11 septembre : 20 ans après, quel héritage dans l'opinion ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Un avion commercial détourné s'approche des tours jumelles du World Trade Center peu de temps avant de s'écraser sur le gratte-ciel emblématique de New York, le 11 septembre 2001.
Un avion commercial détourné s'approche des tours jumelles du World Trade Center peu de temps avant de s'écraser sur le gratte-ciel emblématique de New York, le 11 septembre 2001.
©SETH MCALLISTER / AFP

9/11

Le Pew Research Center a mené une enquête sur l’héritage du 11 septembre dans les mémoires des citoyens américains, 20 ans après ces attentats qui ont fait près de 3.000 morts. Cette onde de choc est-elle aussi présente en Europe ?

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
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Atlantico : Le Pew Research Center a mené une enquête sur l’héritage du 11 septembre dans les mémoires américaines, 20 ans après. Quels sont les principaux enseignements de cette étude ?

Christophe de Voogd : Cette enquête ne surprend guère les spécialistes de la mémoire historique. Le 11 septembre y fonctionne comme un événement de rupture majeure, très bien identifié, où se lit la force d’un traumatisme collectif. Plus de 90% des Américains de plus de 30 ans, avec une stabilité remarquable de ce pourcentage considérable à travers les générations qui ont vécu l’événement, se souviennent de l’endroit précis où ils étaient ce matin-là. Voilà qui signale un de ces grands moments historiques qui distinguent un avant et un après. Une enquête de 2016 montrait déjà que la population US considérait de très loin (76%) le « 9/11 » comme le plus important des 10 événements historiques de leur existence, loin devant l’élection d’Obama. Fait encore plus frappant : l’accord total des républicains et des démocrates sur ce point alors qu’ils diffèrent sur tous les autres sujets. De même la lutte contre le terrorisme est demeurée une priorité politique très majoritaire dans l’opinion des deux bords. De même encore, l’insatisfaction dans la riposte des dirigeants à la menace terroriste est très partagée, tout comme l’acceptation de restrictions aux libertés individuelles, dans un pays qui, on le sait, est très sourcilleux sur ce sujet.

Mais le biais partisan – comme dans tous les enjeux mémoriels, très sujets aux clivages entre groupes et au conformisme au sein de chaque groupe – réapparaît très vite quant à l’interprétation et aux conséquences de la tragédie. Ainsi la méfiance à l’égard de l’Islam qui atteint 50% des répondants (soit paradoxalement bien plus que juste après le 11 septembre) est de 40 points supérieure à droite qu’à gauche.  

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Enfin l’opinion est évidemment très sensible à l’actualité : chaque événement terroriste ou menace pour la sécurité fait remonter fortement cette préoccupation et, inversement, lorsque le péril s’éloigne ou que d’autres catastrophes se produisent dans un temps qui n’en est pas avare (cyclones, incendies, meurtres racistes, meurtres de masse, et bien sûr pandémie), d’autres sujets passent au premier plan. Ainsi, ces dernières années les enjeux sanitaires ou économiques l’ont emporté, de même que les antagonismes politiques autour du « cas Trump » ; mais l’enquête du Pew Research Center montre aussi que la crise afghane actuelle et la débâcle américaine à Kaboul sont en train de raviver les craintes de déstabilisation extérieure et intérieure, et la méfiance vis-à-vis de l’Islam, y compris chez les démocrates.

Qu’est ce qui dans les évènements du 11 Septembre peut expliquer qu’il soit si prégnant vingt ans après ?

Il y a évidemment un facteur objectif : le nombre considérable de victimes (plus de 3 000 morts) qui est sans commune mesure avec les attaques terroristes ailleurs en Occident et même dans le monde au cours d’un seul événement. Mais il faut y ajouter des facteurs spécifiquement américains : le fait que ce pays, qui a mené tant de guerres extérieures, n’en a jamais connu les effets directs sur son sol ; les symboles des Tours jumelles et du Pentagone, incarnations de la puissance à la fois civile et militaire des Etats-Unis ; la force du patriotisme américain, dernière valeur trans-partisane ; l’indignation morale d’un pays se concevant comme le refuge de la liberté et des opprimés et qui a été « lâchement » attaqué. A quoi s’ajoute bien sûr la réactivation périodique de ce souvenir par d’autres attentats islamistes : soit à l’extérieur (assassinat de l’ambassadeur US en Libye, attaques contre les soldats US en Irak) ; soit, plus douloureux encore, aux Etats-Unis même, comme la tuerie d’Orlando ou les attentats sur des bases militaires. 

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La question majeure va être alors de voir si le vœu puis l’approbation majoritaires des Américains pour le retrait d’Afghanistan – raison de fond qui explique, on l’oublie parfois, la politique de désengagement suivie par Obama, Trump et Biden – va se renforcer et tourner à l’isolationnisme complet ; ou bien si une nouvelle doctrine d’intervention, plus sélective mais aussi plus brutale, va voir le jour. Une autre question sera de savoir si la nouvelle génération, qui n’a pas vécu le 11 septembre et dont la mémoire collective a été forgée par le meurtre de George Floyd, et la culture politique par l’enjeu racial, va partager les préoccupations de ses aînés : or le « wokisme » est plutôt complaisant avec l’islamisme. 

A quel point cette onde de choc existe-t-elle en Europe ?

Je ne crois pas qu’il existe une enquête comparable à celle du Pew Research Center en Europe. Mais plusieurs faits sont avérés par des enquêtes diverses et notamment par l’eurobaromètre qui paraît tous les six mois ou par la publication annuelle de la Fondation pour l’innovation politique sur l’opinion européenne. Le nombre et l’importance des attentats islamistes en Europe occidentale, au premier chef en France, Espagne et Grande-Bretagne, aussi montrés par la Fondapol dans son étude exhaustive sur Les attentats islamistes dans le monde depuis 1979, font que le sujet préoccupe fortement les Européens : il est constamment mis, dans les vagues successives de l’eurobaromètre parmi les défis prioritaires de l’Union, avec l’immigration. De même la préoccupation à l’égard de l’Islam est un phénomène désormais majoritaire, en particulier en Europe centrale et orientale où, fait que l’on oublie souvent chez nous, l’Islam est associé à la domination historique de la Turquie ottomane.  Autrement dit, il est là-bas la religion de l’ancien colonisateur, alors qu’il est chez nous celle de l’ancien colonisé. 

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Cette différence de « ressenti », comme on dit aujourd’hui, concerne aussi le 11 septembre 2001. Nul doute que l’événement a marqué tous les esprits et que nous sommes aussi très nombreux à nous souvenir de l’endroit où nous étions ce jour-là. De même les historiens sont d’accord pour voir dans cette date l’une des grandes charnières de l’époque contemporaine, marquant « la fin de la fin de l’histoire », cette illusion que la démocratie libérale l’avait emporté pour de bon avec la chute du Mur. Il reste que le choc a été plus rude dans les pays affectivement proches des Etats-Unis, comme le Royaume Uni ou les Pays-Bas. Je me trouvais à Amsterdam à cette époque et je peux témoigner du vrai traumatisme éprouvé par les Néerlandais devant la tragédie qui frappait leurs cousins américains, tant les deux peuples sont à la fois historiquement et imaginairement parents.

Certains évènements, comme les attentats du 13 Novembre 2015, peuvent-ils avoir le même genre de résonance dans l’opinion française ?

Nul doute que la coïncidence entre la commémoration du 11 septembre et l’ouverture du procès des attentats de 2015 va susciter en France des études comparables à celle de la Pew Research Center. A ma connaissance, les dernières enquêtes d’opinion sur ce sujet précis remontent à 2016. Elles montrent, comme aux Etats-Unis, la force de la réactivation du drame par un autre drame : chez nous, l’attentat de Nice. Alors qu’en décembre 2015, soit à peine un mois après les attentats, une majorité de Français (63%) avaient changé d’avis et refusaient de parler de guerre (sondage IFOP pour Atlantico), ils sont à nouveau 64% pour le faire un an plus tard. En fait, de tragédie en tragédie, les attentats n’ayant jamais cessé depuis 2015 et même s’ils sont de moindre intensité, nous sommes constamment rappelés à ce défi. De fait, la France est, avec près de 300 morts, de loin le pays le plus touché en Europe par le terrorisme islamiste. Un très récent sondage de l’IFOP montre d’ailleurs que la sécurité et la lutte contre le terrorisme est la priorité n°2 des Français (après la santé, vu le contexte actuel). Il confirme une tendance déjà ancrée depuis des années. Et ici aussi, comme aux Etats-Unis et ailleurs en Europe, la méfiance envers l’Islam est devenue un fait majoritaire dans l’opinion, au-delà de 60% des répondants. Toutefois ce dernier sujet est assez loin (13e rang) dans les priorités des Français, au vu de la dernière enquête d’Harris interactive sur plus de 10.000 personnes.

Dans un contexte international très labile, il est donc difficile de prédire l’évolution des mentalités, plus marquée de façon générale « par l’inquiétude que par la colère » (Harris interactive, encore). Le poids spécifique du souvenir des attentats est contrebalancé, surtout à gauche, par le désir de ne pas « amalgamer » ni « stigmatiser ». Ce scrupule légitime mais exploité par la mouvance islamiste a su dévier l’attention. On se souvient de la polémique autour du burkini ; on se souvient moins qu’elle est apparue juste après l’attentat de Nice et précisément sur la Côte d’Azur, à l’été 2016. 

Le long procès qui s’ouvre va en tout cas entraîner un intense « travail de mémoire », pour parler comme Paul Ricoeur. Expression préférable au « devoir de mémoire » qui, trop souvent, ne débouche que sur bougies, fleurs et hommages. Sans doute le terrifiant bilan de « l’Etat islamique », commanditaire des attentats de 2015, et auteur d’innombrables atrocités au cœur même du monde musulman, mériterait-il une réponse internationale ; et devrait donner lieu, au-delà du procès français qui s’ouvre, à un véritable « procès de Nuremberg » de ce djihadisme qui endeuille, depuis 40 ans, la planète entière.

Christophe de Voogd

Président du Conseil scientifique de la Fondation pour l'innovation politique

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