Nulle et archi nulle : pourquoi la formation professionnelle en France ne profite pas à ceux qui en ont vraiment besoin<!-- --> | Atlantico.fr
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La formation professionnelle ne bénéficie pas à ceux à qui elle est destinée.
La formation professionnelle ne bénéficie pas à ceux à qui elle est destinée.
©Reuters

Black money

Alors que le président Hollande a dit vouloir la réformer, notre pays consacre chaque année 32 milliards d'euros à la formation professionnelle. Une bonne partie de cette somme colossale ne bénéficie pourtant pas à ceux à qui elle est destinée.

Jean-Luc Touly

Jean-Luc Touly

Jean-Luc Touly est syndicaliste. Il est aujourd’hui chez Sud, après avoir été pendant près de 30 ans à la CGT, et également délégué syndical FO chez Veolia. Il est l’auteur de L’argent noir des syndicats (Fayard, 2008) et reste, par ailleurs, conseiller régional en Ile-de-France d’EELV.

Il a publié, en septembre 2013, le livre Syndicats: corruption, dérives, trahisons chez First Editions.

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Atlantico : Le président Hollande a annoncé ce matin vouloir rénover la formation professionnelle dont les 32 milliards annuels bénéficient plus aux travailleurs qu’aux chômeurs. Pire encore, comme l’ont montré des extraits du rapport Perruchot ainsi que le livre L’argent noir des syndicats, une bonne partie de ce budget atterrit dans les poches des mauvaises personnes notamment des syndicats. Comment expliquer ce phénomène et comment les syndicats s’y sont-ils pris pour capter cet argent ?

Jean-Luc Touly : Avant tout, il est important de dire que la mesure voulue par Hollande serait salutaire pour une partie des gens car elle permettrait de faire en sorte que la formation professionnelle profite enfin plus aux chômeurs qu’aux travailleurs. Ensuite, comme nous l’avions effectivement montré dans notre livre et comme l’a montré une commission d’enquête parlementaire qui n’a jamais véritablement vu le jour, une partie de cet argent finit par être capté par les organisations syndicales. En effet, les structures qui collectent cet argent sont nombreuses et laissent donc la place à autant de dérives qui d’une manière ou d’une autre détournent l’argent de son but initial. Ces derniers recevant de moins en moins de cotisations et manquant parfois cruellement de financement, ont commencé à se servir là où ils le pouvaient pour des motifs idéologiques. Je ne crois pas que cela ait jamais eu de but d’enrichissement personnel mais cela s’est malgré tout répandu notamment à cause de l’absence de contrôle. Les organismes de formation professionnelle, géré de manière paritaire par les représentants syndicaux et d’entreprises, se sont donc révélés pratiques pour ce genre de méthodes tout en entrant pas dans une dimension dramatique de détournements de fonds. Tout le monde a donc fermé les yeux.

Au niveau du mécanisme, puisque les organismes de formation professionnelle sont dirigés de manière paritaire, deux systèmes parallèles se sont développés. D’une part, il y a eu de très importants gonflements des divers frais de fonctionnements tels les frais de bouche, les frais de transports ou encore les frais de téléphone. Ces derniers n’étant presque pas, voire pas du tout, contrôlés, ils augmentaient chaque année. D’autre part, lorsque les diverses formations étaient organisées, y étaient inscrits bien plus de gens que ceux qui y participaient réellement. On ne faisait pas voter les morts mais on facturait les absents. Parfois, on inscrivait des gens qui n’étaient même pas au courant et parfois plus discrètement on émargeait trois jours pour des gens qui n’avaient suivi qu’une demi-journée de formation. Le plus étonnant dans tout ça c’est l’accord tacite qui semble exister entre les entreprises et les syndicats pour que tout cela fonctionne pendant aussi longtemps. A l’époque où j’ai écrit le livre, le budget de la formation professionnelle était de 26 milliards alors qu’il est aujourd’hui de 32 milliards, c’est vous dire l’augmentation. Pour autant, cette augmentation ne peut absolument pas être directement imputée à ces pratiques. Celles-ci sont d’ailleurs très difficiles à chiffrer puisque très différentes les unes des autres et étant faites bien souvent de toutes petites dépenses accumulées.

Un meilleur contrôle et/ou une réduction du nombre d’établissement de formation pourraient-ils limiter ce phénomène ?

Cela pourrait sans le moindre doute limiter les fraudes car comme je l’évoquais précédemment plus vous multipliez les organismes plus vous multipliez les détournements potentiels. Ce chiffre incalculable d’organismes de formation n’a d’ailleurs que peu d’intérêt et même s’il ne fournit pas un potentiel d’enrichissement exceptionnel cela permet tout de même de créer un financement illégal non négligeable. Je ne parle même pas du contenu de la formation pour lesquels on choisit bien souvent des permanents des structures syndicales qui sont déjà supposément rémunérés, qui ont des autorisations d’absence quand ils sont dans la fonction publique et qui se retrouvent donc à toucher la rémunération de l’intervenant qui est alors captée par le syndicat. Je pense pourtant sincèrement qu’il y a eu très peu de véritables tentatives d’enrichissement personnel. Les gens qui ont participé à ce genre d’action l’ont essentiellement fait pour le bien de leur organisation et ont placé tout cela derrière des raisons idéologiques. Malgré tout, cela n’enlève rien au fait que c’est illégale surtout quand il s’agit de quantités d’argent importantes. Il faut donc absolument réduire et contrôler comme n’importe quelle structure qui reçoit de l’argent par exemple les syndicats qui selon  moi ne sont pas encore assez contrôlé. On encadre tous le reste, nous avons des commissaires aux comptes pour les entreprises alors pourquoi est-ce que nous ne contrôlerions pas de la même façon, et en tout cas avec plus de rigueur les organismes de formation professionnelle. Je pense surtout que, peut-être jusqu’à aujourd’hui, les gouvernements ne voulaient pas légiférer car c’était un moyen de se contrôler les uns les autres. Puisque les entreprises en croquaient et les syndicats aussi personne ne parlait. Or cela remet notamment en cause la sincérité des organisations syndicales puisque leur financement n’est plus aussi indépendant que ce qu’il devrait être. lI faut selon moi, à défaut d’être totalement indépendant, que le financement des syndicats soit totalement transparent sans quoi ils trompent profondément leurs adhérents. 

Une internalisation complète de la formation des travailleurs et donc une séparation totale entre celle-ci et celle des chômeurs pourrait-elle améliorer la situation ?

Normalement, nous ne devrions pas avoir besoin de cela car si les choses étaient bien organisées et correctement contrôlées, il n’y a aucun problème à mettre au sein d’un même organisme des formations professionnelles à destination des chômeurs et des travailleurs. Quant au fait d’internaliser totalement la formation en la contraignant à se dérouler au sein même de l’entreprise, il est probable que d’autres dérives d’une autre forme se mettraient en place. Ainsi plutôt que ce genre de mesures géographiques, la réduction du nombre d’organismes et un contrôle renforcé de toutes les parties prenantes dans la formation professionnelle devraient déjà nettoyer tout cela.

On parle beaucoup de la taxe d’apprentissage dont l’usage a souvent fait scandale mais quels sont les autres systèmes de fuite de l’argent de la formation professionnelle ?

Sans aucun doute les partis politiques dont j’ai vu les dérives de mes propres yeux. Quand c’est à échelle individuelle cela n’a l’air de rien mais ce sont ces gouttes d’eau qui finissent par former un océan. Une fois encore, et c’est culturel, je pense que les gens qui émargent un peu trop ne le font pas nécessairement à des fins d’enrichissement personnel. En général, cela correspond plutôt à une logique de gain pour la structure politique à laquelle on appartient et donc à terme de la faire gagner. Comme au sein des organisations syndicales, on capte peu à peu des sommes monstrueuses dont l’absence finit par porter préjudice à d’autres. Le fait que le président de la République veuille légiférer est donc une excellente nouvelle mais la question reste de savoir si nous allons véritablement y mettre les moyens. En effet, ce ne serait pas la première fois que les politiques prétendraient vouloir éviter les dérives d’un système mais n’en mettent pas les moyens nécessaires en œuvres pour des raisons de budget, de crise ou autre. 

Propos recueillis par Jean-Baptiste Bonaventure

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