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Taxer les riches : ça n'est pas taxer les hauts revenus !
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Du jamais vu depuis 1981

Une contribution de 1 % ou 2 % pourrait être demandée aux 30 000 personnes dont le revenu fiscal de référence dépasse 1 million d'euros. Avant même la décision de Nicolas Sarkozy à la rentrée, Philippe Derouin, ancien président de l’Institut des Avocats en Conseils Fiscaux regrette un nouvel impôt sur le travail et non sur le patrimoine qui est selon lui le vrai critère de richesse...

Philippe  Derouin

Philippe Derouin

Philippe Derouin est avocat au barreau de Paris, associé chez Skadden Arps et membre du Comité scientifique de la Revue de droit fiscal. Il a publié notamment Droit communautaire et fiscalité (Litec - 2004)

 

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Atlantico : Que vous évoque la possibilité d’un nouvel impôt sur les très hauts revenus ?

Philippe Derouin : Dans ces prélèvements exceptionnels, on note toujours un aspect politique, économique et financier pour manifester la solidarité des personnes les plus favorisées dans les efforts que tout le monde doit faire pour le redressement de l’économie. Ce fut déjà le cas lors de l’arrivée du gouvernement Mauroy en 1981 avec des impositions exceptionnelles sur les revenus de l’année précédente. On a également vu ces taxations des hauts revenus aux États-Unis ou en Angleterre. Donc, dans le principe, cela peut se concevoir. Reste à en voir les modalités. N’oublions pas qu’il y a eu dans la Loi de finance pour 2011, déjà, la majoration du taux d’impôt sur le revenu et sur les plus-values de 1 %... Donc l’augmentation d’impôt a déjà eu lieu. La vraie question est de savoir si l’on va vers une deuxième augmentation dans l’année...

Les impôts sur les riches ne sont-ils pas, par définition, populaires ?

Il y a toujours quelque chose de très tentant à vouloir un nouvel impôt qu’on ne paye pas soi-même ! Rappelons que seulement la moitié des Français paye l’impôt sur le revenu. Ce qui fait de cet impôt, une cible relativement facile... Mais si en plus, on choisit les impôts sur les revenus les plus élevés, cela concerne encore moins de monde. Par conséquent, c’est le genre de mesure, qui peut être aisément populaire ! C’est donc toute la sagesse des gouvernants et des parlements de ne pas se laisser aller à ce genre d’exercice. On doit mesurer quels sont les aspects négatifs que peut comporter la taxation des produits de l’élite économique de ce pays.


Que pensez-vous du fait que ce projet taxerait les revenus et non le patrimoine ?

Je ne suis pas sûr que l’assiette en question, à savoir les revenus, soit la meilleure expression de l’imposition des riches. On peut aussi considérer que la richesse, c’est le patrimoine ! 

Sous-entendez-vous que l’on taxerait déjà trop les revenus du travail ?

Ce sont les gens qui travaillent qui payent l’impôt sur le revenu au taux marginal le plus élevé de nos jours. Le taux de 41 % ne s’applique qu’aux revenus d’activité. Au printemps, la Loi de finance rectificative à modifié - à la marge - la fiscalité du patrimoine en supprimant, notamment, le “bouclier fiscal” et en modifiant le taux de l’ISF. Mais parmi les contreparties qui avaient été imaginées, on a pensé prélever une taxe sur ces revenus accumulés et non taxés... Hélas, le résultat des discussions et des réflexions a été de ne rien faire... Cet impôt  viserait toujours les mêmes personnes. En épargnant toujours ces revenus qui sont "ignorés".

Qu’entendez-vous par des revenus "ignorés" ?

Les personnes moyennement et très fortunées ont les moyens d’accumuler leurs revenus sans les percevoir afin de ne pas être taxées. Un chef d’entreprise ou l’héritier d’une entreprise qui possède des actions d’une entreprise, serait bien bête de se faire taxer sur les dividendes s’il n’en n’a pas besoin pour vivre. Il peut les accumuler sur une Sicav ou une holding qui sert de coffre-fort et dans lequel il puise pour les investissements de son choix. Ainsi, il ne paye l’impôt sur le revenu que sur l’argent dont il a eu besoin pour vivre. Ce qui ne peut représenter qu’une petite partie de l’enrichissement annuel d’une personne fortunée.

Pensez-vous que dans ce cas l’impôt serait inéquitable ?

Dans le principe, la Constitution et la Déclaration des droits de l’Homme nous disent que l’impôt est une contribution à la dépense publique qui doit être répartie de façon équitable entre les contribuables. L’impôt, en lui-même, n’a pas de vertu : il sert à financer les services publics. Mais l'impôt doit être réparti de façon équitable. On doit pour cela déterminer les facultés contributives du contribuables, la progressivité de l’impôt, son assiette, l’existence ou non de niches fiscales pour favoriser tel ou tel comportement économique. Il y a une morale dans l’impôt. On ne peut se satisfaire que l’impôt soit concentré sur une petite partie de personnes qui, étant peu nombreuses, n’ont pas de poids électoral.


Cela vaut-il la peine de lever un nouvel impôt pour 30 000 contribuables et 300 millions d’euros ?

A priori, voter une mesure-phare pour un impôt à destination des personnes aux revenus importants, pour en tirer “seulement” 300 millions d’euros, me laisse dubitatif. Finalement, on doit savoir si on renonce à la mesure parce qu’un impôt pour 300 millions ne sert pas à grand chose. Ou si au contraire, une fois l’impôt voté, on dépassera les 300 millions pour aller jusqu’à 3 milliards...

Cet impôt risquerait-il de coûter trop cher par rapport à ce qu’il rapporterait, comme on l’a reproché à l’Impôt sur la fortune (ISF) ?

On l’a dit de l’ISF mais ça n’a jamais été vraiment chiffré. On sait que l’ISF, en revanche, a créé des coûts non fiscaux. C’est à dire des coûts administratifs pour l’administration, de conseil pour les particuliers qui y sont assujettis. Des dépenses de dizaines de millions d’euros par an qui sont disproportionnées par rapport au rendement de l’impôt. L’ISF est une machine fantastique à faire travailler les notaires, les avocats, les conseils en gestion de patrimoine, les experts-comptables, etc.


Pensez-vous justement que le projet d’impôt sur les 30 000 français les plus riches aura le destin de l’ISF ?

Tout dépend de sa pérennité. S’il est exceptionnel, comme le fut celui du gouvernement Mauroy instauré en 1981 qui majorait l’impôt de 25 %, il ne donnera pas lieu à beaucoup de contentieux. En revanche, si on en fait un prélèvement pérenne, on devra se demander pourquoi on a besoin d’un troisième impôt sur le revenu après l’Impôt sur le revenu proprement dit, la CSG et sa petite sœur la CRDS. Cela n’est pas viable car c’est trop compliqué. Un jour ou l’autre, il faudra fusionner la CSG, la CRDS avec l’Impôt sur le revenu. A plus forte raison, il faudrait fusionner ce troisième impôt !

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