Carmen Bin Ladin : "J'aimerais que les musulmans modérés s'expriment davantage"<!-- --> | Atlantico.fr
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La couverture de la version américaine du livre de Carmen Bin Ladin sur sa vie au sein du clan Ben Laden en Arabie saoudite et son combat pour élever ses filles en liberté
La couverture de la version américaine du livre de Carmen Bin Ladin sur sa vie au sein du clan Ben Laden en Arabie saoudite et son combat pour élever ses filles en liberté
©DR

On ne choisit pas sa famille...

Le 11 septembre 2001, elle était mariée à l'un des frères d'Oussama Ben Laden. Après avoir vécu en Arabie Saoudite, aujourd'hui encore, elle voudrait alerter l'opinion sur l'hypocrisie des Saoudiens alliés aux Occidentaux mais souvent tentés par un islam rétrograde.

Carmen Bin Ladin

Carmen Bin Ladin

D'origine suisse et iranienne, ex-épouse de Yeslam, l'un des 24 demi-frères d'Oussama Ben Laden, Carmen Bin Ladin a vécu en Arabie Saoudite au sein du clan richissime du terroriste ennemi numéro 1 de l'Occident. Elle s'est battue pour élever ses 3 filles à l'occidentale en Suisse.

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Atlantico : Quels souvenirs gardez-vous de la journée du 11 septembre 2001 ?

Carmen Bin Ladin : J’en garde un souvenir horrible. J’ai eu deux réactions : « je dois avertir mes filles » et « quel horrible acte barbare ».

C’est la pire journée de ma vie pour mes filles et moi. Je me souviens de mes amis à New-York que je ne réussissais pas à joindre au téléphone, de ma fille qui est rentrée en pleurs…

Ce jour là, j’ai compris que je devais préparer mes filles en leur disant que leur nom allait être partout dans les journaux car j'ai immédiatement pensé qu'Oussama Ben Laden était impliqué dans les attentats du 11 septembre. Je me souvenais des attentats qui avaient eu lieu précédemment au Kenya ou en Tanzanie. Mes trois filles n’étaient alors que des enfants ou des adolescentes. Nous étions scotchées sur CNN. Nous pensions aux victimes.

Je me souviens que j’étais en voiture lorsque j’ai appris la nouvelle. Un ami m’a téléphoné pour me dire qu’un avion avait percuté le World Trade Center. Puis un deuxième avion. Là, j’ai compris. Mes pensées sont allées à ces gens qui se trouvaient dans les tours jumelles.

Dix ans plus tard, je réalise qu’il y a eu plus de 3000 morts lors de cet attentat, mais qu’en réalité il a fait beaucoup plus de dégâts. Tous ces gens qui se trouvaient sur place ont eu à subir les conséquences de cet acte durant de longues années. Beaucoup les subissent encore.

Dix ans plus tard justement, comment vivez-vous le fait de devoir vivre avec le nom de Ben Laden ?

Ce nom a bien-sûr été un handicap pour mes filles. Mais la sortie de mon livre Inside the Kingdom: My Life in Saudi Arabia, en 2004 (Le voile déchiré en version française, NDLR), a permis de les aider. Les Américains ont compris qui nous étions : j’étais en procédure de divorce avec mon mari (l'un des frères d'Oussama Ben Laden) avant le 11 septembre 2001, je luttais pour éduquer mes filles avec des valeurs occidentales, c'est la raison pour laquelle j'avais absolument voulu quitter l'Arabie Saoudite pour m'installer en Suisse, à Genève.

J’ai été la première de la famille Ben Laden à parler pour condamner les attentats et expliquer la situation dans laquelle se trouvaient mes trois filles. Ca a été très compliqué pour mes filles. Et ça l'est encore aujourd’hui... Ce sera toujours une difficulté. Elles n’ont jamais eu aucun contact avec Oussama Ben Laden. Pourtant, c’est un nom auquel nous ne pouvons pas échapper. Nous sommes bien des Ben Laden, mais nous n’avons pas de contact avec la famille.

Même si un jour elles se marient, elles auront toujours à s’expliquer. Ma fille Wafah - qui a été spécifiquement rejetée par Oussama Ben Laden - a un ami qui connaissait l’une des victimes des Twin towers. Elle me disait qu’elle voulait pouvoir lui expliquer qu’elle aussi avait souffert, souffert à cause de la mentalité des terroristes islamistes.

Qu’avez-vous ressenti lors de l’annonce de la mort d’Oussama Ben Laden le 2 mai dernier ?

J’ai pensé aux victimes du 11 septembre. Sa mort n'efface bien-sûr pas toute la souffrance, mais je me suis dit que les personnes qui avaient eu des connaissances mortes dans l’attentat pouvaient enfin faire leur deuil. Pour eux, une sorte de justice avait été faite.

Oussama Ben Laden a-t-il échoué, selon vous, dans sa tentative d'exporter le plus possible un islam rétrograde et intolérant?

Je ne sais pas. J’ai bien peur que les Taliban ne reviennent en Afghanistan dès que les Américains seront partis. J’espère me tromper… Mais l’Islam rétrogade devrait continuer à subsister, selon moi.

Selon vous, Oussama Ben Laden a-t-il réussi dans son entreprise de creusement du « choc des civilisations » entre l’Occident et un certain monde musulman ?

Il n'a pas créé ce choc. Mais l’islam extrémiste existe et il est apparu au grand jour à l’occasion du 11 septembre 2001. Le problème, c’est qu’il y a beaucoup de musulmans modérés qui malheureusement ne prennent pas la parole. J’aimerais qu’ils s’expriment davantage. Qu’ils ne manifestent pas seulement pour le port du voile, mais aussi pour dénoncer les atrocités commises dans certains pays musulmans.

Vous racontez dans votre livre les souvenirs de votre vie en Arabie Saoudite au sein du clan Ben Laden, proche de la famille royale, et vous y décrivez notamment l'hypocrisie des Saoudiens, alliés aux Etats-Unis en façade mais souvent secrètement tentés par l'islam de combat d'Oussama Ben Laden dans l'intimité de leurs palais. Pensez vous que 10 ans plus tard, les Saoudiens aient tiré les leçons du 11 septembre?

La loi en Arabie Saoudite c’est la loi de la charia. Les choses évoluent lentement, la jeunesse dispose d’Internet, mais je ne crois pas que cette loi va changer pour autant. Je comprends que les Saoudiens veuillent la conserver, mais quand ils veulent l'exporter, cela me dérange. Je suis choquée quand des pays occidentaux comme le Canada font des lois spécialement pour les musulmans.

Pour ce qui est des relations qu’entretiennent les Saoudiens avec les Etats-Unis, il existe un intérêt économique. Ils ne renonceront pas à la charia par intérêt économique. L’Occident dépend de leur pétrole et ils le savent très bien.

Pensez vous qu'un jour vous pourrez laisser le 11 septembre derrière vous ?

Il y a plus de vingt ans, j’ai décidé que je donnerai la liberté à mes filles. Elles ont été rejetées des deux côtés : par les islamistes radicaux et par l’Occident à cause de leur nom. Au final, elles ont une mentalité et des valeurs occidentales et elles sont capables de prendre les décisions qu'elles veulent pour leurs vies, ce qui n'aurait pas été possible si nous étions restées en Arabie Saoudite. Mon but c’est qu’elles soient le plus équilibrées possible, malgré tout ce qui peut les entourer.

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