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Pourquoi le scandale des écoutes de la NSA n'en est pas un
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Trans-Amérique Express

Depuis les pseudo-révélations du Guardian, le monde entier semble découvrir la lune ! De qui se moque-t-on ? Non seulement les activités incriminées de la NSA ne violent pas la loi, mais elles en sont l’expression. Quant à l’espionnage, il est aussi vieux que le monde. Les moyens et les méthodes reflètent notre « âge de l’information ».

Gérald Olivier

Gérald Olivier

Gérald Olivier est journaliste et  partage sa vie entre la France et les États-Unis. Titulaire d’un Master of Arts en Histoire américaine de l’Université de Californie, il a été le correspondant du groupe Valmonde sur la côte ouest dans les années 1990, avant de rentrer en France pour occuper le poste de rédacteur en chef au mensuel Le Spectacle du Monde. Il est aujourd'hui consultant en communications et médias et se consacre à son blog « France-Amérique »

Il est aussi chercheur associé à  l'IPSE, Institut Prospective et Sécurité en Europe.

Il est l'auteur de "Mitt Romney ou le renouveau du mythe américain", paru chez Picollec on Octobre 2012 et "Cover Up, l'Amérique, le Clan Biden et l'Etat profond" aux éditions Konfident.

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Qu’ont-ils donc tous à pousser des cris de vierge effarouchée ? A croire qu’ils ont croisé le loup ! Depuis une semaine, à droite comme à gauche, aux Etats-Unis comme ailleurs, chacun s’insurge de la découverte de programmes d’écoutes et de collectes de données mis en place par la NSA, la National Security Agency, branche de l’appareil de renseignement américain.

Certains Américains se plaignent de ce que leur liberté et leur droit à la vie privée ont été bafoués. Ils se trompent. Des étrangers s’indignent qu’un gouvernement étranger ait pu collecter des données sur eux à leur insu. Ils ont tort.

Qu’a-t-on vraiment appris ? Que l’espionnage existe. Ce n’est pas nouveau. Que notre époque pompeusement appelée « âge de l’information » est bel et bien celle de « Big Brother ». Il fallait être naïf pour ne pas le croire. A une différence près : Big Brother n’est pas celui qu’on croit. Ce n’est pas forcément le gouvernement. C’est chacun de nous !

D’abord les faits.

Informé par Edward Snowden, un analyste de 29 ans, employé de Booz Allen & Hamilton, sous contrat avec la NSA, le quotidien britannique The Guardian a  révélé l’existence de deux vastes programmes d’écoutes et de collectes d’information conduits par la NSA.

Le premier programme s’appelle « PRISM ». Il consiste en la surveillance et la collecte des activités Internet de personnes non-américaines, résidant à l’étranger. Le programme a été rendu possible parce que des compagnies américaines fournissant un accès internet (Microsoft, Google, Apple, Yahoo, etc) dans les pays concernés ont remis leurs données au gouvernement américain.

Le second programme consiste en la collecte des données téléphoniques de clients américains. Ces informations, sont appelées « métadonnées », car il s’agit « d‘informations sur les informations ». La NSA n’a pas eu accès au contenu des conversations téléphoniques, mais seulement aux numéros appelés, aux heures, à la localisation et à la durée des appels. Ces informations étant collectées de façon routinière par les compagnies de téléphone.

Aussi bien pour PRISM que pour la collecte de métadonnées, la NSA n’a pu procéder sans la coopération des compagnies citées. Celles-ci ont toutes nié avoir autorisé un « accès direct » du gouvernement à leurs données. Au nom de la protection de la vie privée de leurs clients. Elles ont par contre reconnu « respecter la loi » et, en conséquence, répondre aux injonctions de justice quand ils en reçoivent. C’est ainsi que la NSA a procédé avec la compagnie Verizon dans le cas des « métadonnées ». Elle a obtenu ces informations grâce à une décision de justice signée d’un juge habilité.  

A ce stade une première constatation s’impose. La NSA n’a pas violé la loi. Au contraire, elle a agi dans le cadre de celle-ci. Cette loi s’appelle FISA, pour « Foreign Intelligence Surveillance Act ». Elle date de 1978 ! Soit bien avant la guerre contre le terrorisme. Elle fut amendée en 2001, puis en 2008 et prolongée jusqu’en 2017 par un vote du Sénat pas plus tard que le 28 décembre 2012 (73 voix contre 23) ! Décidément, certains élus du Congrès ont la mémoire courte…

James Clapper, le Directeur des Renseignements américains s’est déplacé pour une audience au Congrès. Le texte est, comme il se doit, passé en commission, a été lu et débattu, etc. Il n’y avait donc rien de secret non plus. Informée des révélations du Guardian, Diane Feinstein, sénatrice de Californie, et présidente de la Commission du Sénat sur les Renseignements a d’ailleurs dit d’un air presque surpris « ces programmes ne sont pas nouveaux, ils existent depuis sept ans et sont reconduits régulièrement. »   La fameuse injonction remise à Verizon courait jusqu’en juillet 2013, elle venait après plusieurs autres, et plusieurs autres allaient venir après elle…

La NSA existe quant à elle depuis 1952. Soit 61 ans. Avec la fonction spécifique de « collecter des informations » jugées nécessaires à la sécurité nationale des Etats-Unis. La NSA emploie près de vingt mille personnes et dispose d’un budget de 15 milliards de dollars (de quoi faire des envieux de par le monde). De par la nature de ses activités, elle cultive néanmoins le secret et opère à la pointe de la technologie.

Ses activités n’ont jamais changé, mais ses méthodes et ses moyens ne cessent de se perfectionner. PRISM et le programme de collecte des métadonnées sont d’ailleurs conduits par des super-ordinateurs, seuls capables de gérer en un temps satisfaisant la quantité d’informations rassemblées. Pour un ordre de grandeur Internet suscite chaque année deux mille milliards de gygabites de données ! Si ces données débouchent sur une piste, il faut une nouvelle décision de justice pour la remonter. C’est alors que les analystes, comme Snowden, interviennent. Là, des abus sont en effet possibles. L’interview que Snowden a donné pour justifier ses révélations est d’ailleurs lumineuse sur la question : « il n’y a pas de supervision publique, ce qui laisse à des gens comme moi la latitude d’aller au-delà de ce que nous sommes autorisés à faire !» Bref, ce n’est pas le gouvernement qui pose problème, ce sont des employés comme lui et leur sens de l’éthique et du devoir…

Par contre, force est de reconnaître que le gouvernement américain n’a pas toujours agi au grand jour.

En 2005, le New York Times avait révélé l’existence d’un programme d’écoutes de communications entre les Etats-Unis et l’extérieur, autorisé par décret présidentiel et ne nécessitant pas la délivrance d’un mandat. Il était justifié, selon l’administration d’alors, par la guerre contre le terrorisme. Il avait été rendu possible par le vote du Patriot act après les attentats du 11 septembre. « Patriot » étant un acronyme signifiant «Provide  Appropriate Tools Required to Intercept and Obstruct Terrorism ». Ce qui donne en français : « fournir des outils appropriés pour intercepter et empêcher le terrorisme ». Ce programme repoussait clairement les limites de la légalité. Face à la levée de boucliers des défenseurs des libertés individuelles, il avait été suspendu en 2007.

La loi FISA a été amendée en 2008 pour éviter un tel abus à l’avenir. Les écoutes clandestines ainsi que toute forme d’écoute conduite sous couvert d’un acte autorisé avec une intention autre ont été interdites.

Rappelons que pendant 50 ans un certain Jay Edgar Hoover eut sa petite entreprise d’écoute à lui tout seul. Sans jamais avoir recours au moindre mandat. Contrairement à l’idée reçue les libertés individuelles étaient peut-être moins protégées alors qu’elles ne le sont aujourd’hui.

Cela dit, si la Constituions des Etats-Unis protège les citoyens et les résidents légaux des Etats-Unis, elle ne s’applique pas aux étrangers. Encore moins quand ils se trouvent à l’étranger. Pousser des cris d’orfraies ne sert à rien. Le gouvernement américain, et les autres, s’espionnent entre eux et nous espionnent par la même occasion. Mais à y regarder de près, les gens s’espionnent aussi entre eux. Depuis la concierge à sa fenêtre, jusqu’aux gens filmant tout et n’importe quoi avec leur portable. Et Internet a révélé combien la sphère « privée »  était à géométrie variable. Pourquoi se plaindre du gouvernement quand chacun met son cœur et son corps à nu sur Facebook et ailleurs…

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