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2024, l’année du retour de la Nation
©Damien MEYER / AFP

Enjeux 2024

S’il est un mot qui reviendra fréquemment dans l’année 2024, ce sera sans doute celui de Nation, ne serait-ce que parce que plusieurs évènements conduiront nécessairement à en user. Mais cela le sera sous formes opposées, dont on peut se demander si elles ne sont pas devenues irréconciliables dans notre pays

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Inné ou acquis ? Une nation est-elle une donnée, venue du temps long, et qui évolue lentement sans se renier, ou n’est-elle, au contraire, que le mythe créé de toutes pièces par lequel un pouvoir assoit sa domination sur un territoire en fédérant grâce à lui sa population ? Son existence traduit-elle la reconnaissance par un groupe d’individus bien précis de liens et de solidarités qui préexistent à un projet qui ne sera jamais vraiment que celui de perdurer dans son être, ou est-elle cimentée par l’adhésion d’un groupe d’individus interchangeables à un même idéal de vie en commun, un contrat que l’on peut signer et dénoncer selon ses désirs ? Primordialisme ou constructivisme ? Conservatisme ou progressisme ? Ces deux approches vont se confronter tout au long de 2024. 

L’un des chocs majeurs entre les deux conceptions de la nation aura lieu bien sûr lors des élections européennes de juin 2024. Elles poseront à nouveau, plus crûment encore peut-être l’an prochain que précédemment, au vu de la dérive fédérale des institutions de l’Union, la question de l’effacement des nations, réduites à n’être que des nationalitésfolkloriques après le transfert de leur souveraineté à l’Union. « Est est, non non », la souveraineté est pourtant entière ou n’est pas, et ne peut être partagée, contrairement à ce que prétend depuis son arrivée au pouvoir Emmanuel Macron, chantre assumé d’une souveraineté européenne toujours plus étendue. Europe des nationalités contre Europe des Nations, compétences attribuées à l’Union contre compétences réservées aux nations souveraines, État-membres réduits à n’être que de structures administratives fédérées ou États nations n’entendant pas abdiquer devant cette « gouvernance », ces deux conceptions s’affronteront à nouveau en juin 2024.

Mais ce ne sera pas le seul moment où s’opposeront deux approches de la nation, car tout aussi forte sera l’exaltation de la vision progressiste de cette dernière au moment des Jeux olympiques. Plus encore qu’avec la Coupe du monde de rugby en effet, les tenants de la nation comme projet comptent visiblement présenter à un monde supposé admiratif un spectacle d’où auront cette fois été soigneusement bannis bérets et baguettes, celui d’une nation arc-en-ciel et futuriste. La nation des Jeux olympiques se résumera pourtant au plateau festif d’une capitale Potemkine d’où l’on aura soigneusement retiré les verrues, un monde prétendument ouvert, mais en fait réservé aux happy fews qui pourront circuler dans les zones sécurisées grâce à leur QRCode, l’autre France étant invitée à venir la regarder sur les écrans géants des fanzones où elle se fera racketter par des « supporters anglais ». Loin de se féliciter d’avoir ainsi contribué à l’image de la supposée grandeur de notre pays, dont le gouvernement et les médias voudront les persuader qu’elle existe encore, il est à craindre que nombre de Français ne ressentiront que la honte de la voir symbolisée par cette nation Airbnb, qui se croit start up nation mais n’est qu’ubérisée.

Car à bien y regarder, qui croit vraiment à cet avenir radieux de la nation-projet ? À part l’infime minorité de quelques progressistes exaltés, ni ceux qui entendent simplement cacher sous le tapis du mythe une réalité quotidienne sur laquelle ils n’ont plus de prise, pour rester encore quelque temps au pouvoir, ni ceux qui comptent simplement importer leur propre monde sur les débris de l’ancien. La question reste donc, une fois dans notre histoire, celle du possible « sursaut national ».

Certes, entre fragmentation des revendications dans un individualisme consumériste et effacement des repères communs, entre abrutissement médiatique et confinement dans les réseaux sociaux, ne semblera bientôt rester de l’ancienne nation qu’une classe d’ilotes coupés de leur histoire. Et pourtant, en France comme partout en Europe, semble se manifester la nostalgie d’une philia disparue, et cette dernière peut servir de ciment à des unions dirigées contre ceux qui veulent effacer le passé. Sursauts nationaux « actifs » que ceux des Gilets jaunes ou que ces autres révoltes spontanées que l’on voit naître, et contre lesquels le pouvoir politico-judiciaire applique une répression sans faille, quand le pouvoir médiatique les dénonce de sa suffisance moralisatrice. Mais sursauts nationaux « passifs » cette fois, à ne pas négliger, que les taux d’audience ridicules des émissions ou films de propagande présentant l’image idyllique de la France de demain, que l’anomie électorale, ou que le mépris affiché dans les sondages envers l’oligarchie qui dirige le pays.

Comme pour d’autres formules, l’excommunication de la nation et de son corolaire, le nationalisme, ne semble aujourd’hui plus efficace politiquement. La mise en accusation d’un nationalisme toujours belligène ne convainc pas ceux qui ont vu d’improbables coalitions internationales apporter la paix par les bombes. Sur la scène internationale d’ailleurs, ce sont bien les nations qui sont présentes et se renforcent, en Asie, en Afrique, en Amérique, et il n’y a guère qu’en Europe qu’existe cette volonté de les placer sous tutelle administrative. La mise en accusation d’un nationalisme nécessairement discriminant ne touche, elle, qu’une minorité de la population, quand le besoin d’une appartenance identitaire, manifesté par une majorité, rencontre les déterminants culturels nationaux. 

Dans un environnement qui semble devenir de plus en plus conflictuel, la nation apparaît bien alors comme « le plus vaste des cercles communautaires qui soient (au temporel), solides et complets », et, comme tel, éminemment protecteur. C’est d’ailleurs aussi à cause de cette permanence de la forme nationale, comme pour sembler répondre aux inquiétudes que suscite son effacement, que le thème de nation est maintenant surjoué par un certain nombre de progressistes, mais autour de leur nation-projet bâtie sur une table rase. 

Quelle peut être la forme proprement politique que prendra la confrontation entre ces deux approches de la nation, et quelle sera son évolution dans les prochaines années, nul ne le sait. Mais 2024 verra très certainement le retour au cœur des débats intellectuels et politiques de ce mot qui parle si fort à nos imaginaires. 

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