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Géopolitique "sismique" : risques, pays et scénarios inquiétants pour l'avenir. Il n'y a pas que le climat...
©PABLO PORCIUNCULA / AFP

Géopolitico-Scanner

Alexandre del Valle a rencontré avec Peggy Porquet la volcanologue Anne Fornier, qui sillonne le monde entier depuis des décennies et alerte l'humanité sur le fait que nombre de pays ont de terribles bombes volcaniques sous les pieds et ne sont ni armés, ni informés, ni préparés à faire face à des fléaux naturels.

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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Dans les pas d’Anne Fornier, volcanologue et lanceuse d’alerte

Prévenir des dangers liés aux éruptions volcaniques, c’est la mission que s’est donnée la volcanologue et lanceuse d’alerte Anne Fornier, fondatrice de Volcano Active Foundation (volcanofoundation.org). Cette disciple d’Haroun Tazieff qui a risqué sa vie sur tous les volcans de la planète nous explique pourquoi il faut se préparer aux risques d’éruption des grands volcans, lesquelles peuvent avoir des conséquences dévastatrices pour les populations et les économies des pays concernés, y compris en Europe. Alexandre del Valle a rencontré avec Peggy Porquet la courageuse et iconoclaste volcanologue Anne Fornier, qui scillone le monde entier depuis des décennies et alerte l'humanité sur le fait que nombre de pays qui ont de terribles bombes volcaniques sous les pieds ne sont ni armés, ni informés ni préparés à faire face à des fléaux naturels de plus en plus connus et prévisibles, dont les dégâts meurtriers pourraient être limités si une meilleure politique de sensibilisation et d'anticipation, hélas délaissée par la plupart des pays du Sud les plus touchés, venait à être mis en oeuvre. 

Alexandre del Valle : Anne Fornier, vous êtes une référence mondiale en termes de volcanologie, et vous affirmez que cette discipline qui progresse à grands pas doit être aidée par les Etats dans le cadre de l'analyse risque-système/risque pays si l'on veut prévenir des drames quasiment inévitables. Quel est l’objectif de votre fondation ?

Anne Fornier : Dans le monde, 500 millions de personnes vivent en zone volcanique active. 60% des volcans actifs ne sont pas sous surveillance. Nous disposons juste de données satellitaires. La majorité des gouvernements ont une politique de déni face à cette situation, optant plus facilement pour la “réparation post-catastrophes”. Notre fondation, reconnue d’utilité publique, est là pour informer et anticiper les risques! Nous apportons des expertises et des solutions concrètes qui permettent d’anticiper les risques et de sauver des vies humaines. Nous travaillons uniquement avec des scientifiques qui ont l’expérience du terrain, et une parfaite connaissance des écosystèmes et des populations de ces zones volcaniques actives. En effet, alerter ne suffit pas. Bien sûr, on ne peut pas empêcher une éruption. Mais l’on peut agir, d’autant plus que des solutions d’anticipation des risques, que nous maîtrisons, existent.

ADV : Vous travaillez beaucoup au Congo. Pour quelle raison le volcan Le Nyiragongo, proche du  lac Kivu, est-il considéré comme l’un des plus dangereux au monde?

AF : Il existe un phénomène volcanique rarement évoqué, et pourtant dévastateur. Il s’agit de l’éruption limnique, ou dégazage brutal de dioxyde de carbone. Il n’y a que trois lacs au monde qui répondent à cette caractéristique, deux au Cameroun et le troisième au Congo, le Kivu, proche de ce volcan. On sait qu’en 1986, le lac Nyos a connu une éruption limnique qui a tué 1700 personnes. Le dioxyde de carbone se loge au fond du lac, et d’un seul coup, pour une raison sismique, une éruption ou un changement de position du lac, il va exploser telle une petite bombe nucléaire. Le dioxyde de carbone est lourd, incolore, inodore, et il chasse l’oxygène. Les gens meurent alors par asphyxie, brutalement. Comparativement au lac Nyos, le Kivu est 1300 fois plus grand. Autour du lac Kivu, il y a deux millions d’êtres humains qui vivent entre le Congo et le Rwanda. Personne ne s’en préoccupe. Je vous laisse imaginer l’ampleur de la catastrophe s’il y a une explosion. D’autant que cette région du monde constitue l’un des poumons essentiels de la planète.

ADV : Quelles sont les zones les plus dangereuses dans le monde ?

AF : Toutes les zones volcaniques sont dangereuses, car cela fait 200 ans que nous n’avons pas connu une éruption avec un indice d’explosivité qui aurait un impact global. Cela revient à dire que si un volcan entrait en éruption de façon extrêmement violente, les cendres et les aérosols contenus dans l’atmosphère bloqueraient la pénétration des rayons solaires et généreraient un refroidissement de la terre de quelques degrés Celsius. Cela entraînerait des gelées tardives, des problèmes de récoltes, une perturbation des transmissions satellitaires et du fret aérien. Ce scénario concerne des volcans ayant un indice d’explosivité si fort que nous serions tous affectés. Si on prend en compte le nombre de volcans actifs d’un pays, que l’on recense toute la population exposée à moins de 30 kilomètres du volcan, et si on analyse tout ce que le volcan pourrait engendrer, les cinq pays les plus menacés par le risque volcanique général sont l’Indonésie, les Philippines, le Japon, le Mexique et l’Ethiopie. L’Italie, pays le plus menacé en Europe, est placé en huitième position. Les Etats doivent donc se préoccuper davantage de cela, être plus dans l’anticipation des risques. Encore une fois, on parle de vie à sauver, et aussi d’économies longues à restructurer lorsque survient une catastrophe. A la fondation, nous sommes donc adeptes d’une collaboration étroite avec les institutions et les grandes entreprises implantées dans ces régions. Nous ne sommes pas dans le jugement ou les leçons de morale. Nous sommes dans le concret de l’analyse des risques, et dans le partage des solutions. 

ADV : De quel type d’impact économique parlez-vous?

AF : La seule paralysie du trafic aérien causée par des nuages de cendres volcaniques peut coûter des centaines de millions de dollars aux compagnies. Si l’Etna entrait dans une phase active très forte, l’on pourrait s’attendre à des dégâts considérables, qui impacterait l’ensemble du bassin Méditerranéen (...) Depuis quelques mois, l'actualité nous rappelle que notre terre est vivante. Le volcan el Fuego, au Guatemala, a par exemple fait 196 morts et 4125 évacués. Toujours en 2018, le volcan Anak Krakatau, en Indonésie, a fait 426 morts, 7202 blessés et 40 386 évacués. Ces éruptions, pourtant dévastatrices, restent en réalité de faible  intensité au niveau géologique, ce qui en dit long sur la menace, surtout si l’on s’intéresse aux dégâts que peuvent causer les super volcans. En effet, loin d’être une légende réservée aux productions cinématographiques, ceux-ci sont, à l’instar du Toba, du Yellowstone, ou du Tambora en Indonésie, dotés d'une chambre magmatique dix fois supérieure, pouvant provoquer des éruptions cataclysmiques.

ADV : Pourquoi dites-vous que l’Europe est menacée par les volcans ?

AF : Je veux préciser que l’Europe peut être menacée par un volcan situé à l’autre bout du globe. En Indonésie en 1815, le volcan Tombora a produit une colonne de 43 kilomètres de haut, avec des particules en suspension qui ont fait le tour de la Terre. Les plus grosses ont circulé deux semaines, et les plus fines pendant quasiment deux ans. Ces particules mélangées aux gaz ont formé une couche dense, qui a empêché la pénétration totale de la lumière. Ce phénomène a eu un impact climatique en Europe, de l’ordre de – 0,8 à – 1, 3 degrés Celsius sur deux à trois ans. En 1816, la France a ainsi connu une année sans été, liée à cette éruption. Il me semble que sensibiliser les institutions européennes à cela est essentiel. Nous devons les amener une fois de plus vers l’analyse concrète de ces risques, et les aider à prévoir de plans d’anticipation.

ADV : Vous lancez une campagne de crowdfunding. Pourquoi ?

AF : Nous parlons de sauver des vies en informant et en sensibilisant les populations ! Cette campagne a pour but de produire un documentaire qui sera tourné dans le Nord Kivu, en République Démocratique du Congo. Nous voulons sensibiliser les institutions locales et internationales sur le risque d’une éruption limnique, c’est à dire d’un dégazage brutal du dioxyde de carbone contenu dans le lac Kivu qui jouxte le volcan Nyiragongo, qui pourrait tuer 2 millions de personnes et anéantir une partie de l’écosystème de cet autre poumon de la planète. En anticipant les risques, on peut sauver des vies ! Vous pouvez nous soutenir en faisant un don sur le lien suivant :

https://www.kisskissbankbank.com/fr/projects/volcano-active-foundation

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