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"Le traité Théologico-politique" : relire aujourd’hui Spinoza, une réflexion bien utile sur les relations Etat-Religions-démocratie-liberté d’expression-équilibre des pouvoirs… Étonnamment moderne !
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Paul Lelievre pour Culture-Tops

Paul Lelievre est chroniqueur pour Culture-Tops. Culture-Tops est un site de chroniques couvrant l'ensemble de l'activité culturelle (théâtre, One Man Shows, opéras, ballets, spectacles divers, cinéma, expos, livres, etc.).

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Le traité Théologico-politique ou Traité des autorités théologique et politique

De Baruch Spinoza
Garnier Flammarion - 380 pages - 5,80 €

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Thème

Spinoza est déjà frappé de herem, sorte d’excommunication de la communauté religieuse juive, lorsqu’il met sous presse l’un des deux seuls ouvrages qu’il publiera de son vivant, Le traité théologico-politique ou TTP pour les intimes. L’essai sera censuré quatre ans plus tard dans toutes les Provinces-Unies, ancêtres des Pays-Bas, tout simplement parce que son auteur affirme que l’Ancien Testament est une chronique de la vie et des mœurs des Hébreux, de Moïse à la destruction du Premier Temple, écrite dans sa totalité ou presque par l’historien Esdras, que les préceptes qui s’y trouvent peuvent se déduire de la Lumière Naturelle de la simple Raison et qu’avoir une interprétation personnelle des Écritures ou encore de ce qu’enseignent les religions quelles qu’elles soient est une liberté inaliénable, essentielle à la paix de l’État et à la piété même, tant que cette opinion n’est pas séditieuse.

Points forts

-         Dans ce livre, on découvre l’immense courage qu’a eu Spinoza d’oser dire ce qu’il pensait de l’Ancien Testament et de ce qu’en font ceux qui vouent un culte mystique à sa lettre. Il trouvait cela simplement ridicule, cela lui a valu d’être rejeté par sa communauté, mais peu lui importait, ce qu’il était certain d’avoir fondé en raison et justifié avec la rigueur des mathématiques, valait toutes les communautés du monde. La rigueur et la vérité scientifique avant tout, la vérité pas comme un dogme mais comme une hygiène de la vie de l’esprit, de la vie tout court. Au XVIIème siècle et parfois encore aujourd’hui dans certaines contrées ou face à certaines personnes fanatiques, affirmer aussi courageusement ce que l’on pense, comme l’a fait Spinoza dans ce livre, relève de l’héroïsme

-         Le TTP est le premier traité politique de l’époque moderne qui défende ouvertement la démocratie, ça n’est pas rien.

-         Spinoza jette les bases de la laïcité dans cet ouvrage mais aussi de ce que doit être la liberté d’expression qui n’est pas sans limites, la religion doit être étonnamment civique, soumise au pouvoir de l’État, elle le renforce en le justifiant sans pour autant se confondre avec lui, la liberté d’expression est possible jusqu’à ce qu’elle exprime une forme de sédition avec le pouvoir politique de quelque manière que ce soit, alors seulement elle devient acte de rébellion et doit être réprimée. L’État est entendu comme républicain c’est-à-dire gouvernant pour le bien commun, la démocratie en est d’ailleurs, comme évoqué plus haut, la meilleure forme de gouvernement.

-         Le philosophe montre aussi que la séparation des pouvoirs existait dans la constitution de l’État des Hébreux fondée par Moïse. C’est assez poignant de découvrir que cette idée qui nous semble si récente des contre-pouvoirs qui s’équilibrent est en fait si ancienne.

Points faibles

-         Pour un lecteur peu rompu à l’exégèse biblique, certains détails des démonstrations, pourtant limités au maximum par Spinoza, peuvent donner l’impression qu’il y a des longueurs. Mais il ne pouvait faire plus concis, ne serait-ce que par souci de crédibilité et il en fallait pour soutenir de telles thèses si en avance sur leur temps, si audacieuses au regard des dangers qu’elles faisaient courir à leur émetteur.

En deux mots ...

Ce qui faisait la solidité de la constitution que Moïse avait créée, c’est que piété et civisme étaient liés et les contre-pouvoirs étaient savamment pensés pour que chacun, prêtres, souverains et peuple restent à leur place et ne puissent s’accaparer un pouvoir qui n’était pas le leur. La République démocratique peut-elle faire face aux Religions factieuses ou à tous les fanatismes qui rêvent de l’annihiler en recrutant les âmes par un endoctrinement en face duquel son éducation civique fait bien pâle figure… ? La réponse de Spinoza est claire : c’est l’État qui règle et domine les affaires religieuses pour assurer la paix et certainement pas le contraire.

Un extrait

« (…) il n’était pas contraire au Règne de Dieu d’élire une majesté souveraine qui ait dans l’État un pouvoir souverain. Après en effet que les Hébreux eurent transféré leur droit à Dieu, ils reconnurent à Moïse un droit souverain de commander et, seul, il eut ainsi l’autorité d’instituer et d’abroger les lois, d’élire des ministres du culte, de juger, enseigner et châtier et de commander absolument à tous et en toutes choses. En second lieu que, tout en étant les interprètes des lois, les ministres du culte n’étaient qualifiés cependant ni pour juger les citoyens ni pour excommunier qui que ce fût ; ce droit n’appartenait qu’aux juges et aux chefs élus dans le peuple (…) »

L'auteur

Baruch Spinoza (XVIIème siècle) est un philosophe majeur de l’histoire de la philosophie dont la pensée rationaliste est très souvent survolée au lycée notamment sur son aspect déterministe qui donne une dimension toute particulière à la liberté humaine sur le plan métaphysique. Cependant sur le plan politique, les citoyens doivent être libres de penser et de philosopher, d’exprimer leurs opinions, tant qu’elles ne remettent pas en cause le pacte qui les lie à l’État souverain. Ses livres majeurs sont notamment l’Éthique et Le traité théologico-politique.

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Texte et interview réalisés par Rodolphe de Saint-Hilaire pour la rédaction de Culture-Tops.

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