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 L’écolo-fascisme : la théorie raciste qui a inspiré les tueurs d’El Paso et de Christchurch
©Tessa BURROWS / AFP

Ecolo-fascisme

Le tueur d'El Paso et celui de Christchurch ont tous deux posté des manifestes sur le forum américain 8chan dans lesquels ils accusaient les migrants d'être responsables de divers problèmes actuels dont le réchauffement climatique.

Sylvain Boulouque

Sylvain Boulouque

Sylvain Boulouque est historien, spécialiste du communisme, de l'anarchisme, du syndicalisme et de l'extrême gauche. Il est l'auteur de Mensonges en gilet jaune : Quand les réseaux sociaux et les bobards d'État font l'histoire (Serge Safran éditeur) ou bien encore de La gauche radicale : liens, lieux et luttes (2012-2017), à la Fondapol (Fondation pour l'innovation politique). 

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Atlantico : Le tueur d'El Paso et celui de Christchurch ont comme point commun de s'identifier tous deux comme faisant partie de la mouvance "écolo-fasciste". Tout d'abord comment définir cette mouvance d'extrême-droite ?

Sylvain Boulouque : C'est une mouvance qui, pour une tranche particulière, recourt à la violence, notamment la violence physique : ils sont allés jusqu'à tirer sur la population. D'autre part, l'écofascisme est une des branches de ce qu'on appelle plus globalement le mouvement du "Grand Remplacement" qui fait porter la responsabilité des maux actuels : un grand complot mondial qui viserait à remplacer les populations européennes par de nouvelles populations qui seraient plus malléables et dont l'objectif final serait d'asservir les populations (complot juif pour certaines branches d'extrême-droite). La seconde étape de l'écofascisme, c'est de protéger la nature dans l'état le plus proche possible dans lequel elle était dans le XIXe et au début du XXe siècle.

Cette idéologie a été développée par le prêcheur finlandais et dans tous les milieux d'extrême-droite allemands depuis le XIXe siècle : chez Richl et Artnt, deux théoriciens nationalistes allemands qui expliquaient qu'il fallait protéger l'Allemagne telle qu'elle était au XIXe, le protéger de l'industrialisation et des flux migratoires. Ce prêcheur finlandais ne fait donc que reprendre une idée très fréquente et répandue à la fin du XIXe et dans tout le nationaliste allemand du XXe : l'idée d'une protection de la nature, complémentaire de l'idéologie nazie même le nazisme est très industrialiste à côté de ça. Il y a la volonté de revenir à un état de nature, la pureté originelle de l'aryen. Les écofascistes ne font donc que reprendre de théories plus ou moins passées sous silence et qu'ils redécouvrent : le fait que toute une partie de l'extrême-droite ait le vent en poupe leur permet de se développer et de rependre plus facilement leur thèse.

À l'origine de cette idéologie se trouve Pentti Linkola, ancien pêcheur et écologiste finlandais qui préconise, entre autres la mise en place d'une dictature, le contrôle des naissances, la réduction de la population mondiale, l'interdiction de l'immigration... Avec l'accélération du réchauffement climatique note-t-on une recrudescence de cette pensée et des actes s'en réclamant ?

Ce n'est pas le climat en tant que tel qui importe pour eux mais l'argument climatique qui va servir d'arme idéologique. D'une manière globale, comme sur l'ensemble de la planète il y a une montée des nationalismes, les membres de partis nationalistes vont développer des théories diverses et variées sur ce sujet. L'idée est d'articuler le développement de l'extrême-droite à l'échelle planétaire avec certains d'entre eux capables de reprendre les éléments d'un champ théorique oublié et comme les militants d'extrême-droite sont plus nombreux, ces théories germent plus facilement et rapidement.

L'écofascisme est plus présent dans les pays germanophones et nordiques parce que ce sont de vieux thèmes de l'extrême-droite plutôt allemande. On trouvera plus marginalement ce thème-là dans l'extrême-droite française car elle est plutôt climato-sceptique et que ce thème de l'écologie est marginal et confiné à une certaine frange du pétainisme par exemple. En France, pour l'instant, il y a une écologie d'extrême-droite mais l'écofascisme ne s'est pas encore réellement développé, en tout cas ne se positionne pas encore là-dessus. Cela dépend comment les différents groupes se positionnent par rapport à ça. Comme le développement de l'écofascisme a des relents criminels ces derniers temps, il n'est pas sûr que ces théories soient portées. Il y a potentiellement en France un certain nombre de groupes près à pratiquer des tueries de masse, mais les armes ne sont pas en vente libre. On n'est donc pas dans la même configuration qu'aux Etats-Unis ou en Nouvelle-Zélande : il n'y a pas le même rapport aux armes. Le danger potentiel qui pourrait nous guetter est légiféré par la loi.

L'écofascisme est une construction idéologique en cours. Les manifestes que publient les tueurs montrent qu'un certain nombre de personnes en Australie et peut-être même en France sont près à passer à l'acte et vont justifier leur passage à l'acte par un certain nombre de soubassements idéologiques. La dimension écologique dans la définition de l'écofascisme n'est qu'un élément parmi d'autre : le Grand Remplacement, la dénonciation du capitalisme.

Alors qu'extrême-droite rimait jusqu'alors souvent avec climato-scepticisme n'est-ce pas là également une stratégie mise en place par la frange la plus extrême de l'extrême-droite en vue de gagner du terrain (puisque bien des individus sont sensibles à la question écologique) ?

Est-ce qu'un acte terroriste va systématiquement renforcer un groupe terroriste ? Oui pour certains qui seraient près à passer à l'acte. Sinon, ce n'est pas accepté par une grande partie de la population. Même chez les radicaux quand il y a eu des attentats islamistes en France, il n'est pas sûr que cela ait renforcé l'islamisme radical. C'est un couteau à double tranchant : cela peut fasciner un peu plus ceux qui seraient près à basculer. Est-ce que cela renforce la mouvance initiale ? Ce n'est pas certain. En plus, c'est un phénomène relativement nouveau donc on n'a pas le recul pour juger son développement. Tout le monde dit qu'il y a un risque potentiel de plus en plus grand. Y aura-t-il pour autant plus de passages à l'acte ? On ne peut pas le savoir.

Il n'y a pas forcément un lien de cause à effet entre les phénomènes migratoires et le développement de l'extrême-droite. Cela peut se développer dans le discours mais cela reste deux phénomènes assez différents, qui peuvent se rencontrer mais pas nécessairement. Il y a d'ailleurs une inversion du discours de la part de cette extrême-droite écofasciste : les réfugiés climatiques aujourd'hui deviennent les boucs émissaires de quelque chose dont ils ne sont pas responsables car ce sont les pays les moins développés qui polluent le moins. Il y a donc un phénomène d'inversion complète dans ce discours. C'est pour cela que l'écofascisme renvoie à l'idée d'un grand complot : c'est un phénomène faux qui alimente une théorie. On a donc une double inversion de la réalité : cela fonctionne toujours de cette manière dans les théories complotistes. L'accumulation de fausses idées finit par produire du vrai et pousse à l'acte, sinon construit une théorie complètement erronée. 

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