Le nouveau visage de l'exil fiscal, celui des classes moyennes supérieures qui partent dans d'autres pays européens<!-- --> | Atlantico.fr
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"La France se vide de ses "Bac+10" et se remplit de "Bac-10".
"La France se vide de ses "Bac+10" et se remplit de "Bac-10".
©Reuters

Les rats quittent le navire

Grande-Bretagne, Belgique, Italie, Suisse et plus récemment Portugal. Aujourd'hui, l'exil ne se veut plus uniquement fiscal et c'est tout un pan d'une France aisée, éduquée, entreprenante, vertueuse dans la dépense et motivée par le travail qui s'exile (première partie).

François Tripet

François Tripet

François Tripet est avocat fiscaliste.

Avocat au Barreau de Paris depuis 1978, il est essentiellement un " patrimonialiste international " qui, avec son équipe, apporte son concours et son assistance à plus d'un millier de familles réparties sur les cinq continents.

François Tripet est l'auteur de l'ouvrage de réference "Droit Fiscal Francais et Trusts patrimoniaux Anglo-saxons " ( LITEC, 1989 )

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Les raisons qui poussent les exilés à partir sont le plus souvent dictées par un environnement fiscal délirant qu'aucun politique n'a le courage de réformer. De ce point de vue, certains pays d'Europe paraissent attractifs. Les motifs qui ne feront pas revenir les exilés sont profondément ancrés dans notre paysage national. Résultat, la France se vide de ses "Bac+10" et se remplit de "Bac-10".

Le Syndicat des Impôts vient de déclarer que les exilés ont un impact marginal sur l'économie, faisant écho au ministre des Finances qui chiffre à moins de 1000 par an les contribuables soumis à l'ISF qui s'exilent . Cela rappelle Honecker qui, voyant s'enfuir des milliers de ses compatriotes par les brèches hongroise et autrichienne quelques mois avant la chute du mur de Berlin, déclarait : "nous ne verserons pas une larme pour eux" . La première vertu des gouvernants, en matière fiscale, est l'aveuglement. En 2000 ans d'histoire, on ne trouvera guère que Ciceron, Sully, Montaigne et Necker qui aient fait preuve de lucidité fiscale. Depuis cinq ans, la France vit une hémorragie sans précédant que nombre de médias complaisants s'efforcent de nier avec une application toute scolaire.

Mais revenons d'abord aux définitions car on confond trop souvent  "exilés", "expatriés" et "émigrés".

  • L'expatrié est celui à qui l'on ordonne de s'installer à l'étranger : sa présence permet de relayer la France sur les théâtres d'opération extérieurs où se nouent les valeurs ajoutées.

  • L'émigré est celui qui s'en va, faute de trouver un travail dans son pays : il maintient le contact avec la métropole, y revient souvent à l'âge de la retraite quoique de plus en plus d'émigrés deviennent des exilés (Les Kennedy ont fuit l'Irlande affamée...pour ne plus y revenir !).

  • L'exilé est celui que les lois de son pays contraignent à partir : juifs d'Espagne en 1492, huguenots français en 1685 ou Rothschid en 1981. L'exilé fait la fortune du pays d'accueil et le déclin du pays intolérant. Ce constat historique ne souffre pas d'exception. Dans le cas de la France, on assiste depuis 2005 à une augmentation significative des exilés et, depuis 2011, à une prodigieuse accélération du nombre des émigrés .


En Europe, les destinations sont principalement la Grande Bretagne, la Belgique, l'Italie, la Suisse, tout récemment le Portugal. Les entrepreneurs se dirigent plutôt vers la Grande Bretagne, les retraités vont s'installer au Portugal, les gens aisés préfèrent Londres, Bruxelles et la Suisse. L'accroissement des flux est véritablement impressionnant : 130 000 Français en Grande Bretagne en 2007, près de 500 000 aujourd'hui.

Les raisons qui poussent les exilés à partir sont le plus souvent dictées par un environnement fiscal délirant, fruit d'un système fiscal unanimement reconnu comme profondément malade et inadapté, qu'aucun politique n'a pourtant le courage de réformer ! Les destinations de la Belgique, du Royaume-Uni  et du Portugal sont prisées en raison d'attractivités fiscales dans le domaine de l'imposition de la fortune, des plus-values ou des droits de succession. Les candidats ont souvent plus de 50 ans et disposent d'un patrimoine supérieur à 4 millions d'euros. Ils ne partent pas "seulement" avec leur patrimoine mais aussi avec leur pouvoir de décision et leurs réseaux qui sont les atomes grâce auxquels se nouent les affaires.

Les émigrés sont massivement des jeunes diplômés ou de jeunes entrepreneurs : ils vont vers l'Europe du Nord. Cet exode est totalement inédit, postérieur à 2008, profondément inquiétant par son ampleur (à noter qu'un récent sondage révèle que près de la moitié des jeunes diplômés ne se voient aucun avenir en France !). Ce phénomène fait songer, dans une certaine mesure, à l'Iran des années 1960 où l'excellence du système universitaire jetait des quantités de diplômés sur le marché du travail d'une économie incapable de les absorber, les poussant à émigrer massivement vers l'Amérique du Nord et l'Europe.

Certains analystes pensent que ce phénomène récent ne sera pas durable et que le retour à la prospérité économique aura tôt fait de convaincre les brebis déçues de revenir dans la "mère-patrie". Comme la plupart des politiques (souvenez vous de Philippe de Villiers, Alain Juppé ou Nicolas Sarkozy avec leur fameux slogan "France, love it or leave it" !), ces analystes commettent la lourde erreur de croire que la France est si "unique" qu'un Français ne pourra pas longtemps s'en passer ! Les nouvelles générations n'ont aucun attachement à la "patrie" et n'ont même pas l'amour de leur langue maternelle, préférant s'en remettre aux repères de la "world civilization" pour s'en sortir concrètement .

En revanche, les motifs qui ne les feront pas revenir sont profondément ancrés dans notre paysage national : l'instabilité des lois et des règles du jeu, l'omniprésence d'une administration paralysante, l'égalitarisme fanatique qui fait de l'aisance financière ou de la réussite une obscénité sociale.  Messieurs Moscovici et Cazeneuve, Grands Argentiers de France, viennent de nous en administrer la preuve éclatante : ils ont osé se vanter d'avoir mis en place 58 mesures liberticides visant à définitivement éradiquer la fraude et l'évasion fiscales, sans se rendre compte qu'ils offrent ainsi aux jeunes générations la promesse de faire de la France le second goulag de la planète, après la Corée du Nord ! Il ne leur suffisait pas que la France soit le seul pays au monde où le communisme ait réussi, encore fallait-il la transformer en première prison planétaire !

Il est déjà loin le temps où "l'exil" ne s'accouplait qu'avec "fiscal", permettant à Bercy de proclamer que toutes nos souffrances ne pouvaient venir que de ces êtres asociaux baptisés du nom de "fraudeurs". Aujourd'hui, c'est toute un pan d'une France aisée, éduquée, entreprenante, vertueuse dans la dépense, motivée par le travail  qui s'exile. Il importe peu de savoir s'ils sont 500 000 ou 5 millions et qu'il en reste encore 60 ou 65 millions à demeurer au pays. Le navire se vide de ses "Bac+10" et se remplit de "Bac-10", laissant le capitaine désemparé, un peu à la manière d'un pédalo qu'un méchant coup de vent menacerait de couler au milieu du bassin des Tuileries...

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