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192 000 milliards d’euros de dettes au niveau mondial : le chiffre choc qui effraie ceux qui ne comprennent rien à la dette
©REUTERS/Philippe Wojazer

Record historique

Le niveau d'endettement mondial atteindrait le chiffre de 192 000 milliards d'euros. Cela peut-il impacter les Français au quotidien et comment doivent réagir les pouvoirs publics ? Il y a une part de mythe et de réalité dans cette étude publiée par l'Institute of International Finance.

Jean-Yves Archer

Jean-Yves Archer

Jean-Yves ARCHER est économiste, membre de la SEP (Société d’Économie Politique), profession libérale depuis 34 ans et ancien de l’ENA

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Parfois le monde de l'économie rassemble un paquet de mauvaises nouvelles. Après analyse, il faut néanmoins retenir que toutes les peurs ne sont pas fréquentables et que certaines relèvent de la fiction !

‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬Le doyen Henri Bartoli a écrit que " l'économie s'inscrit au cœur d'un fait sociétal infiniment plus complexe ".‬‬‬‬‬‬‬‬ (in Economie et création collective). C'est exactement le cas pour ce qui concerne certains fantasmes relatifs à la dette mondiale.

Si on veut jouer à se faire peur, on lance dans la nature le chiffre de 192.000 milliards d'euros qui correspond selon une étude de l'Institute of International Finance (IIF) au total des dettes que porte le monde.

Puis, on commet une erreur de méthode en rapprochant ce chiffre ( qui englobe des dettes publiques et des dettes privées ) au total des PIB et on en déduit que les dettes culminent à hauteur de 324% du PIB agrégé mondial.

Première observation : le niveau de refinancement

Près de 1.500 milliards d'euros de dettes vont devoir être soumises à refinancement pour l'année 2018 en ce qui concerne les pays émergents.

Compte-tenu de la richesse potentielle de certains pays ( mines du Niger, lithium du Chili, etc ) il est fondamental de comprendre la différence existant entre un pays potentiellement illiquide ( à court de trésorerie ) et un pays totalement insolvable abandonné des prêteurs.

La France est lourdement endettée avec ses 2.200 milliards de dette explicite et ses 4.070 milliards de dette hors-bilan ( " la dette d'après-demain " http://www.atlantico.fr/decryptage/4000-milliards-comment-dette-hors-bilan-sert-discret-placard-financier-aux-engagements-etat-jean-yves-archer-3163769.html ) mais sa solvabilité est assurée par l'actif net positif de l'Etat ( l'ensemble des milliards d'actifs publics de Beaubourg en passant par les sous-marins nucléaire et le savoir-faire de nos médecins publics, etc ) tandis que la garantie ultime du créancier provient des 13.000 milliards d'épargne des Français.

Balancer le chiffre d'une dette égale à 100% du PIB sans le remettre en perspective des actifs qui font son vis-à-vis est absurde. Cela ne veut pas dire que la situation de notre dette publique ne soit pas préoccupante et révélatrice de gabegies publiques mais il ne faut pas mélanger un jugement de gestionnaire avec une approche de comptable.

C'est d'ailleurs ce dernier point qui fait que la France va emprunter plus de 190 milliards d'euros en 2018 pour le remboursement de la dette et pour financer ses nouveaux besoins de déficits publics. Près de 80 mds inscrits au PLF 2018.

Qui sont les débiteurs mortels ?

Le chiffre de 192.000 mds d'euros de l'IIF est un composite qui mélange dans la joie et la bonne humeur ( tant qu'à se tromper, rions ! ) les dettes publiques et les dettes privées.

Or, les débiteurs privés sont tous mortels contrairement à la fiction entretenue de l'infaillibilité des Etats. La France pourrait fort bien afficher le score de l'Italie qui a 130% de son PIB en niveau de dette publique. En clair, nos agrégats fondamentaux peuvent nous permettre d'engranger 30 points de PIB ( soit près de 600 mds ) supplémentaires. Au demeurant, un quinquennat tel que celui conduit par François Hollande a précisément vu la dette augmenter de 634 mds !

Conclusion d'étape : il est fondamental de ne pas accorder d'importance à un chiffre de la dette mondiale qui mélange sans pertinence des dettes publiques à maturité longue avec des dettes privées à échéance plus rapprochée.

La confusion sur l'identité des créanciers est une parfaite erreur destinée à faire vendre du papier journal " juste bon à emballer le poisson " comme disait Coluche.

L'exemple de LVMH :

A titre personnel, nous serions tous heureux de détenir ( hors futur IFI…) un pourcent du groupe LVMH dont les performances méritent d'être reconnues et saluées.

Or que disent les chiffres ?  3,26 milliards de dettes financières et 15 milliards " d'autres passifs non courants " soit près de 18,5 mds de dettes pour l'étude de l'IIF et sa méthodologie bancale.

Inquiétudes ?  Panique ?  Non, car là encore il faut aller dans le tréfonds de la comptabilité en partie double de LVMH. On y trouve un total d'actif de 59,6 mds ce qui donne 27,9 mds de capitaux propres soit un ratio entre la dette financière nette et les capitaux propres de 12% en 2016 contre 21% en 2014.

Comptablement, la notion d'autres passifs non courants indique qu'ils ont souvent une exigibilité pluriannuelle ou conditionnée. Ainsi, au strict plan financier, LVMH dispose de 46,8 milliards de capitaux permanents.

Dès lors, le lectorat est en mesure de toucher du doigt l'abus de langage qui consiste à ne se focaliser que sur l'endettement sans prendre en considération les actifs en contrepartie.

Jacquelin et Nadine achètent une maison :

Ce jeune couple avec deux enfants a décidé de devenir propriétaire d'une maison de 250.000 euros à partir d'un apport personnel de 100.000 euros ( héritage familial et donation des parents ). Ils ont pour revenus annuels la somme de leurs deux salaires soit 52.000 euros nets. Ils pourront faire l'effort d'un crédit à hauteur de 1.000 euros par mois.

Si l'on veut se paniquer, on crie au loup et on voit un endettement de 150.000 euros rapportés à 52 Keuros de revenus avant impôts. Ils vont dans le mur !

Si l'on veut être réaliste, nul besoin d'appeler Stéphane Plazza pour concevoir un plan de financement qui sera viable sur 20 voire 15 ans.

Si l'un d'entre nous était chercheur à l'IIF, il dirait doctement et le menton relevé : leur dette de 150 KE est égale à plus de 400% de leur " PIB " c'est-à-dire de leurs revenus annuels.

Conclusion d'étape, si une dette publique peut être rapportée au PIB, cela n'a aucun sens ni pour LVMH ni pour notre jeune couple du Loir-et-Cher " où on fait pas de manières "

Désintermédiation financière et concurrence :

Lorsque vous êtes futur débiteur, vous savez bien qu'il faut mettre en concurrence plusieurs mécanismes de financement. Plusieurs banques ou plusieurs types d'appels au marché de capitaux du fait de la désintermédiation.

Amazon vient très récemment de recourir à un emprunt de 16 milliards de dollars pour financer son développement que l'on sait être impressionnant.

Si ce géant n'a pas recouru à une augmentation de capital – qui aurait été sursouscrite – c'est parce que les taux d'intérêt bas permettent de lever des sommes d'argent à un coût moindre que la constitution de fonds propres.

Mieux vaut la dette que l'equity comme l'illustre le groupe Bolloré ou surtout Altice et sa frénésie de rachats.

Parallèlement, nous sommes ici dans un cas concret où joue la désintermédiation financière. Autrement dit, les firmes peuvent directement faire appel aux marchés financiers via une communication corporate appropriée et éviter le coût de l'intermédiation bancaire.

Le risque de défaillance existe :

Dans cette contribution, je stigmatise un mode de calcul aussi frustre que trompeur concernant les dettes mondiales.

Cela ne signifie pas que le niveau de dettes publiques ( les impôts de demain ) ne me soucient pas ni que l'aspect mortel de certaines porteurs de dettes dites " corporate " ne soient pas un sujet : le risque existe, venu de Chine ou des BRICS.

Dans ce contexte où la rentabilité ( ROE  https://www.lesechos.fr/finance-marches/vernimmen/definition_rentabilite-des-capitaux-propres.html ) des projets excède généralement le coût de la dette, la situation présente n'est pas aussi malsaine que certains analystes ne l'affirment. Souvent des économistes de banque…dont les décideurs voudraient revenir sur les avancées de la désintermédiation financière.

Evidemment, il y a des cas où la dette ne sert qu'à absorber, qu'à éponger des pertes d'exploitation et là il faut tirer un signal d'alarme en direction de la lucidité des prêteurs et parfois de la loyauté des débiteurs.

Et l'anatocisme ?

A l'heure actuelle, le " gearing " (https://www.lesechos.fr/finance-marches/vernimmen/definition_gearing.html) donc la structure financière des entreprises françaises est totalement comparable ( 85% ) aux chiffres des années 2007 et 2008.

L'essor de la dette privée est donc une variable normale qui est un atout pour une exploitation saine et un risque pour les entreprises qui peinent en matière d'autofinancement.

Dans la mesure où près des 2/3 des emprunts ont été contractés à taux variable, il est évident qu'il va falloir suivre cette expansion de la dette à la lumière de la future hausse des taux d'intérêt ( post-2018 ?) qui auront probablement pour conséquence de voir se multiplier les clauses d'anatocisme. (capitalisation des intérêts non versés :  https://www.dictionnaire-juridique.com/definition/anatocisme.php).

‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬ ‬‬‬‬‬En une ligne, cette étude IIF est unijambiste et rejette la partie double, matrice des comptabilités mondiales depuis des centaines d'années !

Le krach boursier, provenant de survalorisations excessives, a plus de chance de se produire devant nos yeux ébahis qu'une crise majeure de la dette privée. D'autant que l'étude précitée ne peut pas être en mesure d'effectuer un clearing entre les créances détenues et les dettes à honorer par une même entité. En termes comptables, ils avancent des totaux non consolidés. A tort.

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