Mercosur : ces avantages cachés dont personne n’ose vous parler<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Des agriculteurs bloquent la jonction des autoroutes A35 et A36 près de Mulhouse, dans l'est de la France.
Des agriculteurs bloquent la jonction des autoroutes A35 et A36 près de Mulhouse, dans l'est de la France.
©Sébastien Bozon AFP

Atouts du libre-échange

La conclusion d'un accord de libre-échange avec les pays du Mercosur ferait nettement augmenter les exportations de l'industrie européenne et permettrait de reprendre des parts de marché face à la Chine.

Jean-Luc Demarty

Jean-Luc Demarty est ancien Directeur Général du Commerce Extérieur de la Commission Européenne (2011-2019), ancien Directeur Général Adjoint et Directeur Général de l'Agriculture de la Commission Européenne (2000-2010) et ancien Conseiller au cabinet de Jacques Delors (1981-1984; 1988-1995).

Voir la bio »

Atlantico : Quels sont les principaux arguments en faveur d’un accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Mercosur ? Quels sont ses principaux atouts notamment sur le plan économique ? Le fait de ne pas signer l’accord ne va-t-il pas nuire aux intérêts de l’Europe ?

Jean-Luc Demarty : Le Mercosur est la cinquième zone économique du monde en taille économique en dehors de l’UE, avec des droits de douane élevés sur les produits industriels et des barrières à l’entrée importantes dans le secteur des services. En outre le Mercosur n’a aucun accord de libre-échange (ALE) avec d’autres pays significatifs. A l’entrée en vigueur de l’accord, l’UE bénéficiera d’importants gains liés à son statut de premier arrivé, notamment l’élimination de 4 milliards d’EUROS de droits de douane pour les entreprises européennes. Le Mercosur est également riche en matières premières essentielles pour la transition énergétique.

En outre, il ne faut pas négliger la dimension géopolitique de cet accord dans le monde fracturé qui s’annonce pour longtemps. A côté de l’ALE il y a également un accord d’association politique négocié en parallèle. Si cet accord n’est pas conclu d’ici 2025, il est à craindre que la porte soit refermée pour toujours. Ce serait une tragédie pour l’Europe dont la présence deviendrait rapidement négligeable sur le marché du Mercosur. La France y a même certainement un intérêt plus élevé. En effet le Mercosur est une des rares zones du monde où la France a un excédent commercial important, de l’ordre de 4,5 milliards d’EUROS en biens et services.

Pourquoi cette question est souvent détournée des enjeux réels, notamment sur le plan économique, à travers des biais idéologiques, par exemple sur les normes environnementales ?

Tout d’abord, depuis 15 ans, tous les ALE ont une nouvelle architecture avec un important chapitre développement durable. Tous les partenaires de l’UE doivent s’engager à ratifier et appliquer les principaux accords multilatéraux en matière d’environnement et les conventions clefs de l’OIT. C’est ainsi que l’UE a pu contraindre la Corée à ratifier trois conventions de l’OIT.  Par ailleurs la notion de clause essentielle a été introduite, couvrant les droits de l’homme et la non-prolifération des armes de destruction massive. La violation significative de l’une de ces clauses est suffisante pour justifier une suspension de l’ALE correspondant.

La principale nouveauté est l’ajout de l’accord de Paris sur le climat dans les clauses essentielles de tous les nouveaux accords depuis 2020. J’avais lancé l’idée en décembre 2017 dans une lettre du Président Juncker au Président Macron. Le gouvernement français a repris l’idée à son compte, en prétendant que c’était son idée comme le font tous les gouvernements français en pareil cas avec la formule consacrée arrogante habituelle « à l’initiative de la France ». Finalement l’arrivée de la nouvelle Commission Européenne, sous la Présidence d’Ursula von der Leyen, a permis d’adopter définitivement le concept en 2020 dans tous les nouveaux accords. La Commissaire suédoise au commerce de 2014 à 2019, Cecilia Malmström, principale opposante à la clause, avait alors quitté Bruxelles.

L’ajout de l’accord de Paris sur le climat aux clauses essentielles est un des principaux points à régler dans la négociation de l’ALE avec le Mercosur. Pour l’UE il s’agit d’une question fondamentale qui n’est pas négociable. Il en est de même du règlement déforestation qui prohibe l’importation de produits issus de la déforestation et du mécanisme d’ajustement carbone à la frontière (MACF). Pour le moment le Mercosur prétend pouvoir suspendre l’accord si ces deux dispositions lui étaient appliquées. C’est évidemment inacceptable. L’accord comprend également un protocole détaillé sur la déforestation.

Il est clair que, si l’accord est conclu, l’environnement sera très bien couvert. Prétendre conditionner la conclusion de l’accord Mercosur au respect d’autres clauses miroir dans le domaine de l’environnement au-delà de la lutte contre le changement climatique et de la déforestation n’est pas sérieux. On ne voit pas très bien pourquoi le Mercosur accepterait de telles clauses alors qu’il n’obtient qu’un accès très limité à environ 1% de la consommation de l’UE pour la viande bovine, la volaille et le sucre par des contingents tarifaires. En outre il faut rappeler que les agriculteurs de l’UE bénéficient de 40 milliards d’EUROS d’aides au revenu, 7 pour les agriculteurs français, précisément pour couvrir les écarts de coûts de production et d’exigences environnementales avec les pays tiers. C’est chercher à obtenir le beurre et l’argent du beurre avec pour objectif probable de bloquer la négociation.

Enfin il faut rappeler que tous les produits entrant sur le marché de l’UE doivent respecter ses normes sanitaires et phytosanitaires sans exception. Les produits animaux doivent être garantis avoir été produits sans recours aux hormones, ni à d’autres activateurs de croissance, en particulier les antibiotiques. Les produits végétaux sur lesquels sont utilisés des pesticides interdits dans l’UE pour des raisons de santé sont généralement de facto interdits par la fixation de niveaux maximaux de résidus inférieurs au seuil de détection. Le principe de précaution s’applique. Cela signifie que l’UE conserve la possibilité d’appliquer des règlementations plus sévères qu’à l’entrée en vigueur de l’accord.

Prétendre aller au-delà de l’ensemble des conditions mentionnées plus haut relève de la mauvaise foi politicienne.

Les inconvénients perçus de l'accord sur les secteurs français de la viande bovine et de la volaille vont-ils attiser la colère des agriculteurs ? Cela va-t-il impacter les élections européennes en juin prochain ?

Le Mercosur pose une difficulté particulière parce qu’il est la zone la plus compétitive du monde pour les produits agricoles les plus sensibles de l’UE, plus particulièrement en France, la viande bovine, la volaille et le sucre. C’est pourquoi d’énormes précautions ont été prises avec la fixation de contingents tarifaires à droits de douane faibles ou nuls autour de 1 % de la consommation totale de l’UE. Au-delà de ces quantités, les droits de douane normaux et dissuasifs s’appliquent. Cela signifie que ces contingents fonctionnent de facto comme un plafond absolu.

L’effet d’importations supplémentaires à ce niveau sera négligeable, sauf pour la viande bovine. Ainsi les importations supplémentaires de volailles seront inférieures à l’accroissement d’une année de la consommation de volaille de l’UE. Pour la viande bovine dont la consommation stagne ou décroît, la production baisserait de 0,5 à 1% et le prix de 2 à 2,5%. Cela n’a rien à voir avec les catastrophes annoncées mais n’est pas négligeable pour des agriculteurs qui ont les revenus parmi les plus faibles de ceux des agriculteurs français. D’après mes calculs il suffirait de verser une enveloppe annuelle de 100 millions d’EUROS aux producteurs français de viande bovine extensive qui utilisent nos magnifiques prairies permanentes, fierté de nos paysages et puits de carbone.

On peut comprendre que les agriculteurs concernés soient mécontents de la perspective de l’accord Mercosur, même si d’autres agriculteurs français vont en profiter très significativement dans les secteurs des produits laitiers et des vins et spiritueux. Comme déjà indiqué précédemment leurs problèmes ont une solution surtout si le gouvernement français s’attaque enfin sérieusement au problème fondamental de l’agriculture française, son manque de compétitivité par rapport à ses concurrents de l’UE.

Renoncer à l’accord Mercosur au nom de difficultés agricoles surmontables et d’ampleur sans commune mesure avec les gains globaux de l’accord serait une erreur stratégique majeure à laquelle tous les gouvernements français depuis 25 ans nous ont malheureusement habitués, obsédés par leur courtermisme keynésien. Toutefois il serait prudent politiquement de ne pas conclure l’accord avant les élections européennes dans un tel climat surchauffé.

En quoi l'approfondissement des liens avec les pays du Mercosur permettrait de réduire les risques de l'UE et d’assurer sa diversification de liens économiques en dehors de la Chine ? Des retards dans la signature de cet accord de libre-échange ne vont-ils pas bénéficier à la Chine ?

En 20 ans la part de marché de l’UE au Mercosur a été divisée par deux, passant de 35 à 18 % au bénéfice exclusif de la Chine. Sur la même période l’UE a pu maintenir ses parts de marché avec les autres pays d’Amérique Latine avec lesquels elle a un ALE : Mexique, Chili, Colombie, Pérou, Equateur, Amérique Centrale. En cas de conclusion de l’accord d’ici 2025, l’UE sera la seule à avoir un accès préférentiel au marché du Mercosur. Cela lui permettra de reprendre rapidement des parts de marché à la Chine qui continuera à payer des droits de douane élevés qui atteignent par exemple 38% dans le secteur automobile. Il n’y a aucune perspective que le Mercosur conclue un ALE avec la Chine qui effraie le monde entier. L’Australie a pu mesurer que son ALE avec la Chine ne l’a pas protégée une minute de mesures de rétorsion commerciales massives, en violation grossière de toutes les règles du commerce international.

Ne pas conclure cet accord d’ici 2025 serait un énorme cadeau à la Chine et accepter un déclin inexorable de l’UE. Ce serait la fin définitive de l’accord dont le Mercosur n’acceptera pas de prolonger indéfiniment la négociation. Ce serait également faciliter le projet prométhéen de la Chine de s’assurer le contrôle des matières premières stratégiques qu’elle cherche à mettre en œuvre de l’Afrique à la Nouvelle Calédonie en passant par l’Indonésie.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !