièrement perceptible dans le Michigan. Cet Etat est le berceau de l’industrie automobile américaine. Dans les années 1960, Detroit, sa capitale économique, était le fleuron du "rêve américian". Le paradis de la classe ouvrière, c’était là. Des enfants d’immigrés emménageaient dans des maisons avec trois chambres et deux garages. Ils envoyaient leurs enfants à l’université et passaient leurs week-end dans des petits chalets au bord du lac … A l’époque, un certain George Romney, père de Mitt, était gouverneur. Depuis les années 1970 et le premier choc pétrolier, l’industrie automobile américaine n’a cessé de décliner. Jusqu’à manquer disparaitre lors de la crise de 2008. Des millions d’emplois ont été supprimés ou délocalisés. La crise des " subprimes " fut dévastatrice pour certaines banlieues devenues des villes fantômes.

Une évolution malheureusement à l’image d’un recul économique national. Selon les statistiques fédérales, le nombre d’emplois dans le secteur manufacturier a reculé de sept millions en trente ans, soit une baisse de 36%,  alors même que la population augmentait de 90 millions, soit 40%. En termes de capacité de pouvoir d’achat, le revenu de la classe moyenne stagne depuis 1980. Alors que les revenus des plus pauvres ont progressé et ceux des plus riches explosé…

En l’an 2000, un autre changement capital s’est produit : la classe moyenne américaine s’est mise à diminuer en nombre. Cela était déjà arrivé.  Mais jusqu’alors, les ménages quittaient la classe moyenne par le haut.  Ils accédaient (en termes de revenus) à la classe supérieure (foyer avec plus de cent mille dollars de revenus par an). Depuis l’an 2000, les foyers quittent la classe moyenne par le bas! Ils se retrouvent avec moins de 35 000 dollars par an.

La raison de ce recul pour les électeurs américains tient à deux choses : l’émergence de la Chine, via son entrée dans l’Organisation mondiale du commerce, et le passage du NAFTA, l’accord de libre-échange avec le Mexique. Ces deux changement ont bouleversé le paysage industriel américain, avec à la clé des dizaines de milliers d’emplois parti " au Sud de la frontière ".

Dans le Michigan, 60% des électeurs ont indiqué que l’économie était leur premier souci et qu’ils étaient, dans la même proportion, opposés au  libre-échange. Or, Sanders comme Trump sont de virulents critiques des accords de libre-échange. Le premier, par principe idéologique; le second, parce qu’il estime que la mondialisation et les manipulations monétaires faussent  le jeu.

La frustration de cette petite classe moyenne blanche est aussi culturelle. En 1980, un certain nombre de démocrates s’étaient détournés de  Jimmy Carter pour voter Reagan. Ils avaient rallié le conservateur qui prônait une  croissance économique forte aux dépens du démocrate épris d’égalitarisme et de justice. Ils l’avaient fait d’autant plus facilement que sur les questions de société et de religion,  ils n’étaient pas très loin de Reagan – c’était des religieux pratiquants qui croyaient à la famille traditionnelle et aux valeurs américaines.

Mais les choses n’ont pas évolué dans leur sens. La " famille " d’aujourd’hui n’a plus rien à voir avec celle de leur enfance. Elle s’est décomposée et recomposée, elle est devenue monoparentale, homo-parentale, ou simplement éclatée. Les valeurs de travail, d’économie, d’effort, d’abnégation, et de mérite qui ont fait les Etats-Unis, semblent dérisoires face à l’argent trop vite gagné dans la musique, le spectacle, la télévision, ou les start-ups d’Internet. Le droit ancestral de posséder une arme, symbole d’individualisme et de liberté, est sans cesse battu en brèche. Le pays qui avait guidé le monde libre vers une victoire dans la Guerre froide semble n’être plus respecté à l’étranger. Il a perdu plusieurs milliers de ses enfants dans des combats qui n’ont débouché sur rien, sinon l’horreur de voir des islamistes mettre en ligne des vidéos de décapitations d’Occidentaux …

Leur ressentiment est profond, et Bernie Sanders autant que Donald Trump ont parfaitement su l’exploiter. Face à cette perte de repères, la petite classe moyenne blanche avait besoin d’un ou plusieurs boucs émissaires. C’est humain. On le sait depuis René Girard. Nos deux candidats en avaient justement plusieurs à leur jeter en pâture. Pour Sanders,  le bouc émissaire c’est Wall Street, et par extension tous les politiciens qui s’acoquinent avec Wall Street. Dont bien sûr, Hillary Clinton. D’ailleurs, lorsqu’il débat avec elle, il ne dit pas  "Wall Street" mais "vos amis"Pour Trump, le bouc émissaire, ce sont les immigrants clandestins, les Chinois, et  les dirigeants américains actuels "qui sont stupides". Il suffirait donc de mettre les clandestins dehors et de changer les dirigeants pour que tout  aille mieux…

Il n’est pas dit que les électeurs de Bernie Sanders et de Donald Trump soient naïfs au point de croire béatement à ces différents discours. Contrairement à ce que pensent certains cadres du parti républicain, dont Mitt Romney, ils ne sont pas en train de se laisser bernés. Les électeurs de Donald Trump  sont capables de discerner les failles dans la personnalité de leur nouveau champion. Ils passent outre parce qu’ils ont trouvé en lui quelqu’un qui comprend leur désarroi et ose enfin y répondre après des décennies pendant lesquels ils ont été ignorés.

Dans la perspective de l’élection de novembre, cet électorat possède un poids réel et ce poids est nettement à l’avantage des Républicains. Même s’il recule depuis 40 ans, l’électorat "non-hispanique blanc" reste le premier bloc électoral, à 69%. Contre 89% en 1976. Il représente 156 millions d’électeurs, contre 27 millions d'Afro-américains, autant d’Hispaniques, et 9 millions d’Asiatiques.

Au sein de ce groupe, les ménages avec un revenu inférieur à 50 000 dollars par an vote majoritairement républicain. En 2012, 54% d’entre eux avaient voté Romney et seulement 37% Obama. De fait, les dix Etats les plus pauvres de l’Union votent régulièrement républicain aux élections présidentielles. Compte tenu de l’appauvrissement continu d’autres Etats, notamment dans la ceinture de rouille du Nord et Nord-Est, il n’est pas exclu de voir certains Etats "bleus", c’est-à-dire démocrates, devenir "rouges", c’est-à-dire républicains. Une plus forte participation de ces électeurs au scrutin de novembre pourrait faire ainsi basculer l’Ohio, le Wisconsin, l’Illinois ou la Pennsylvanie. Or, le fait le plus marquant des primaires républicaines, en dehors de la popularité de Donald Trump, est justement la très forte hausse de la participation. Et l’on parlera peut-être bientôt des "Trump democrats", comme on a parlé en 1980 des "Reagan democrats"…

En attendant, la Caroline du Nord, la Floride, l’Illinois, l’Ohio et le Missouri tiennent leur primaire ce mardi 15. Donald Trump vise un grand chelem, de quoi être quasi assuré de la nomination, bien qu'il pourrait finir un peu court. Bernie pourrait créer à nouveau la surprise, cette fois dans l’Ohio. 

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