Insécurité : augmenter les effectifs des forces de l'ordre sans renforcer la réponse judiciaire ne sera pas suffisant<!-- --> | Atlantico.fr
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238 nouvelles brigades de gendarmerie seront implantées d'ici à 2027.
238 nouvelles brigades de gendarmerie seront implantées d'ici à 2027.
©Caroline BLUMBERG / POOL / AFP

Réponse pénale

Le gouvernement a dévoilé ce lundi la liste des nouvelles brigades de gendarmerie créées d’ici 2027. De nombreuses interrogations demeurent sur le plan judiciaire.

Matthieu Valet

Matthieu Valet

Matthieu Valet est commissaire de police et secrétaire national adjoint du Syndicat Indépendant Commissaires Police.

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Arnaud Lachaize

Arnaud Lachaize

Arnaud Lachaize est universitaire, juriste et historien. 

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Atlantico : Le Président de la République a donné ce lundi le détail de l'implantation de 238 nouvelles brigades de gendarmerie d'ici à 2027. Emmanuel Macron a affirmé que celles-ci "ont été conçues avant les émeutes mais elles contribueront à y répondre". Est-ce une réponse directe aux dernières émeutes qui ont également éclaté dans les zones rurales? 

Matthieu Valet : Nous avons avant tout besoin d'enquêtes judiciaires approfondies et d'une présence renforcée des forces de l'ordre. Augmenter le nombre de policiers et de gendarmes sur la voie publique est toujours positif, même si cela ne sera probablement pas suffisant. Notre principal défi réside dans le manque de réponses pénales fermes. Il est impératif d'instaurer des peines planchers, car les violences ont augmenté ces trois dernières années vis-à-vis des forces de l’ordre. Il est nécessaire d'effectuer un véritable travail au sein du système judiciaire et avec les magistrats pour que les interpellations aient un réel impact. 

En zone gendarmerie, où les territoires sont très vastes, il est essentiel que les brigades soient mobiles. L'annonce d'Emmanuel Macron est donc bienvenue. Il est important de souligner que les gendarmes couvrent 80% du territoire français et 20% de la délinquance, tandis que les policiers interviennent sur 20% du territoire et 80% de la délinquance.

Arnaud Lachaize : Les émeutes de juin 2023 se sont caractérisées par leur généralisation sur tout le territoire français. 66 départements ont été concernés et 516 communes contre 25 départements et environ 200 communes lors des violences urbaines de 2005. Pour autant, ce sont le plus souvent des villes moyennes de plus de 10 000 habitants, situées en zone police qui ont été les plus touchées. Les émeutes de juin 2023 sont restées urbaines ou para-urbaines pour l’essentiel. On ne peut pas dire que les territoires ruraux, c’est-à-dire les campagnes, aient subi des dommages importants du fait des émeutes. Cela ne veut pas dire que ces territoires ruraux, les campagnes, ne sont pas touchés par la délinquance mais il s’agit d’une délinquance itinérante faite de vols, cambriolages, agressions, en forte hausse comme partout ailleurs, plutôt que de destructions volontaires à caractère insurrectionnel. Ces créations de brigades traduisent la volonté de donner un signal aux populations du monde rural face à la montée de la délinquance quotidienne qui les frappe. C’est aussi une manière de compenser la communication gouvernementale sur la répartition des migrants dans les campagnes. Pour schématiser la position du pouvoir actuel, « les problèmes doivent être partagés », selon les termes du président, mais les moyens pour y faire face aussi…

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Cependant, quelles sont les limites des déclarations d'Emmanuel Macron ?

Matthieu Valet : La politique d'Emmanuel Macron a été insuffisante en ce qui concerne la Police Judiciaire, qui n'a pas bénéficié d'un renforcement adéquat. La PJ a pleinement démontré son efficacité en procédant à des arrestations de gros dealers et de criminels, y compris à l'étranger. Dans de nombreuses zones envahies par le trafic de stupéfiants, comme Lille ou Marseille, cela revêt une importance capitale.

Quels éléments pourraient accompagner la mise en place de ces 238 brigades afin de garantir la cohérence du système de sécurité ?

Matthieu Valet : En tant que policier, je pense qu'il est essentiel de mettre en œuvre des mesures matérielles, humaines et techniques. Parallèlement, des mesures judiciaires, telles que l'instauration de peines planchers, sont nécessaires. De plus, de nombreux policiers ont peur d'utiliser leur arme et il est impératif de renforcer leur protection juridique. En effet, chaque fois qu'un policier sort son arme, des questions sur la légitime défense se posent. Les émeutes, ainsi que les récents incidents à Paris lors de manifestations, mettent en évidence le fait que malgré le déploiement accru des agents sur le terrain, ces derniers ne peuvent pas agir pleinement. En outre, le système judiciaire doit être plus proche des policiers tout en étant évalué en fonction du nombre de condamnations pénales et de classements sans suite. Lorsque les mêmes individus sont interpellés à répétition et qu'ils sont libérés sans conséquences, cela peut donner l'impression que notre action est peu efficace.

L'idée des brigades mobiles de gendarmerie, qu'est-ce que vous en pensez?  

Arnaud Lachaize : On n’est pas en train d’inventer les gendarmes mobiles qui sont depuis toujours un élément clé de la politique de maintien de l’ordre au même niveau que les CRS. Alors bien sûr, le pouvoir politique voudrait renforcer ces moyens. Ces nouvelles brigades mobiles pourraient être affectées à tout moment et à tout endroit pour des missions de prévention et de maintien de l’ordre public, y compris en milieu urbain d’ailleurs car les frontières police/gendarmerie s’effacent pour ce type de mission. Il me semble que pour le coup, cette réforme vise à réagir le plus rapidement possible à des événements du type de juin dernier. Ensuite, il faut une formation spécifique pour préparer les gendarmes à des missions de ce type. On favorise la polyvalence entre missions de sécurité publique de la gendarmerie et celles de maintien de l’ordre, ce qui est sur le plan technique, plutôt intéressant mais marginal au regard des enjeux de sécurité. 

Comment jugez-vous la cohérence de la politique d'Emmanuel Macron en matière de sécurité depuis 2017? Puis depuis 2022? 

Arnaud Lachaize : Emmanuel Macron ne s’est jamais vraiment intéressé aux questions de sécurité qui n’étaient pas sa priorité. Son intérêt naturel le porte plutôt aux questions économiques et financières – ce qui n’implique pas forcément qu’il ait mieux réussi dans ces domaines qu’ailleurs. On est loin de Nicolas Sarkozy qui tenait, à un rythme mensuel, des réunions de police à l’Elysée qu’il présidait lui-même en présence des ministres concernés et des hauts responsables de la police. De fait, l’insécurité s’est fortement aggravée sous les mandats de François Hollande et d’Emmanuel Macron mais de manière inégale selon les secteurs. Par exemple en 2022, les statistiques sont catastrophiques en ce qui concerne les violences contre les personnes : les homicides (+8%) soit 948 victimes ; les coups et blessures volontaires sur personnes de 15 ans ou plus (+15%) ; les violences sexuelles (+11%) ; les escroqueries (+8%).  1,3 million de ménages métropolitains ont déclaré avoir été victimes d'une escroquerie bancaire en 2022. Mais franchement, on ne peut pas parler d’une ligne spécifique sous les deux présidences Macron. Même à l’époque de M. Hollande et Valls ministre de l’Intérieur, on avait tenté de faire quelque chose à travers la création des « zones de sécurité prioritaires ». Sous Macron, on s’est beaucoup contenté de petites phrases contradictoires, entre un garde des sceaux qui a estimé que la France n’était pas un coupe gorge et que le sentiment d’insécurité était pire que l’insécurité et un ministre de l’Intérieur condamnant « l’ensauvagement ». Pour le reste, la politique est absolument illisible. On a peine à discerner une initiative, une réforme importante en matière de sécurité. Au fond, c’est un peu comme tout le reste : il s’agit de personnaliser une politique à travers un homme chargé de l’incarner, en l’occurrence M. Darmanin. Et aussi la quête de bons mots comme « la sécurité, première des politiques sociales » ou la lutte contre la drogue comme priorité absolue. Mais peu importent la réalité des actions sur le terrain et les résultats obtenus. Depuis six ans, la politique sécuritaire est inexistante. A Damazan ce 2 octobre, le président a communiqué sur la sécurité en milieu rural, comme il communique tous les jours, sous tous les prétextes et sur tous les sujets possibles et imaginables. Sans plus.

Quand vous regardez l'implantation des unités de gendarmerie par région, qu'est-ce que ça dit de la stratégie développée par l'exécutif?

Arnaud Lachaize : Multiplier les brigades dans les régions rurales est une manière de rassurer la population. Au fond, c’est le principe même, au niveau des campagnes, de la police de proximité. On s’attaque, conformément à la pensée du Garde des Sceaux, au sentiment d’insécurité davantage qu’à la délinquance. Avoir une unité de gendarmerie non loin de son domicile rassure. Sur le plan de l’efficacité, la réponse est moins évidente. Qui dit création de brigade dit immobilisation d’effectifs importants pour assurer la permanence et donc moins de présence effective sur le terrain, moins de moyens d’intervention. Sur le plan de l’efficacité des forces de l’ordre, la multiplication des locaux et leur éparpillement n’est pas toujours la meilleure réponse.

Quand on regarde les chiffres de la délinquance et des violences en France, que dire à ceux qui disent "c'est de la faute de Sarkozy parce qu'il a supprimé la police de proximité" ? 

Arnaud Lachaize : C’est un cliché qui a la vie dure depuis 2012. Nous avons eu 12 ans de politique de M. Hollande et de M. Macron, qu’est-ce qui les empêchait de réintroduire la police de proximité si c’était vraiment la solution miracle ? En réalité, la police de proximité créée sous Lionel Jospin a tourné au désastre. L’insécurité a bondi en quelques années au point que l’ancien Premier ministre de Jacques Chirac a dû reconnaître après son échec à la présidentielle  - éliminé au premier tour par Jean-Marie le Pen – sur la sécurité, nous avons été naïfs. Effectivement, on a multiplié les postes de police dans les quartiers sensibles mais cela revenait à immobiliser des effectifs considérables pour les tenir et détourner les policiers du terrain. Il en est de même sur le nombre de policiers : Sarkozy a été férocement attaqué pour avoir réduit le nombre de policiers mais de fait, celui-ci a été stable de 2002 à 2012 et surtout, le nombre de policiers et de gendarmes n’est pas le remède miracle à l’insécurité. En 2021, Avec 3,3 policiers (et gendarmes) pour 1 000 habitants, la France se situe au-dessus de la moyenne européenne et de l'Allemagne avec un indice de 3. Au Royaume-Uni, cet indice est de 2,1 pour l'Angleterre et le pays de Galles, contre 3,2 pour l'Ecosse et 3,6 pour l'Irlande du Nord. La France est-elle pour autant moins criminogène que l’Allemagne ou l’Angleterre ? Evidemment non.  L’insécurité a des causes beaucoup plus difficiles à traiter que de mettre des policiers et des gendarmes partout, en particulier la question de la réponse pénale qui est absolument cruciale. A ce sujet, avec les peines planchers pour les récidivistes, créées en 2007, abrogées sous Hollande et jamais restaurées sous Macron, Sarkozy a été le dernier président à essayer de faire quelque chose.

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