Si la gauche était plus à gauche, les Français voteraient moins pour le FN... Vraiment ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Les résultats de Brignoles, comme ceux de Villeneuve-sur-Lot, montrent néanmoins que des électeurs de gauche se sont reportés sur le FN entre les deux tours.
Les résultats de Brignoles, comme ceux de Villeneuve-sur-Lot, montrent néanmoins que des électeurs de gauche se sont reportés sur le FN entre les deux tours.
©wikipédia

Ambidextre

Après la victoire du FN à Brignoles, dans un édito pour Libération, François Sergent appelle "la gauche à se battre sur ses valeurs (...) Sans avoir honte de ce qu’elle est ou de ce qu’elle devrait être". Mais dans une société de plus en plus droitisée, il n'est pas évident qu'un virage à gauche soit efficace pour freiner la montée du FN.

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
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Atlantico : Dans un édito pour Libération (Voir ici), François Sergent reproche au gouvernement son positionnement "pas assez à gauche". Pourtant à Brignoles, le candidat qui représentait la gauche était communiste. Si la gauche était plus à gauche, les Français voteraient-ils forcément moins pour le FN ? Par ailleurs, Manuel Valls, qui représente l'aile droite du PS, est aussi le ministre le plus populaire du gouvernement. Le succès de son positionnement montre-t-il au contraire que la gauche devrait être plus à droite ?

Christophe de Voogd : Nous avons ici affaire à une disposition d’esprit bien étrange et de plus en plus répandue dans une partie de la gauche caractérisée par une double faute de l’esprit : le déni acharné des réalités et le sophisme triomphant, déni des réalités, car sur tous les grands enjeux économiques et sociaux l’opinion française marque une « droitisation » incontestable, allant des préoccupations sécuritaires à l’intolérance fiscale. Quand, sur tant de sujets, entre 70 et 85% de la population prend le contrepied des positions de l’extrême gauche, on reste pantois sur la capacité d’illusion de celle-ci. J’appelle cela le « syndrome rousseauiste » (un Rousseau comme souvent interprété à contre-sens) qui repose sur la phrase bien connue du Discours sur l’origine de l’inégalité : « commençons par écarter tous les faits »…

De là les sophismes multiples découlent naturellement. Partant d’un déni de la réalité, il faut bien « tordre » le raisonnement pour arriver à la conclusion escomptée ! Or, si le gouvernement n’était pas assez à gauche les formations plus à gauche devrait avoir le vent en poupe : c’est tout le contraire qui se produit car le Front de gauche se tasse dans les sondages et plus les candidats de la gauche sont… à gauche, plus ils perdent les élections ! Brignoles en a donné une nouvelle preuve, avec l’élimination du candidat communiste dès le premier tour et cela dans un fief communiste ! Autrement dit, pour répondre à votre question, les faits montrent que plus la gauche est à gauche, plus les Français votent FN ! Je vois un rapport direct entre les mesures récentes, très marquées à gauche du gouvernement, et la large victoire du FN à Brignoles : la surenchère fiscale et les lois Duflot et surtout Taubira. L’exemple a contrario de Manuel Valls, ministre le plus populaire (et de beaucoup) en même temps que le plus « à droite » au sein du PS, que vous citez à juste titre, est sans ambiguïté. Sauf encore une fois pour ceux qui ont décidé d'« écarter tous les faits… »

Les difficultés actuelles du gouvernement sont-elles justement liées au fait qu'il n'assume pas clairement sa ligne social-démocrate ?

Votre question est délicate car avant de parler d’affichage, il faudrait d’abord être sûr que le gouvernement ait vraiment une ligne social-démocrate ! Je n’en suis pas convaincu du tout : être social-democrate sur le modèle nordique-germanique, c’est accepter le capitalisme dans l’ordre de la production pour obtenir un maximum de richesses pour la redistribution. De ce point de vue un « ministère du Redressement productif » n’a aucun sens ; pas plus que l’interventionnisme permanent dans la vie économique ; pas plus que l’asphyxie fiscale et légale des entreprises ; ni même les « usines à gaz » du type CICE ou BPI… Le seul vrai social-démocrate (formation de germaniste oblige !) est probablement Jean-Marc Ayrault. Peut-être également Marie-Sol Touraine. En toute hypothèse les sociaux-démocrates sont minoritaires au gouvernement (et encore plus au PS). La mouvance dominante – y compris chez François Hollande - est le « social-étatisme » typique du socialisme français, malgré l’héritage proudhonien qui n’existe plus guère qu’à la CFDT.

J’invite les lecteurs à lire sur tous ces points la « déclaration de principes » du parti socialiste de 2008, véritable hymne anti-capitaliste et étatiste, malgré quelques concessions libérales marginales. Une seule citation : « Les socialistes portent une critique historique du capitalisme créateur d’inégalités, facteur de crises, et de dégradations des équilibres écologiques, qui demeure d’actualité à l’âge d’une mondialisation dominée par le capitalisme financier ». Nous sommes loin, très loin d’un Bad-Godesberg à la française…

Les résultats de Brignoles, comme ceux de Villeneuve-sur-Lot, montrent néanmoins que des électeurs de gauche se sont reportés sur le FN entre les deux tours. Comment expliquez-vous ce paradoxe ? Cela peut-il s'expliquer par le positionnement très à gauche de Marine Le Pen sur les questions économiques ? 

Curieusement ce report, pourtant non négligeable (entre 10 et 20% de l’électorat de gauche) reste nié ou marginalisé par la plupart des médias, car il dérange la grille de lecture traditionnelle qui veut que seul un électeur de droite puisse voter extrême droite. Pourtant, l’attraction du FN sur la gauche est un fait ancien si l’on veut bien se rappeler sa progression historique au détriment du PC. Et entre l’extrême gauche et l’extrême droite que de transferts au cours de l’histoire ! Et pour cause : d’un extrême à l’autre, une même constante dans le positionnement, un anti-libéralisme et un anti-individualisme radicaux. Le fait nouveau – en fait depuis les cantonales de 2011 – est la porosité croissante PS/FN.

Il faudrait revenir en détail sur les raisons nombreuses de ce phénomène : rhétorique républicaine de Marine Le Pen, discours de la protection dans tous les domaines, étatisme encore une fois en parfaite résonance avec la culture politique dominante de la gauche etc...

Mais il invite peut-être plus encore à changer justement de grille de lecture et à sortir du clivage « gauche/droite » pour mettre en valeur le nouveau clivage « ouverture/clôture », ou encore « populisme/libéralisme», ou bien encore « conservatisme/progressisme ». C’est sur ces lignes que le paysage politique français est en train de se recomposer. Autrement dit, ce n’est pas parce que Marine Le Pen reprend certains marqueurs de gauche qu’elle attire l’électorat de gauche : c’est parce que celui-ci est fondamentalement attiré par les thèmes populistes qu’elle développe. La rhétorique historiquement « de gauche » qu’elle emploie est cependant essentielle : elle permet, dans l’opération de transfert en cours, le dédouanement de cet électorat, en levant le tabou qui pesait sur le vote FN.

Propos recueillis par Alexandre Devecchio

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