"Binge drinking" : pourquoi les adolescents élevés par des parents surprotecteurs ont plus de chances que les autres d’en arriver à se soûler jusqu’à tomber dans le coma<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Consommation
"Binge drinking" : pourquoi les adolescents élevés par des parents surprotecteurs ont plus de chances que les autres d’en arriver à se soûler jusqu’à tomber dans le coma
©Reuters

Contre-productif

L'hyperalcoolisation cause de plus en plus de problèmes chez les adolescents et les étudiants. Selon une enquête de l'INPES (Institut national de prévention et d'éducation pour la santé) menée entre décembre 2013 et mai 2014, 14% des 15-24 ans et 10% des 25-34 ans se sont déjà adonnés au "binge drinking" au moins une fois dans l’année. Une pratique plus susceptible de toucher les adolescents élevés par des parents surprotecteurs.

Martin de Duve

Martin de Duve

Auteur du livre "Jeunes et alcool, génération jouissance" et responsable d’une association de prévention et de promotion de la santé chez les jeunes et les étudiants, spécialiste des assuétudes et à l’initiative du réseau "Jeunes, alcool & société" en Belgique francophone, Martin de Duve est expert en santé publique et enseigne la promotion de la santé, la communication sociale et les assuétudes dans l’enseignement supérieur. Il mène depuis plus de 15 ans des recherches, des publications et de nombreux projets de prévention à destination des jeunes, des adultes-relais et des responsables politiques sur la question de la consommation de drogues et d’alcool par les jeunes dans une approche globale, non- jugeante et intégrée.

Voir la bio »

Atlantico : Selon une enquête de l'INPES (voir ici), la part des 18-25 ans qui ont connu au moins une ivresse dans l’année est passée de 33% à 46% tandis que ceux qui en ont connu au moins trois a presque doublé, de 15% à 29%. Par ailleurs, ce phénomène toucherait davantage les jeunes élevés par "les parents-hélicoptères". Pourquoi un "parent-hélicoptère", c'est-à-dire un parent veillant d'excessivement près à la réussite et à l'avenir de son enfant, peut-il le pousser sans le vouloir à pratiquer la "biture express", ou "binge drinking" à l'adolescence et plus particulièrement lors de ses études ? Comment l'expliquer ?

Martin de Duve : En premier lieu, il convient de définir ce qu'on met derrière l'expression "parent-hélicoptère". Selon la psychologue pour enfant Florence Millot (voir ici), le rôle normal d’un parent est de donner suffisamment confiance à son enfant pour qu’il puisse aller vers le monde extérieur. Dans le cas des "parents-hélicoptères", c'est-à-dire surprotecteurs, il se produit l’effet inverse : les parents vont chercher à contrôler la vie de leur enfant dans le but de le protéger de tout, là où un parent classique cherche à pousser son enfant vers l’avenir, lui apprendre à prendre des initiatives, à rencontrer des gens, à travailler par lui-même…

Avec les nouvelles technologies, le contrôle de la vie de l'enfant peut être presque total. Le parent peut, par exemple, surveiller son compte Facebook, lui donner un téléphone afin de l’appeler toutes les cinq minutes, surveiller ses notes scolaires à distance avec un système comme "Pronote" ou encore contrôler l’allumage de la télévision depuis leur smartphone.

Les adolescents élevés par des "parents-hélicoptères" ont ainsi plus de chances de pratiquer le "binge drinking" que les autres, car plus une éducation est restrictive pendant l'enfance, plus la rébellion contre l'autorité parentale pendant l'adolescence risque d'être importante.

On peut ainsi faire une analogie entre les "parents-hélicoptères" et le "co-alcoolisme". Le co-alcoolique est une personne proche d'une personne alcoolique, qui l'aide à cacher sa dépendance à l'alcool en palliant à ses manquements sociaux, scolaires, éducatifs, professionnels... Le co-alcoolique pense aider la personne alcoolique, mais en fait il la dessert en l'empêchant de prendre conscience des conséquences de sa dépendance à l'alcool et d'affronter la réalité en face. De la même manière, les "parents-hélicoptères" pensent bien faire en surprotégeant leur enfant, mais ils produisent les réactions inverses de celles recherchées.

Bien sûr, il ne faut pas caricaturer. Un adolescent élevé par des parents surprotecteurs ne finira pas inéluctablement par pratiquer le "binge drinking". Cela dépend de la personnalité de chacun et du contexte dans lequel l'adolescent évolue ; le "binge drinking" ne se pratique pas partout ni avec tout le monde. Cette approche de l'alcool nécessite une initiation, et donc d'avoir certaines fréquentations que tous n'ont pas forcément.

Que signifie pour un adolescent ayant des "parents-hélicoptères" le fait de pratiquer le "binge drinking" ?

Au lieu de simplement se soûler au cours d'une fête, par exemple, un adolescent élevé par des parents surprotecteurs poussera la transgression jusqu'au "binge drinking", qui consiste non seulement à consommer de l'alcool (première transgression) et à se soûler (deuxième transgression) mais aussi à se soûler le plus vite possible, jusqu'à en perdre conscience (troisième transgression).

Si la volonté d'émancipation et les conduites à risques sont constitutives du développement de tout adolescent (le cortex pré-frontal, siège de la raison, n'est mature qu'à partir de 25 ans), le "binge drinking" symbolise pour un adolescent une volonté d'émancipation plus forte et une conduite plus risquée que celle de simplement consommer de l'alcool ou de se soûler avec.

Par ailleurs, les premières transgressions des adolescents passent souvent par la consommation d'alcool, car c'est le stupéfiant répertorié dans leurs corpus idéologiques comme sociologiquement et culturellement le plus acceptable (consommation des adultes, publicité autorisée...) et le plus économiquement et légalement accessible.

Quelle est la bonne attitude à adopter pour éviter que son adolescent ait des comportements à risque tels que le "binge drinking" ?

D'abord, il faut comprendre que plus on prend de l'âge, plus les risques de telle ou telle conduite ou de telle ou telle consommation nous paraissent importants, alors que le propre de la jeunesse est de ne pas avoir conscience de sa fragilité ; peu d'adolescents pratiquant le "binge-drinking" ont réellement conscience qu'ils risquent vraiment d'en mourir.

Ensuite, il faut bien avoir à l'esprit que, comme je l'expliquais plus haut, la volonté d'émancipation et les conduites à risques sont constitutives du développement de tout adolescent.

Fort de ses deux informations, le parent doit accepter que son enfant va très certainement adopter une conduite à risque au cours de son adolescence, tout en sachant qu'il faut aussi absolument chercher à maintenir le dialogue avec lui. Ce n'est pas grave d'être en désaccord avec son enfant ou de se disputer avec lui tant que la communication est maintenue. Cela lui permet d'avoir conscience des limites qu'il franchit, et donc, inconsciemment, d'avoir le réflexe de protéger sa vie et celle des autres. Si le dialogue avec les parents est rompu, l'adolescent pourra ne pas avoir conscience du danger de telle ou telle pratique, et donc mettra plus facilement sa vie et celle des autres en danger. Face à un coma éthylique par exemple, un jeune bien informé des dangers du "binge drinking" le reconnaîtra et aura le réflexe d'appeler les secours avant qu'il ne soit trop tard, tandis qu'un adolescent mal informé pensera que son ami est simplement endormi et n'enclenchera aucune procédure d'urgence.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !