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Plus d'un million d'inscrits aux Restos du Cœur : qui sont ceux qu'on n'y voyait pas avant ?
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Nouveaux pauvres

Les Restos du cœur ont atteint le chiffre redouté d'un million de bénéficiaires en cette fin d'année. Un fait confirmé par d'autres associations comme le Secours Populaire et qui relance les inquiétudes liées à la précarisation de la société française, dans laquelle se retrouvent des personnes qui pourtant occupent un emploi.

Maryse Bresson

Maryse Bresson

Maryse Bresson est enseignant-chercheur en sociologie à l'UFR des sciences sociales et au laboratoire Printemps, UVSQ. Elle est notamment l'auteur de la Sociologie de la précarité, aux Editions Armand Colin. 

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Atlantico : Les Restos du cœur viennent d'atteindre un triste record en dépassant récemment le millions de bénéficiaires. Cette tendance à la hausse inquiète alors que la France est passée de 7.9 millions de pauvres en 2008 à 8.6 millions en 2012. Quel est le profil de ces "nouveaux pauvres" qui sont tombés dans la précarité au lendemain de la crise ?

Maryse Bresson : Les associations qui produisent des données statistiques produisent aussi des analyses. Le Secours Populaire par exemple, qui a mené une enquête en septembre 2013, insiste sur l’augmentation du nombre de femmes, en particulier de femmes célibataires qui ont des difficultés accrues pour payer leur loyer. L’étude annuelle du Secours catholique sur la pauvreté parue en novembre 2012 soulignait aussi que les familles monoparentales sont plus touchées (elles constituent 31% des bénéficiaires) avec des conséquences sur la pauvreté des enfants ; il évoquait également la situation des femmes de 55 à 65 ansqui ont des difficultés de retour à l’emploi. Plus largement, de plus en plus de seniors se retrouvent aujourd'hui dans un risque de situation de précarité.

En novembre 2013, la même association observait dans son nouveau rapport annuel une nouvelle hausse du nombre de bénéficiaires avec toutefois un peu moins de femmes et donc plus d’hommes et aussi d’enfants. Par ailleurs, elle proposait le chiffre de 10% de bénéficiaires diplômés du supérieur, en augmentation constante depuis 2003 ; ou encore, de 33% des bénéficiaires d'origine étrangère 15% des bénéficiaires ayant un travail qui ne suffit donc pas à couvrir l’ensemble des dépenses.

Ces chiffres ne peuvent être vus cependant comme représentatifs de la pauvreté en général, chaque association ayant ses “filtres”, assumés ou non et accueillant un public particulier. Les SDF dont la situation est la plus extrême ne peuvent ainsi se rendre dans les Restos du Cœur à cause des justificatifs qui leurs sont souvent demandés (revenus, identité….), ce qui les incite généralement à se rabattre vers la Soupe Populaire. Cependant, incontestablement, ces données peuvent dégager certaines réalités sur la pauvreté en France.

En particulier, je retiendrais l’existence avérée de bénéficiaires qui ont un travail qui est une conséquence directe du développement de la précarité de l’emploi. Les contrats précaires sont notamment les CDD ou bien encore les temps partiels. Robert Castel, sociologue et auteur en 1995 de La Métamorphose de la question sociale, a ainsi souligné le développement du "précariat" au sein du salariat. Ce constat n’est pas nouveau mais il reste d’actualité, la crise en plus. 

Henriette Steinberg, responsable au sein du Secours Populaire, s'était émue le mois dernier des "profils inédits [qui] se tournent vers nous : chefs d'entreprise en faillite, petits commerçants qui doivent fermer leurs boutiques...". Peut-on dire que la précarisation s'est aujourd'hui étendue à toute une partie de ce que l'on appelle traditionnellement la "classe moyenne" ?

Ils ne sont plus de fait dans la classe moyenne si l'on prend la définition de revenus, en particulier dans le cas des Restos du Cœur puisque seuls les petits revenus y ont accès. Si l'on évoque les anciens de la classe moyenne tombés aujourd'hui dans la précarisation, il est clair que cette tendance est une réalité. La précarité de l’emploi ne concerne pas seulement les ouvriers ou les employés mais aussi notamment les classes moyennes ; Celles-ci se précarisent, notamment à travers des difficultés de logement, ce qui est là encore, difficile à évaluer statistiquement mais a également été souligné par une association, la Fondation Abbé Pierre en février 2011.

Dans une veine similaire à M. Castel, Louis Chauvel avait ainsi bien démontré dans "La dérive des classes moyennes" en 1995 que les catégories socio professionnelles jusque-là épargnées voyaient de plus leurs enfants rencontrer des difficultés dans leurs parcours universitaires ainsi que dans la recherche d'un emploi. Cela n'est donc pas entièrement nouveau et relativement déconnecté de la crise de ces dernières années.

L'augmentation actuelle est-elle particulièrement alarmante en comparaison de celle des vingt dernières années ? Peut-on clairement distinguer un "effet crise" ?

La question du chiffre de la pauvreté et donc, aussi, de son évolution est une question difficile, à la fois pour des raisons scientifiques et bien sûr, à cause des enjeux politiques qui brouillent le débat.

Pour bien chiffrer, il faut d’abord définir ce sur quoi porte l’évaluation. Selon l’Observatoire des inégalités, en France, un individu peut être considéré comme pauvre quand ses revenus mensuels sont inférieurs à 814 ou 977 euros (données 2011) selon la définition de la pauvreté utilisée (seuil à 50 % ou à 60 % du niveau de vie médian). La définition de la pauvreté n’est donc pas objective mais arbitraire et conventionnelle, or les conventions sont variables dans le temps et l’espace. Cette définition est aussi relative, puisqu’elle dépend du niveau de vie médian (c’est-à-dire telle que la moitié de la population a un niveau de vie inférieur et l’autre moitié un niveau supérieur) : or depuis ces vingt dernière années, la France a continué de s’enrichir. Donc le revenu médian a augmenté et avec lui, le seuil de pauvreté. Cela implique, comme le rappelle là encore, l’observatoire des inégalités, que les pauvres d’aujourd’hui sont plus riches que ceux d’hier, mais la société a aussi changé : les besoins ne sont plus les mêmes. Sans développer davantage, ces problèmes de définition sont bien connus des statisticiens et des sociologues et rendent difficile de prétendre comparer de manière fiable la pauvreté dans le temps.

Par ailleurs, des organismes comme l’INSEE ont des moyens pour réduire, à défaut de les neutraliser, les biais statistiques. Mais les dernières données de l’INSEE datent de 2010. Les chiffres des organismes de pauvreté comme les Restos du cœur sont nécessairement moins fiables que ceux de l’INSEE et de plus, ils ne disent pas l’évolution de la pauvreté en général puisque tous les pauvres n’ont pas recours au Restos du cœur : pour en être bénéficiaire, il faut avoir un logement, il y a des conditions de barêmes, des justificatifs à produire... L’augmentation de la pauvreté est donc difficile à démontrer scientifiquement et ses proportions particulièrement compliquées à évaluer.

Cependant, il est peu douteux aujourd’hui que l’augmentation de la pauvreté est réelle. Les chiffres des associations sont un indicateur important, révélateur surtout parce que leurs chiffres sont convergents – le Secours Catholique par exemple, mais aussi le Secours populaire et la Fondation Abbé Pierre observent aussi une augmentation du nombre de leurs bénéficiaires.

Cette tendance à l’augmentation ne date pas de cette année, mais selon l’INSEE, elle est récente. Plus précisément, d’après les données de l’INSEE de 2010, la pauvreté monétaire relative avait augmenté et retrouvé cette année-là son niveau de 1997. Elle concernait 8,6 millions de personnes, soit 14,1 % de la population en 2010 contre 13,5 % en 2009.

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