(Re)penser la France d’après : refonder notre système de santé<!-- --> | Atlantico.fr
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Des membres du personnel soignant au sein d'un hôpital.
Des membres du personnel soignant au sein d'un hôpital.
©MARTIN BUREAU / AFP

Bonnes feuilles

L’ouvrage collectif « (Re)penser la France d’après » a été publié aux éditions Bold. Ce livre est le fruit d’un travail mené par des personnalités venant de différents horizons qui ont en commun d’aimer leur pays, d’être attachées à la démocratie et d’avoir une expérience de terrain qui leur donne toute légitimité pour analyser les évolutions de la société française dans leurs domaines respectifs, ainsi que les problématiques et grands défis auxquels elle doit faire face. Extrait 1/2

Pierre Marès

Pierre Marès

Pierre Marès est professeur émérite à la Faculté de Médecine Montpellier-Nîmes. Spécialiste en gynécologie obstétrique reconnu internationalement, ancien président de la CME (Commission Médicale d’Établissement) du CHU de Nîmes, il est président de l’ADECA (Association pour le Dépistage des Cancers) en Occitanie et de l’association GRIRG (Groupe de Recherche et Innovations en Restauration Génitale). 

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Refonder le système de santé en quelques pages est quelque peu prétentieux. C’est toutefois une opportunité à saisir pour essayer de comprendre le mal-être, le mal-vécu actuel par rapport aux soins et à la santé et, pourquoi pas, ouvrir des pistes de réflexion utiles pour l’avenir.

La question serait plutôt de se demander comment optimiser le système de santé et des soins en France. Avant d’aborder les dysfonctions qui serviront de substratum aux réflexions ultérieures, nous allons donner quelques éléments historiques sur les critères de l’état de santé en France et en Europe.

1 L’évolution de la santé

a) L’espérance de vie

L’espérance de vie a presque doublé au XXe  siècle par rapport au siècle précédent : la durée d’une vie moyenne en  1740 était de 25 ans ; en 2020, elle est supérieure à 80 ans. Les références de l’INED de 2018 montrent également qu’en vingt ans, l’espérance de vie de la femme en France a progressé de 3,1 ans, et celle de l’homme, de 5,1 ans.

Cette espérance de vie s’est modifiée par la prise en charge médicale, en particulier au niveau de la santé des enfants : en  1900, 15  % des enfants décèdent avant un an  ; ce taux baisse à 5 % en 1950, et à 0,35 % en 2015.

b) Les maladies

Nous ne retiendrons que la prise en charge du diabète et des cancers. Il y a cinquante ans, ces deux pathologies étaient associées à un diagnostic de vie extrêmement court. Aujourd’hui, le diabète est traité de façon efficace, et la prise en charge des cancers permet de dire qu’il y a une vie après le cancer…

Ceci nous permet de placer le contexte des progrès réalisés aussi bien par l’hygiène de vie et la qualité environnementale que les progrès médicaux, avant d’aborder les difficultés actuelles.

2 Les critiques

Elles ne manquent pas. Nous allons en citer quelques-unes :

- fermeture des lits, réduction du personnel de santé ;

- fermeture des structures publiques de proximité ;

- non-accessibilité dans les territoires, manque de médecins, de soignants… ;

- refus de soins ou de nouveaux patients par les soignants ;

- violence contre les soignants ;

- accroissement des inégalités ;

- choix économique des industriels pour les médicaments les plus rentables et abandon du rôle de l’État ;

- conflit d’intérêt entre industriels, politiques, soignants… ;

- gestion des cliniques autour de la productivité financière, et non plus de la qualité des soins ;

- gestion des hôpitaux aux ordres des équilibres financiers définis par l’État, plutôt que de chercher à répondre à des objectifs de service public ;

- inadaptation du remboursement des actes et frilosité de la Caisse Nationale de l’Assurance Maladie pour rembourser les nouveautés thérapeutiques, en dehors de celles qui sont portées par la mode ou par certains médias ;

- contrôle paperassier ou numérique épuisant et conduisant à une perte de temps des soignants ;

- système structuré autour de la T2A (Tarification à l’activité) sans adaptabilité actuellement et conduisant à une course à la rentabilité, aussi bien dans le public que dans le privé, au détriment de la pertinence du diagnostic et du traitement ;

- dévalorisation du rôle du médecin, soi-disant pour améliorer la gestion ;

- formation des directeurs d’hôpitaux… en dehors de la présence des médecins ;

- volonté d’enfermer les médecins dans des prescriptions encadrées, au détriment de la prise en charge personnalisée ;

- réduction de la formation des soignants décrétée sans anticipation des répercussions décisionnelles par rapport également aux changements comportementaux de la société (durée de travail réduite…) ;

- structuration universitaire, dont l’évolution a conduit à l’autosuffisance et au manque d’ouverture ;

- enseignement lent à s’adapter aux attentes de la société ;

- enseignement des techniques au détriment de la compréhension de l’attente du patient-usager ;

- frein administratif à l’organisation des nouvelles pratiques professionnelles ou des réseaux, la plupart du temps mal financés, voire non financés, comme avec la télémédecine susceptible d’être opérationnelle depuis vingt ans et qui n’a pu être validée financièrement que « grâce » à la Covid !

- recherche conçue à travers un passage de commissions successives – pour affiner la demande, dit-on, mais on peut se poser la question de savoir si ce n’est pas pour épuiser les porteurs de projets qui ne sont pas dans des grosses équipes de recherche – ;

- organisation médicale de la hiérarchie hospitalière, qui facilite peut-être la gestion par les directeurs, mais réduit le temps médical disponible (nombre de réunions) et risque de développer une mentalité de guichetier, au lieu d’avoir des chefs de service dynamiques, entreprenants et soutenants pour leurs équipes ;

- réseaux ville-hôpital insuffisamment développés et mal reconnus par le système économique ;

- travail pluridisciplinaire non validé dans le privé comme dans le service public…

Voici quelques-unes des remarques que l’on peut entendre si l’on écoute les critiques venues des administratifs, des soignants, des usagers… chacun repérant la dysfonction du voisin ! Dans cette liste qui n’est pas exhaustive, les uns ou les autres trouveront soit une part de vérité, soit une remarque injustifiée. Quoiqu’il en soit, la réalité de ce vécu difficile est là, et il faut peut-être la regarder en face pour réduire le mal-être entre soignants et usagers, soignants et gestionnaires/gouvernants, et parfois entre soignants…

Alors, que garder, que comprendre pour proposer une démarche ? Est-ce la médecine qui est dépassée par ses résultats ? Est-ce la médecine à laquelle on demande plus que ce qu’elle sait faire ? Sont-ce les changements de la société ? Est-ce une inadaptation de la médecine à la société ? Une inadaptation de l’administration aux changements de la société et aux évolutions de la médecine ?

Est-ce un changement dans le concept de la santé… avec des attentes non justifiées, mais progressivement intégrées par la force des médias qui donnent à voir les résultats extraordinaires et donc rares ? Et malheureusement, pour tout un chacun, l’exceptionnel devient le normal… Ceci conduit à des espoirs démesurés et donc à une certaine violence quand ça « ne marche pas. » Est-ce une inadaptation au niveau de la formation des médecins soignants ?

3 Propositions

Voici quelque quelques propositions possibles, que l’on peut orienter autour de cinq axes :

1. Formations

2. Organisation

3. Partenariats

4. Financement

5. Changements sociétaux

1 Formations

Si l’on veut faire évoluer aussi bien l’accès aux soins que la prise en charge de la santé, la priorité est la formation. Jusqu’à ce jour, celle-ci est structurée sur le concept de discipline, ce qui est efficace pour dépister et traiter une pathologie d’organe, mais laisse souvent le patient désemparé ou meurtri de ne pas avoir été écouté ou compris dans sa globalité. Pourquoi ne pas réorganiser les programmes et les méthodes pour développer un enseignement qui réunisse science et humanisme ?

A. Pour les soignants

a) Insister sur la place du patient-usager-acteur doit déboucher sur une médecine intégrative, conduisant le consultant à un rôle de coacteur thérapeutique. C’est possible si le médecin a intégré une pratique de l’éducation thérapeutique au sein même de sa consultation. Cette éducation doit donc être positionnée dans le parcours thérapeutique de soins, et non plus en option, à côté des soins.

b) Souligner la place du geste, du corps et du vécu, qui ont une place essentielle dans la prise en charge en consultation.

Malheureusement, trop de médecins soumis aux inquiétudes des plaintes pour attouchement n’osent pas examiner, alors même que le sens premier de traitement, c’est «  toucher, prendre contact ». L’enseignement doit porter sur l’éducation à cette prise de contact par le regard, par les mots, le geste, l’écoute dans l’examen clinique et, au-delà du discours ou du geste, par l’empathie, qui devient indispensable.

En effet, on peut avoir un bilan biologique strictement normal, un bilan d’imagerie le plus sophistiqué strictement normal et être porteur de douleurs dont la prise en charge sera inappropriée si le médecin se contente de répondre « Examen normal… Pourquoi vous plaignez vous ?! »

c) Mettre en pratique des méthodes de simulation dans l’enseignement au lit du patient ou lors des consultations, avec un sénior présent, car elles sont essentielles et constituent un réel progrès. Malheureusement, le sénior est d’ordinaire moins présent dans les structures de soins proprement dites, puisqu’il participe aux réunions, le plus souvent pour gérer au mieux le planning des consultations ou du bloc opératoire.

d) Se former à la prescription décidée à partir de l’écoute et de l’examen clinique. Les recommandations constituent un cadre, et c’est au médecin de choisir la séquence thérapeutique la plus pertinente pour son consultant-patient, en accord avec celui-ci et en sachant, au besoin, s’éloigner des recommandations. Un médecin n’est pas là pour « éditer » un traitement informatique, mais construire le meilleur pour son patient. (Référence EBM)

e) Faire évoluer le recrutement des enseignants de faculté de médecine. Complexe et fixé depuis quelques dizaines d’années, le parcours est globalement efficace. Toutefois, il ne laisse pas de porte d’accès à ceux qui « ne se plient pas » aux figures imposées ou n’ont pas bénéficié d’un accompagne[1]ment d’un « patron » ou d’une équipe reconnue dans leurs plus jeunes années. Ce protocole laisse de côté des médecins brillants et le plus souvent reconnus par leurs pairs, que ce soit au niveau de leur recrutement au bloc opératoire ou en consultation, ou par le suivi de leur enseignement.

À côté des PU-PH, pourquoi ne pas avoir des postes de professeurs d’enseignement PE-PH, par exemple, des professeurs associés PA-PU avec une reconnaissance nationale, voire régionale ? Reconnaître la capacité des médecins non universitaires à porter des projets universitaires d’enseigne[1]ment, sans être mis sous la tutelle d’un universitaire parfois moins brillant enseignant…

f) Maintenir et assurer la reconnaissance du statut médical et/ ou universitaire pour protéger les médecins des contraintes administratives non conformes à l’éthique médicale…

A lire aussi : « (Re)penser la France d’après »

Extrait du livre « (Re)penser la France d’après » publié aux éditions Bold

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