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Michel Fize publie « De l’Abîme à l’Espoir: Les années folles du mondialisme (1945-2020) » aux éditions Mimesis
Michel Fize publie « De l’Abîme à l’Espoir: Les années folles du mondialisme (1945-2020) » aux éditions Mimesis
©JOEL SAGET / AFP

Bonnes feuilles

Michel Fize publie « De l’Abîme à l’Espoir: Les années folles du mondialisme (1945-2020) » aux éditions Mimesis. Michel Fize poursuit sa réflexion sur la société contemporaine et dresse un état des lieux des « abîmes actuels » : économiques, sociaux, politiques, écologiques, intellectuels, moraux. Il constate que si l'individualisme est préférable au collectivisme totalitaire, le libéralisme au socialisme d'État, la démocratie à la dictature, les grands principes finissent toujours par être pervertis. Extrait 1/2.

Michel Fize

Michel Fize

Michel Fize est un sociologue, ancien chercheur au CNRS, écrivain, ancien conseiller régional d'Ile de France, ardent défenseur de la cause animale.

Il est l'auteur d'une quarantaine d'ouvrages dont La Démocratie familiale (Presses de la Renaissance, 1990), Le Livre noir de la jeunesse (Presses de la Renaissance, 2007), L'Individualisme démocratique (L'Oeuvre, 2010), Jeunesses à l'abandon (Mimésis, 2016), La Crise morale de la France et des Français (Mimésis, 2017). Son dernier livre : De l'abîme à l'espoir (Mimésis, 2021)

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Le – et non la – politique est désacralisé un peu partout dans le monde. On pourrait à cet égard parler d’une « mondialisation du discrédit ». Longtemps, la politique a offert au politique une légitimité sociale incontestée. Pendant des siècles, au nom de Dieu, elle a régi les sociétés. Et puis, avec la disparition de l’absolutisme monarchique, de la prééminence de l’Eglise, elle s’est démocratisée, « socialisée » autour de l’idée (très religieuse) d’« Etat providence ». Avec l’entrée dans la mondialisation, elle s’est aussi économique[1]ment « libéralisée ». Elle a été envahie par la technostructure, cette « dictature douce » dont parle Michel Maffesoli. Elle est aujourd’hui envahie par la « main invisible » de l’administration. Et de plus en plus par la violence. Être maire aujourd’hui par exemple n’est pas sans souci ni sans danger. Depuis une bonne dizaine d’idées, insultes, injures, lettres anonymes ou calomnies sur internet, voire agressions physiques accompagnent la vie des élus. Qui n’a en mémoire le décès, en août 2019, du maire de Signes (Var), âgé de 76 ans, alors qu’il tentait d’interpeller deux hommes qui déchargeaient illégale[1]ment, depuis leur camionnette, des gravats, se faisait renverser par ce véhicule et décédait sous le choc ? Ce qui permet de redire ici que si les maires restent les derniers à conserver une bonne image dans l’opinion (83 % selon le sondage IFOP d’août 2019), leur autorité est de plus en plus malmenée : la désacralisation les touche aussi.

Alors, lassés, accablés sous les responsabilités, percevant de surcroît de minuscules indemnités, certains finissent par jeter l’éponge.

La politique, dans de nombreuses régions du monde, c’est la démocratie, mais la démocratie est en crise. C’est son habitude à dire vrai. Peut-être même est-ce le propre de ce régime que de connaître des « malaises » (Marcel Gauchet) de façon récurrente ! Et cette crise la conduit souvent à glisser vers des régimes autoritaires, voire totalitaires [il suffit de se rappeler la démocratie allemande tombant dans l’escarcelle nazie en janvier 1933].

Considérons la démocratie française. C’est, comme partout ailleurs, une démocratie plus « formelle » que « réelle », plus autocratique que collective. C’est un contre-sens : il n’est dans l’esprit d’aucune démocratie qu’un seul homme gouverne pour tous, décide au nom de tous. Toute volonté d’un seul, disait Fichte (1762-1814), est despotisme, et tout despotisme doit précisément disparaître. Ne considérons cependant pas le pouvoir macronien comme une dictature. Une dictature en effet est un pouvoir qui repose directement sur la violence et n’est limité par aucune loi ni soumis à aucune règle. Il n’en est pas ainsi sous la Vème République. Quoi qu’il en soit, dans une vraie démocratie, les décisions sont toujours le fruit d’une discussion politique. Il est absurde, disait le même Fichte, de défendre au citoyen d’ouvrir la bouche au sujet des affaires qui le concernent. Au moins faut-il lui reconnaître « un pouvoir de regard et de jugement » (Alain).

Mais arrêtons-nous un instant sur ce concept de démocratie ? C’est un concept familier, que l’on emploie désormais à toutes les sauces politiques : libérale, socialiste, communiste, chrétienne et même populaire. J’ai parlé moi-même, empruntant le terme à Tocqueville, de « démocratie familiale ». Claude Allègre, à sa façon, parlait de démocratie scolaire. En réalité, aucun secteur de la vie sociale ne semble pouvoir échapper à l’« attaque » démocratique. J’ai longue[1]ment développé cette thématique dans L’Individualisme démocratique, j’y renvoie le lecteur qui aimerait de plus amples développements. Bon, comme disait Alain, dans ses Propos du politique, en 1934, « le mot n’est pas clair, et la chose n’est pas toujours bien comprise ».

La référence, bien sûr, quand on évoque la démocratie, c’est l’Athènes du Vème siècle av. J.C. Malgré tous ses défauts : l’esclavage, l’assujettissement des femmes, la démocratie athénienne est le modèle. Elle fut celui des Révolutionnaires de 1789 qui portaient une profonde admiration à l’Antiquité en général, qu’il s’agisse d’Athènes, de Sparte ou de Rome. Les hommes de 1793 avaient une préférence pour Sparte. « Sparte, disait Robespierre, brille comme un éclair dans des ténèbres immenses » (Rapport du 18 floréal-7 mai 1794).

Pendant longtemps, les gouvernances politiques ont été collectives, plutôt démocratiques (mais à leur insu souvent), ne distinguant pas dirigeants et dirigés.

Considérons un peuple traditionnel, celui des indiens Navajos d’Amérique du Nord. Hommes et femmes y prennent les décisions en commun et à l’unanimité, tous les points de vue ayant été exprimés.

Dans nombre de peuples « premiers », dans les tribus anciennes, le collectif prend résolument le pas sur l’individuel. Le cérémonial est simple, les hommes se réunissent le soir au coin du feu et décident de l’organisation de la journée du lendemain. C’est le cas par exemple chez les Bergdames de Namibie ou chez les Bochimans, autre tribu d’Afrique australe. Dans ces sociétés, le chef exerce plus un rôle symbolique qu’un rôle effectif de commandement car les décisions sont prises par un conseil des Anciens. Il est juste demandé au chef de préserver la cohésion du groupe, en réglant par exemple les litiges.

Désacralisation du politique, disions-nous, accompagné aujourd’hui d’un fort discrédit à l’encontre des politiciens. La révolte des Gilets jaunes a confirmé le fossé immense existant entre les citoyens et les élus de la République – président de la République en tête. Les Français, en réalité, veulent de moins en moins être « représentés » car ils n’ont plus confiance dans leurs gouvernants, jugés corrompus, peu respectueux de l’intérêt général, ne connaissant pas leurs problèmes concrets. Et puis le pouvoir représentatif tend nécessairement à dominer la société civile.

Ce procès des politiques est fort ancien. Dans ses Propos sur les pouvoirs, le philosophe Alain pointait déjà la tentation autoritaire guettant tout chef politique. Habité par ses passions, il ne peut que succomber aux malversations, compromissions, etc.

Prenons pour commencer quelques exemples un peu anciens. Jules Favre, nommé ministre des Affaires étrangères dans le Gouvernement de la Défense nationale installé en septembre 1870, aurait, selon le témoignage de Marx, trempé dans une formidable escroquerie. Voilà ce que ce dernier note dans La Guerre civile en France : « cet homme [Favre], dit-il, qui vivait en concubinage avec la femme d’un ivrogne résidant à Alger, était, grâce à l’élaboration de faux des plus audacieux, échelonnés sur de nombreuses années, parvenu à s’emparer, au nom de ses enfants adultérins, d’une succession importante qui avait fait de lui un homme riche, ajoutant que, dans un procès intenté par les héritiers légitimes, il n’avait échappé au scandale que grâce à la connivence des tribunaux bonapartistes. ». Marx cite encore l’exemple de l’autre Jules, Jules Ferry, avocat sans le sou avant le 4 septembre, devenu maire de Paris et qui aurait lui-aussi monté une escroquerie en tirant profit de la famine. Passons à Adolphe Thiers, « homme sans idées, sans convictions et sans courage » selon le même Marx. Lui[1]aussi se serait enrichi frauduleusement de 2 millions durant ses deux ministères sous Louis-Philippe. En mars 1840, occupant alors le poste de président du Conseil, il aurait été directement accusé à la tribune de la Chambre des députés de malversations en Bourse.

Autres exemples. Les anciens combattants de la guerre de 1914- 1918, pendant vingt ans, entre 1920 et 1940, ne vont cesser de fustiger les politiciens « magouilleurs ». Et puis, au milieu des années 1950, Pierre Poujade, prenant la défense des petits commerçants et artisans, va s’en prendre aux parlementaires qualifiés de « ma[1]fia apatride de trafiquants et de pédérastes », l’homme considérant que, d’une manière générale, les hommes politiques ont « perdu tout contact avec le monde réel, tout rapport avec le sens commun. »

L’on pourrait multiplier les exemples. A toutes les époques et en tous lieux, les hommes politiques ont été accusés de corruptions, compromissions, escroqueries, abus de confiance, détournement de fonds publics. Les démêlés de nombre d’entre eux avec la Justice, suivis ou non de condamnations, symbolisent les mauvaises mœurs politiques. Il semble à ce sujet que plus la fonction de pouvoir soit élevée, plus les infractions soient graves.

Le « tous pourris » est aujourd’hui la critique la plus partagée.

Politique : lieu où les hommes ne s’unissent que pour mieux se trahir ensuite. Amitié et politique : deux vrais « faux amis » ! Chacun pour soi. Chacun avec l’autre, le temps de l’utilité de ce dernier – pas un moment de plus.

Les politiciens tiennent à leur fonction faute de tenir à eux-mêmes. Georges Bernanos disait fort à propos que « le monde est au pouvoir de gens qui n’étaient pas faits pour le bonheur. »

Disons-le : en politique, les meilleurs, sans être toujours exclus des premières places, ont plus de mal que les autres à les gagner. Un médiocre qui intrigue s’impose mieux.

C’est sûr les hommes (et femmes) politiques semblent avoir définitivement mauvaise réputation. Reportons-nous à un sondage très récent, celui réalisé par l’IFOP en août 2019. On y apprend – confirmant toutes les études antérieures – qu’un tiers des Français seulement ont une bonne opinion de leurs parlementaires et 38 % de leurs élus en général. Les deux tiers des sondés estiment que les élus gagnent trop d’argent, 55 % qu’ils ont trop de pouvoirs. 67 % considèrent qu’ils ne sont pas proches des préoccupations des gens, 64 % qu’ils ne sont pas honnêtes et 55 % pas compétents.

Naturellement, les lieux où « logent les hommes politiques sont frappés de discrédit à leur tour. Principale cible de l’opinion : les partis, dont on annonce régulièrement la mort. Que de fois, depuis vingt ans, n’a-t-on annoncé celle du parti communiste ? Depuis longtemps, on le sait, ce parti n’est plus qu’un « parti-attrape-rien ». Doublé, il y a quarante ans, par le Parti socialiste, par la volonté de François Mitterrand, dépassé par les Verts qui, malgré leurs inimitiés internes, progressent, eux, de scrutin en scrutin, supplanté un temps par l’extrême-gauche d’Arlette Laguillier et d’Olivier Besancenot (plus de 4 % des voix à la présidentielle de 2007 pour ce dernier), la question se pose depuis de nombreuses années : à quoi sert le PC ? Force est de reconnaître qu’après avoir renoncé à ses ingrédients les plus relevés : « dictature du prolétariat », « centralisme démocratique », avoir tenté la « mutation », le moribond a perdu son prestige d’antan. Ce parti qui, au milieu des années 1990, après avoir condamné le stalinisme, osait enfin se regarder en face, ce parti qui reconnaissait ses erreurs passées, s’est malheureusement, tel Narcisse, laissé séduire par sa propre image. Il est vrai qu’il a aussi très mal été coaché ces dernières années. Des Hue, Buffet et Laurent, il n’y avait pas en effet grand-chose à attendre.

Depuis la présidentielle de 2017, c’est de la disparition du PS dont il est question. Longue histoire compliquée que celle de ce parti. Remontons donc le temps.

1981, on s’en souvient, ce devait être « le grand printemps » de la gauche. Hélas !, le printemps fut court, suivi d’une déception immense.

Il ne s’agit pas ici de faire un bilan des « années Mitterrand » (il a été maintes et maintes fois fait, y compris par les amis du Président – le fameux « droit d’inventaire » de Lionel Jospin), notre propos est autre : montrer que le « mitterrandisme » ne fut qu’une trahison de plus des socialistes français de l’idéal révolutionnaire de rupture avec le capitalisme.

Enième trahison, oui. Guy Mollet, secrétaire général de la SFIO, reconnaissait volontiers (en 1966-1967) que les socialistes, depuis Jules Guesde, n’avaient jamais mis en cause fondamentalement le régime capitaliste. Le socialisme du parti « socialiste » était déjà bel et bien mort avec l’assassinat de Jaurès en juillet 1914. Mais les socialistes ont tenu pire comportement, en alimentant par exemple la politique coloniale. Ne doit-on pas à Guy Mollet la poursuite de la guerre d’Algérie ?

Pourtant, le 24 octobre 1981, Christian Pierret, un proche du président Mitterrand, évoquait encore « une transformation profonde dont le rythme intense montre l’irréversibilité ». On pouvait penser que les importantes réformes décidées à l’été 1981 ouvriraient enfin la voie au vrai socialisme. Les nationalisations n’étaient-elles pas, par nature, l’incarnation de cette autre économie ?

Sur cette question, on le sait, les socialistes ont toujours été divisés. Proudhon, Guesde, Blum n’aimaient guère ce principe de nationalisation. Mitterrand, lui, semble les avoir toujours défendues. Dans son livre Ma part de vérité, il est déjà très clair : « Je juge normal, écrivait-il, de nationaliser les industries pour lesquelles les commandes de l’Etat représentent la quasi-totalité des débouchés : l’armement et l’espace ; les industries qui dépendent des fonds collectifs (produits pharmaceutiques) ; les industries situées dans des secteurs où l’Etat a une responsabilité particulière et où il n’y a pas de concurrence possible (transports en commun et énergie) ni de concurrence réelle (aciers spéciaux) ; les industries qui ne sont pas capables de financer la recherche de leurs équipements (l’informa[1]tique)… La nationalisation des banques, des assurances, réalisée en 1945, a besoin d’être revue, corrigée et complétée ».

Parvenu au pouvoir, le président « à la rose au poing » nationalisa donc plusieurs entreprises : dans le secteur industriel, le groupe Dassault, qui vit pour l’essentiel de commandes militaires, le secteur armement de Matra, les usines Usinor et Sacilor, la CGE, Pechiney[1]Ugine-Kuhlman, Rhône-Poulenc, Saint-Gobain-Pont-à-Mousson, Thomson-Brandt, dans le secteur bancaire, les trois banques déjà sous le contrôle de l’Etat qui vont être nationalisées à 100 %, plus deux autres banques : la Banque de Paris et des Pays-Bas et la Compagnie financière de Suez.

N’était-ce pas là, définitivement, la preuve de la « visée socialiste » du PS ? Non évidemment. Une visée authentiquement socialiste eut voulu que la gestion des nouvelles entreprises fût changée dans un sens plus démocratique, par une meilleure implication des travailleurs dans l’organisation, le fonctionnement et la direction même de ces entreprises. Il n’en fut rien. L’ordre patronal resta bel et bien inchangé.

Aussi doit-on en conclure que le projet du PS n’était pas alors d’établir une France socialiste, c’est-à-dire une France d’où seraient bannies les criantes inégalités sociales ainsi que toutes les formes d’oppression et d’exploitation, une France qui garantirait le bien[1]être à chacun et la sécurité à tous, qui permettrait la libre expression des facultés intellectuelles de tous les Français.

Les réformes profondes et audacieuses du Gouvernement Mauroy furent clairement le résultat de la persévérance et des efforts constants du Parti communiste, après la signature du « programme commun de gouvernement » de 1972 (actualisé en 1977), pour maintenir le cap socialiste. Réformes majeures qui, pour les communistes, étaient le prélude à une véritable transformation sociale.

Le PS de François Mitterrand usa assurément des mots du socialisme : classe, rupture… Au Congrès d’Epinay, le futur Premier Secrétaire n’hésitait pas à déclarer que : « celui qui n’accepte pas la rupture ne peut être adhérent au parti socialiste ». Dans le Programme socialiste de 1980, la rupture avec le capitalisme était explicitement réaffirmée. « Il appartient aux hommes de lutter pour substituer au système économique en place d’autres rapports de production ».

En 1981, le PS affirmait encore ses grands projets : une autre société, « une autre politique et une autre morale », et même « changer la vie ».

Les grosses difficultés commencèrent la décennie suivante. Après la lourde défaite du parti aux législatives de 1993, le président Mitterrand fut d’abord contraint à une seconde cohabitation. Et puis ce fut l’élimination du candidat socialiste, Lionel Jospin, au 1er tour de l’élection présidentielle de 2002.

Rien ne s’arrangea avec la présidence Hollande, surtout à partir de 2014. Tiraillé alors entre « frondeurs » et « modernistes », en déclin électoral, en panne de leadership, les médias s’interrogeaient, demandant brutalement : « Le PS est-il mort ? » (Le Parisien du 26/1014).

De tous côtés, les socialistes appellent aujourd’hui au renouvellement. Certains, comme Christophe Borgel, réclament un « nouveau progressisme » – mot désormais fourre-tout, invoqué de tous côtés, du communiste Robert Hue au libéral Emmanuel Macron en passant par Manuel Valls ou Anne Hidalgo. D’autres, pour tenter de se réconcilier avec l’opinion publique, suggèrent tout simplement de changer le nom de leur parti. Le PCF y avait songé un temps, le PS y pensait encore il n’y a pas bien longtemps. Les socialistes « changeurs de noms » ont finalement quitté leur famille politique, Manuel Valls, qui voulait « bâtir une maison commune de toutes les forces progressistes », s’est exilé à Barcelone, et Benoît Hamon a fondé Générations.s avant de prendre du recul politique après son échec à la présidentielle de 2017. D’autres partis ont fait ce changement de nom, comme l’UMP, devenu par la volonté de Nicolas Sarkozy « Les Républicains » (LR) (5ème changement de nom du parti gaulliste depuis 1958) ou le Front national devenu le Rassemblement national.

Que pensent les Français de ces changements sémantiques ? Interrogés par l’IFOP en octobre 2014, ils se prononcent alors majoritairement contre un changement de nom des formations partisanes, tout en précisant leur préférence pour d’autres appellations. En tête des mots préférés : « Union » (52 %), puis « Rassemblement » (49 %) – du coup, le FN semble avoir fait le bon choix !, « Alliance » (33 %), « Mouvement » (25 %). Les mots « parti » et « front » ne recueillant respectivement que 21 % et 10 % des suffrages. Interrogé à l’Elysée sur ce sujet, en 1991, le président Mitterrand avait eu cette réponse claire : « Il ne faut pas avoir peur de ce que l’on est ».

Où en est réellement la démocratie française avec ses partis politiques ? Les Français sont toujours dans la méfiance à leur égard. Dans « parti », faut-il le rappeler, il y a deux idées à la fois : celle de coupure et de fraction, celle de partage. Réunies, elles aboutissent à cette autre idée qu’un parti est la réunion d’une fraction de citoyens partageant les mêmes valeurs et les mêmes buts.

De multiples reproches, on le sait, sont adressés aux partis, certains étant fort anciens, comme la préoccupation de la quête ou de la conservation du pouvoir, la corruption ou l’enrichissement personnel, les querelles intestines des leaders, la coupure d’avec la réalité sociale, etc.

En fait, le problème des partis n’est ni dans leur nom ni dans leur programme (quand ils en ont encore un). Les partis, d’une part ne répondent plus aux attentes concrètes des citoyens : améliorer leur quotidien, changer leur vie, d’autre part ne correspondent plus à la façon dont les citoyens veulent que la politique soit faite. Comme ils ne désirent plus être « représentés » nulle part, mais veulent au contraire décider eux-mêmes, ils sont dans le rejet de toute structure ou institution, bâtie sur le principe hiérarchique du commandement et de la soumission. Jacques Chirac, en 1976-1977, avait théorisé cette idée. Voici ce qu’il déclarait à l’assemblée départementale de l’UDR de Corrèze, à Egletons, le 3 octobre 1976 : « Les peuples en marche vers la démocratie se sont d’abord débarrassés des barons et des princes qui monopolisaient le pouvoir. Par l’élection, expression périodique de la démocratie, ils ont obtenu de choisir les représentants qui exercent ce pouvoir en leur nom. Le moment est désormais venu où cette forme de démocratie apparaît à son tour insuffisante. Les citoyens veulent aujourd’hui passer de l’exercice périodique de la démocratie à des formes originales de démocratie du quotidien. » Un an plus tard, en novembre 1977, à Paris, Chirac réitère son propos : « Après avoir conquis des institutions représentatives justes et stables, déclare-t-il, les Français veulent aujourd’hui, et de plus en plus, prendre la parole sur les choses de leur vie, faire entendre leur point de vue sur les actes quotidiens qui affectent leur travail, conditionnent leur existence et déterminent leur environnement ».

Goût nouveau pour la démocratie participative entraînant une évaporation des adhérents de toutes les formations politiques. Pour le professeur Maurice Duverger, « les « partis de masse » sont devenus des « partis de cadres », avec de moins en moins de militants. » Il s’agit là d’un phénomène général. Dans la plupart des pays occidentaux, le nombre d’adhérents des partis s’effondre. C’est un premier indicateur du « mal-être partisan ». Les partis en général connaissent donc une baisse de leurs effectifs. Certains ne sont même plus que des groupes d’élus. Partout, les gens ont compris que les partis ne servent plus qu’à désigner les candidats aux élections (qu’ils choisissent de surcroît en leur sein), qu’ils ne portent plus aucun projet politique.

Venons-en aux institutions elles-mêmes, à ce régime de la Vème République dont certains aujourd’hui, à l’image de Jean-Luc Mélenchon, souhaitent le remplacement.

La Vème République est qualifiée de « monarchie républicaine » selon une expression désormais courante, dont la paternité est attribuée à tort au Pr Maurice Duverger : c’est, en effet, Michel Debré, le futur Premier ministre du général de Gaulle qui en est le véritable inventeur. « La France n’a pas le choix, pouvait écrire ce dernier en 1945, son chef de l’Etat ne peut être qu’un monarque… mais un monarque républicain. Treize ans plus tard, Léo Hamon, qui sera lui aussi ministre du général, parlait de monarque électif. » Très tôt, De Gaulle lui-même, grand admirateur de Maurras, attirait notre attention sur cette « espèce de monarchie que j’ai naguère assumée et qu’a ensuite confirmée le consentement général. »

« Monarchie républicaine », l’expression est de toute façon juridiquement impropre. Depuis 1870, en effet, la forme du régime est républicaine, pas monarchique. La France est donc une « République monarchique ».

Sans prétendre ici embrasser la totalité du sujet, nous aimerions cependant, nous penchant d’abord sur l’histoire, montrer comment nous sommes passés d’une République monarchique minimisée (1958-1974) à une République monarchique assumée (1974-2017), puis, plongeant dans la période macroniste (2017 – ?), exposer à grands traits cette République monarchique devenue absolue.

Une « République monarchique » est une république dans laquelle le pouvoir appartient à la personne investie par le suffrage universel, autrement dit le président. Celui-ci devient, par cette onction populaire, le « président-monarque ». Monarque parce que détenteur, en droit ou en fait, de la quasi-totalité des pouvoirs de l’Etat, ce qui fait de ce « monarque » un chef d’Etat plus puissant encore – constitutionnellement parlant – que le président des Etats-Unis, qui, lui, lié par une séparation rigide des pouvoirs, ne peut pas, par exemple, dissoudre la Chambre des Représentants, au contraire du président français qui peut renvoyer l’Assemblée nationale. Le président américain doit partager les prérogatives d’Etat avec les deux chambres.

L’individualisme a aujourd’hui des effets directs sur l’organisation de la compétition présidentielle. Les candidats surgissent comme des champignons, chacun s’estimant, non pas plus apte mais aussi apte que tous les autres (qui sont dans la même estime de soi), à assumer, le moment venu, les plus hautes charges de la République. Déjà, pour 2022, les noms de Michel Onfray, d’Eric Zemmour, et aujourd’hui de l’humoriste Jean-Marie Bigard sont cités. Les « primaires », un tant populaires, tant à droite qu’à gauche, n’ont fait qu’exacerber les égos.

Dans cette « société des individus » (Norbert Elias), chacun, ayant absorbé, de tous ses pores, l’esprit égalitaire, se vit, en toutes choses, l’égal de tous les autres. Alain avait déjà remarqué que les hommes aiment leur propre dignité, c’est-à-dire l’égalité : égalité de vote, égalité devant la loi, égalité dans la rue.

C’est donc la bataille des « egos-égaux ». La conséquence est que l’on fait désormais fi des capacités réelles, des expériences acquises, en un mot des talents et des vertus de chacun des hommes et femmes en compétition. « Président de tous les Français », selon une déclaration convenue de tous les présidents élus, le chef de l’Etat est en réalité « l’homme d’un parti », ou aujourd’hui celui d’un mouvement.

Extrait du livre de Michel Fize, « De l’Abîme à l’Espoir : Les années folles du mondialisme (1945-2020) », publié aux éditions Mimesis

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Un second extrait du livre de Michel Fize sera publié dans les colonnes d'Atlantico le dimanche 21 mars 2021.

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