Les Européens et le sauvetage de leurs retraites : les Français aussi lucides que les autres mais à la traîne sur les efforts à consentir<!-- --> | Atlantico.fr
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Les Français sont tiraillés entre la nécessité d'une réforme et le refus des sacrifices personnels.
Les Français sont tiraillés entre la nécessité d'une réforme et le refus des sacrifices personnels.
©Reuters

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Alors que Jean-Marc Ayrault vient d'annoncer un allongement des cotisations pour tous les assurés sans hausse de la CSG, la réforme des retraites reste un sujet épineux dans notre pays. Historique de l'évolution de l'opinion sur la question.

Jacques Bichot

Jacques Bichot

Jacques Bichot est Professeur émérite d’économie de l’Université Jean Moulin (Lyon 3), et membre honoraire du Conseil économique et social.

Ses derniers ouvrages parus sont : Le Labyrinthe aux éditions des Belles Lettres en 2015, Retraites : le dictionnaire de la réforme. L’Harmattan, 2010, Les enjeux 2012 de A à Z. L’Harmattan, 2012, et La retraite en liberté, au Cherche-midi, en janvier 2017.

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Plus que jamais, la réforme de notre système de retraites est un enjeu politique et économique. Dossier central dans notre pays depuis la première réforme d'Edouard Balladur en 1993, qui avait été discrète, la réforme des retraites provoque inquiétudes, prises de conscience et mouvements depuis 1995 et le projet d'Alain Juppé. Nos concitoyens sont en effet tiraillés entre la nécessité d'une réforme et le refus des sacrifices personnels.

Question : Selon vous, la réduction des déficits de l'Etat et de celui de la Sécurité socialeest-elle, aujourd'hui pour la France, quelque chose de...

Question : Personnellement, seriez-vous tout à fait favorable, plutôt favorable, plutôt opposé ou tout à fait opposé au report de deux ans de l'âge de votre départ à la retraite ?

« Français, quels sacrifices ?» Sondage Ifop – L’Express – Europe 1, réalisé les 12 et 13 octobre 1995 auprès d'un échantillon de 944 personnes de 18 ans et plus, représentatif de la population, selon la méthode des quotas.

Quels sont les principaux systèmes de retraites qu'utilisent nos voisins européens ? Comment fonctionnent-ils, notamment ceux sont pris en exemple de la Suède et de l'Allemagne ?

Jacques Bichot : Premièrement, nos voisins nordiques, germaniques et anglo-saxons utilisent davantage les fonds de pension et autres systèmes de retraites par capitalisation. Pourtant les Français sont des champions de l'épargne, financière et immobilière, mais ils rechignent (comme nos voisins méditerranéens) à la dédier en grande proportion à la préparation de leur retraite. Le MEDEF a raison de dire que des progrès seraient souhaitables en la matière.

Deuxièmement, en répartition, il existe trois types de régimes : par points (Suède, Allemagne, en partie Italie, France et Europe centrale) ; contributifs par annuités (Royaume-Uni, Espagne, en partie France et Italie) ; non contributifs par années de résidence (Pays-Bas).

Troisièmement, on pourrait faire une distinction entre les pays qui ont un régime par répartition unique (Suède), ou très dominant (Allemagne), ou qui évoluent vers cette formule (Italie) et ceux qui ont une multiplicité de régimes (trois douzaines dans le cas français).

Le régime Suédois, depuis 2001, est un régime par points, mais en général on dit "en comptes notionnels". En fait tout régime par points tient les comptes de points de ses clients, que ce soit l'ARRCO en France, la Deutsche Rentenversicherung en Allemagne ou la Suède. Mais les points sont très différents, ainsi que les règles de fonctionnement. La Suède a des points minuscules, appelés "couronnes notionnelles", dont le prix d'achat est fixe : une couronne (qui vaut environ dix centimes d'euros) cotisée donne une couronne notionnelle sur le compte. À l'autre extrémité, le point allemand est "Kolossal": il faut une année de cotisation au salaire moyen pour en obtenir un. Les points ARRCO ou AGIRC ou IRCANTEC sont entre les deux.

Les règles d'acquisition des points peuvent différer selon les pays. En Suède et en Allemagne, cotiser n'est pas le seul moded'acquisition : élever un enfant procure aussi des points, ce qui n'est pas le cas dans les régimes complémentaires français. Un système de retraites par répartition rationnel, attribuant les droits à pension au prorata de ce qui prépare les retraites futures, à savoir les investissements réalisés dans la jeunesse, ne peut guère fonctionner que par points.

Les règles de passage des points ou des carrières à la pension consistent le plus souvent (sauf en France depuis 1982, année où toutes les règles de bon sens ont été remplacées) à calculer une pension de référence à un âge dit "pivot", par exemple 65 ans, puis à multiplier cette pension de référence par un coefficient dépendant de l'âge. Ce coefficient est évidement inférieur à l'unité si la pension est liquidée avant l'âge pivot, et supérieur si la liquidation s'effectue plus tard : c'est le principe de la neutralité actuarielle, qui rend l'équilibre financier du régime indépendant de l'âge moyen au départ. Dès lors, il n'y a plus aucune raison pour que l'État se mêle de pousser les gens à travailler plus longtemps : chacun est responsable, s'il veut toucher davantage chaque mois il sait qu'il lui faut différer son départ, et s'il veut partir tôt il sait qu'il aura des mensualités plus faibles ; à lui de choisir ("retraite à la carte avec neutralité actuarielle"). La Suède et l'Allemagne ont adopté cette formule, qui donne satisfaction.

Ces systèmes sont-ils en place depuis longtemps ou comme le notre ont-ils été souvent réformés ? Sont-ils un sujet de discorde politique et sociale comme en France ou les réformes sont-elles acceptées facilement ?

En Allemagne le système concerne 80 % de la population : il reste des régimes spéciaux. En Suède il est universel. Outre-Rhin, il a été mis en place pour partie en 1992 et pour partie au début de ce siècle. Sociaux-Démocrates et démocrates-chrétiens ont les uns et les autres contribué à son élaboration, qui a débuté avec le Chancelier Kohl, et s'est achevée (pour l'essentiel) avec le Chancelier Schröder. Celui-ci a cependant dû à contrecœur, poussé par ses troupes, faire abroger la dernière loi retraite de la précédente majorité, qui introduisait une formule de calcul de la valeur de service du point tenant bien compte du rapport retraités sur cotisants ; mais quelques années plus tard, ayant acquis une assise suffisante, il a fait voter une loi allant exactement dans le même sens. Et auparavant il s'était offert le luxe de faire voter un texte instaurant des bonifications pour l'épargne retraite, et imputant quasiment le coût de ces bonifications sur la valeur du point.

En Suède, la réforme a été discutée pendant près de dix ans par une commission mixte composée à parité de parlementaires de droite et de gauche, et présidée par le ministre des affaires sociales. Cette commission a traversé deux alternances, et a fini par trouver un terrain d'entente, laquelle s'est concrétisée par la loi cadre de 1994. En 1998 ont suivi les lois et décrets techniques, et il a fallu attendre 2001 pour que les systèmes informatiques et le personnel soient en mesure de faire basculer le système des annuités aux points, de façon semble-t-il parfaitement réussie.

La France a donc une, deux ou trois décennies de retard par rapport à ces deux pays. Elle peut, bénéficiant de leur expérience, aller plus vite, mais il faudra quand même compter un quinquennat complet : une loi-cadre votée (par le Parlement ou par référendum) en début de quinquennat, des lois et décrets techniques deux ans plus tard, et le grand basculement dans un système unifié par points juste avant les élections présidentielles et législatives suivantes, ce serait un très bel exploit.

Question : De laquelle des deux opinions suivantes êtes-vous le plus proche, ou disons, le moins éloigné ?

"Réforme des retraites, ce que les Français souhaitent". Sondage Ifop - Notre temps réalisé les 25 et 26 février 1999 auprès d'un échantillon de 952 personnes de 18 ans et plus, représentatif de la population, selon la méthode des quotas.

Les inquiétudes des Français quant à l'évolution du régime des retraites concernent deux leviers essentiels : l'augmentation de la durée des cotisations à laquelle 62% des Français sont défavorables en 2003, et le recul de l'âge de départ à la retraite auquel la même année 68% sont défavorables. Le débat est-il centré sur les mêmes questions à l'étranger ? Les systèmes utilisés le recentre-t-il vers autre chose ?

Durée de cotisation et âge légal de départ sont des notions archaïques, il est stupide de se battre sur ce terrain. Dans un système à la carte avec neutralité actuarielle on peut avoir besoin d'une loi pour modifier l'âge pivot, mais le paramètre de commande principal, la valeur du point, est modifié par des décisions de simple gestion, en conformité bien sûr avec des règles définies par la loi. C'est un peu comme le taux d'intérêt d'une banque centrale : il n'est pas fixé par le Parlement ! Nous avons fait le saut pour l'indépendance de la Banque centrale, reste à dépolitiser de la même façon la gestion des retraites.

Dans les deux pays dont nous avons le plus parlé, il ne semble pas que la population soit comme en France excitée à défendre des positions intenables en matière de retraites. Hommes politiques et syndicalistes sont probablement moins démagogues. Et en Allemagne la Deutsche Rentenversicherung ne perd pas une occasion d'expliquer à ses cotisants que la démographie du pays implique forcément une diminution de la générosité des retraites par répartition, si bien qu'ils ont intérêt à épargner davantage pour compléter la retraite qu'elle leur versera. On est à des années-lumière de l'attitude rassurante des pouvoirs publics français. Le fait que ce soient des gestionnaires et non des hommes politiques qui ont la responsabilité de la gestion courante y est certainement pour beaucoup.

Question : Vous personnellement, diriez-vous qu'aujourd'hui, vous êtestrès inquiet, plutôt inquiet, plutôt pas inquiet ou pas inquiet du tout concernant le financement de votre retraite ?

« Les Français et la retraite ». Sondage Ifop – Association française d’Epargne et de Retraite, réalisé les 7 et 8 mars 2002 auprès d’un échantillon de 929 personnes de 18 ans et plus, représentatif de la population, selon la méthode des quotas.

Question : Parmi  chacune des solutions suivantes pour réformer notre système de retraite, vous me direz si vous y êtes tout à fait favorable, plutôt favorable, plutôt pas favorable ou pas du tout favorable :

« Le devenir des retraites : pronostics et attentes ». Sondage Ifop – Dimanche Ouest France, réalisé les 30 et 31 janvier 2003 auprès d'un échantillon de 978 personnes de 18 ans et plus, représentatif de la population, selon la méthode des quotas.

Le sujet des retraites en France est éminemment politique, notamment la fameuse "retraite à soixante ans". Est-ce le cas chez nos voisins ou un bon sens économique commun transcende-t-il les partis ? Nous Français, sommes-nous obsédés par l'âge du départ à la retraite ?

Oui, nous avons le chic pour politiser ce débat ! La retraite à 60 ans, mais aussi la pénibilité, la dépendance, tout est occasion de discours démagogiques. Des dogmes ridicules sont érigés, et ceux qui ne sont pas "politiquement corrects" sont traités comme jadis les hérétiques dans des sociétés religieusement intolérantes. En Allemagne et en Suède, les partis s'affrontent, mais ils partagent un minimum de bon sens économique. Ils ne dramatisent pas la question de l'âge de départ à la retraite comme nous le faisons. Chacun sait que la croissance de la longévité jointe au déficit de natalité implique des adaptations, et les citoyens sont orientés par les institutions elles-mêmes à ne pas attendre de l'État qu'il les en dispense. Chez eux l'État providence a fort heureusement commencé sa sortie, au profit de plus de responsabilité de la part des citoyens.

Question : Pour chacune des solutions suivantes envisagées pour réformer notre système de retraite, vous me direz si vous y êtes tout à fait favorable, plutôt favorable, plutôt défavorable ou tout à fait défavorable :

(cliquer pour agrandir)

"Le bilan de la réforme des retraites". Sondage Ifop - Fondapol, publié le 4 novembre 2010, réalisé du 2 au 4 novembre auprès d'un échantillon de 1007 personnes de 18 ans et plus, représentatif de la population, selon la méthode des quotas.

Question :Pour chacune des solutions suivantes envisagées pour réformer notre système de retraite, vous me direz si vous y êtes tout à fait favorable, plutôt favorable, plutôt pas favorable ou pas du tout favorable :


(cliquer pour agrandir)

« Les Français et la réforme des retraites ». Sondage Ifop – Dimanche Ouest France, réalisé les 31 mai et 1er juin 2013 auprès d’un échantillon de 1017 personnes de 18 ans et plus, représentatif de la population, selon la méthode des quotas.

Propos recueillis par Jean-Baptiste Bonaventure

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