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Algérie : nouveau Printemps, nouvel échec ?
©RYAD KRAMDI / AFP

Géopolitico-Scanner

Les pays « arabes » nous ont accoutumé ces dernières années à de fougueuses ruées contre les systèmes politiques établis, suscitant à la fois un espoir dans un futur meilleur et une admiration pour ces populations souvent très jeunes prêtes à « porter » le changement avec force d’exemplarité civique et de dignité.

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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Pourtant, chacun de ces printemps s’est vu étouffé presque à chaque fois par des islamistes ou des despotes militaristes. Quand ils n’ont pas laissé la place à une instabilité politique chaotique ou même à des guerres civiles ou au jihadisme (Libye, Syrie, Yémen, etc). Qu’en sera-t-il cette fois-ci pour l’Algérie ? Alexandre del Valle rappelle le contexte de cette « Algérie des chimères » (du nom d’une série télévisée des années 2000), et analyse les risques tant pour la population algérienne lassée que pour la France.

Retour sur le « printemps algérien »

Face aux manifestations populaires de millions de jeunes (remarquablement civiques) qui ont surpris le régime et même l’armée, l’élection présidentielle a finalement été reportée, ce qui n’a fait en réalité que prolonger le quatrième mandat de Bouteflika et ne règle pas du tout le problème ni ne satisfait les manifestants pacifiques qui exigent non plus le simple départ de Bouteflika, mais la fin du « Système ». Ce terme désigne l’ensemble du pouvoir FLN/oligarchique corrompu qui est autour du Président grabataire et qui a besoin d’un statu quo pour survivre et conserver ses prébendes. De ce fait, le remaniement de dernière minute du gouvernement n’a laissé augurer aucun réel changement de gouvernance et aucun signe tangible de fin du « système ». Le Premier ministre Ahmed Ouyahia a certes démissionné au profit Noureddine Bedoui et Ramtane Lamamra est devenu vice-Premier ministre (un poste nouvellement créé par Bouteflika), mais il s’agit là d’hommes du Système qui n’ont aucune vocation à le transformer ni même à le réformer. Après quatre semaines de protestations populaires contre le cinquième mandat de Bouteflika, on ne voit toutefois toujours pas de mouvement politique d’opposition organisé qui puisse prétendre à une reprise en main du pays. Le mouvement Mouwatana, mené par Soufiane Djilali, et qui s’oppose au report des élections, milite pour la liberté de conscience et l’égalité de droit sans distinction de sexe ou de culte. Il n’est pas dit qu’il rempote une adhésion suffisante – et les médias occidentaux font moins de cas de ce mouvement que de Rachid Nekaz qui règle les amendes anti-burqa en France et prétendait à la présidence en Algérie – dans un pays où l’islam est religion d’Etat. Quant à l’alternative islamiste, nous en reparlerons plus bas, et elle ne doit surtout pas être sous-estimée.

Interdépendance et cordon ombilical jamais réellement coupé

On ne rompt pas les liens – ni les chaînes – si facilement : celles qui ont uni le sort de la France à celui de l’Algérie (trois anciens départements français) en plus de cent ans de colonisation continuent de faire la trame d’une relation délicate. L’hymne national algérien scande le nom de la France, l’appelant à « rendre des comptes » et à se préparer au « verdict » rendu au son des mitrailleuses. Le président mort-vivant Bouteflika a d’ailleurs, de tous les présidents algériens acteur de l’indépendance, celui qui a le plus violemment et constamment vécu de la rente de la diabolisation-culpabilisation de la France. L’autre rente est bien sûr celle des hydrocarbures qu’il a pillés plus que tous les autres avec son entourage. Appelant le monde mais peut-être surtout la France à être « témoin » de son indépendance, l’Algérie indépendante depuis 60 ans n’a donc toujours pas effacé ce qui la lie, même négativement, à l’ancienne puissance coloniale honnie et rêvée à la fois. Ainsi la (non)-réaction de l’Elysée ces dernières semaines, entre silence radio et la très diplomatique salutation de la décision du président Bouteflika de ne pas briguer un cinquième mandat, peuvent s’expliquer par le fait que, quoi qu’en dise la France, cela ne pourra être entendu par l’Algérie – et les Algériens – que comme la voix de l’ancien maître. Donc de façon négative. `

Économiquement, les accords entre les deux pays ont cimenté leur interdépendance au fil des ans et Paris dépend d’Alger pour 10% de son gaz, ce qui dément en passant le lieu commun d’une « supposée » dépendance énergétique française vis-à-vis d’Alger qui aurait « obligé » les élites politiques françaises à accepter une forte immigration algérienne. Sur le plan sécuritaire, l’Algérie est non seulement un voisin de la Tunisie (déstabilisée) puis un frère/rival/ennemi du Maroc (chacun des trois se disputant les meilleurs rapports privilégiés avec Paris), mais elle est aussi un pays fortement tiraillé (Berbères versus Arabes, démocrates versus autocratie et islamistes versus laïques) qui partage des frontières problématiques avec la Mauritanie et le Mali à l’ouest, le Niger au sud et la Libye à l’est, pays où Daech et Al-Qaïda/AQMI où autres groupes jihadistes sahélo-sahariens sont en pleine expansion (nombre de volontaires arrivant en ce moment de Syrie). Pour des raisons évidentes, la destabilisation durable de l’Algérie du fait d’une transition post-Bouteflika violente serait aussi dramatique pour la France et la région que la descente aux enfers de la Libye depuis la funeste opération néo-impérialiste occidentale de 2011 qui n’a profité qu’aux jihadistes et aux trafiquants et autres passeurs.

Ce pays gigantesque (2.381.741 km² ; 10ème plus grand pays au monde, deuxième pays d'Afrique ; 4,2 fois la France !), a en effet non seulement une longue façade maritime mais également une dimension saharienne et donc une continuité territoriale et sociale avec les zones sud-désertiques et nomades qui sont les bases-arrières africaines des jihadistes. Certes, l’Algérie est partenaire de l’Union Européenne dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et après la « décennie noire » (1992-2002), qui fit 180 000 morts (Islamistes jihadistes versus pouvoir militaire). Elle fait de ce fait l’objet d’une attention toute particulière de la part des services du monde entier. L’instabilité politique a d’ailleurs toujours été (comme cela fut le cas pour les premiers pays des « printemps arabes ») un moment privilégié pour des mouvements islamistes qui profitent de la confusion et du chaos révolutionnaire (toujours initié par des démocrates modernes et des progressistes) pour mettre leurs pions en place et récupérer la mise tant que des militaires ne leur barrent pas la route. C’est d’ailleurs fort de cette importance stratégique que le gouvernement de Bouteflika avait pu faire pression contre les propositions d’amender les accords d’Evian de 1968 qui régissent les entrées de ressortissants algériens sur le sol français. Décriés par certains, ces accords ont été revus à plusieurs reprises, et s’ils continuent de donner un certain avantage aux Algériens, ils sont par exemple moins intéressants en ce qui concerne les étudiants. Or, en plus des risques provenant des pays limitrophes, l’Algérie est elle-même aux prises avec des groupes terroristes, dont plusieurs mouvements affiliés à Al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI).

Rappelons en passant que bien qu’en première ligne depuis les années 1990 (« décennie noire ») face aux jihadistes (GIA, GSPC, AQMI), l’Algérie ne fait pas partie du « G5 Sahel », dispositif sécuritaire créé en février 2014 à Nouakchott (Mauritanie) qui regroupe 5 des 11 pays du Sahara (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad) face au terrorisme. La raison invoquée officiellement par Alger est sa doctrine géopolitique de « non alliance » et de « non intervention extérieure ». Rappelons tout de même que presque tous les leaders djihadistes de la zone sahélo-saharienne sont Algériens (excepté le Malien Iyad Ag Ali chef d'Ansar Dine), bien qu’ils aient leurs bases dans le nord du Mali. L’Algérie ne cherche donc pas forcément à contribuer à réduire ces jihadistes « réfugiés » au Nord du Mali qui, s’ils étaient délogés du Mali, pourraient revenir la déstabiliser. Les mauvaises langues affirment même que la déstabilisation durable du Nord du Mali serait un gage de sécurité pour les autorités algériennes... On peut même ajouter que tout le Nord du Mali investi par les rebelles islamistes/séparatistes arabo-berbères hostiles aux Noirs du Sud (Bamako) est approvisionné à près de 60% par l'Algérie, une manne pour le commerce extérieur algérien, or toutes les routes reliant le Mali à l’Algérie sont contrôlées par les groupes jihadistes qui prélèvent des « taxes ». Enfin, il serait naïf de croire que depuis que le président Bouteflika a « vaincu » les jihadistes algériens en mettant fin aux maquis des GIA/GSPC réfugiés dans les pays voisins, l’Algérie serait définitivement protégée contre le totalitarisme islamiste, qu’il soit jihadiste ou politique. En réalité, outre le Mouvement de la société pour la paix (MSP, frères-musulmans, ex-Hamas créé en décembre 1990 par Mahfoud Nahnah), aujourd’hui dirigé par Abdelrazak Makri, un temps associé au pouvoir comme nombre d’islamistes salafistes ou fréristes devenus députés ou ministres, on compte 7 autres partis politiques légaux islamistes en Algérie. Sans parler de la « salafisation » des mosquées (30% d’entre elles seraient contrôlées par les salafistes) et de la persistance de groupes jihadistes clandestins tant dans le sud désertique du pays que dans les montagnes de Kabylie.

Quid du péril islamiste/jihadiste en Algérie ?

L’islamité, associée à l’arabité, au détriment de la berbérité reléguée depuis l’indépendance au second plan, a toujours été un des ciments de l’identité algérienne post-coloniale, à égalité avec le ressentiment à l’égard de la France coloniale. Et il serait hâtif d’affirmer que, sous prétexte que nombre de jeunes apparemment laïques et rarement voilés ont manifesté de façon « mixte » (nombre de jeunes algériennes bravant ainsi l’interdiction de sortir hors de la maison sans un « tuteur »), l’Algérie nouvelle serait laïque et désislamisée. Tout le contraire, car s’il prétend superviser la « transition » (vers quoi, nul ne le sait) et « éviter la montée de l’islamisme jihadiste comme en Syrie », le pouvoir en place s’acoquine en réalité depuis des années avec les salafistes et les Frères musulmans, en la personne d’Abderrazak Makri, lequel s’est déclaré candidat à l’élection présidentielle de 2019. Et les salafistes « quiétistes », quant à eux intégristes non politisés tactiquement, ils sont particulièrement choyés par Bouteflika depuis les lois de « Concorde civile » qui ont échangé l’islamisation « pacifique » de la société en échange du renoncement des salafistes au jihadisme. Pour revenir à Makri, qui a longtemps servi la soupe à Bouteflika et s’est récemment dissocié de lui afin de jouer sa propre carte, nous avons affaire à un typique islamiste « présentable », d’après le terme du quotidien Jeune Afrique. Le MSP prône officiellement un « islamisme modéré » dans le sillage des Frères musulmans égyptiens et tunisiens. Il incarne en fait la caution conservatrice du pouvoir algérien qui a toujours joué un jeu trouble avec les Islamistes. Le MSP a donc été jusqu’à présent le partenaire du pouvoir Bouteflika aux côtés de deux autres partis pro-pouvoir, le vieux FLN fondateur et le RND. Maître en taqiya, Makri n’évoque jamais clairement la charià, mais ce fervent admirateur d’Erdogan est adepte de la stratégie d’entrisme et des « étapes » chère aux Frères musulmans, et il sait que l’islam politique et lui-même pourront un jour jouer un rôle une fois les solutions nationalistes épuisées. Il n’est certes pas du tout l’homme providentiel qu’attendent les manifestants adeptes d’un changement radical, mais la « transition » ne fait que commencer et lui ou d’autres fréristes attendent leur heure et savent qu’une société en voie de réislamisation constante depuis les années 1980 finira par tomber dans leurs mains comme un fruit mur.

Le scenario du chaos post-Bouteflika, un risque réel pour la France ?

Primo, le pire n’est jamais certain. Secondo, l’armée veille au grain et ne laissera pas trop dégénérer la situation, d’autant que le puissant chef d’État-major de l’armée, Ahmed Gaïd Salah, n’a cessé d’affirmer que l’armée rendrait le pouvoir aux Algériens et empêcherait le pire en écoutant le peuple et en le protégeant de tout risque de retour à la phase sanglante de la « décennie noire ». Rappelons que ce général formé en ex-Union soviétique après avoir participé au combat pour l’indépendance, a été plongé au cœur de la guerre contre le jihadisme islamiste dans les années 1990 et qu’il s’est forgé à l’époque une réputation de dur (« éradicateur»). En 2004, il a profité du limogeage du chef d'état-major Mohamed Lamari, hostile à la réélection de Bouteflika, pour prendre sa place. Il a depuis placé ses hommes au sein de l’armée et de l’appareil, sous couvert de « servir Bouteflika jusqu’à la mort », mais aussi et surtout pour construire sa propre ascension. En 2015, c’est lui qui a fait évincer le chef du département du renseignement et de la sécurité (DRS), le général Mohamed Médiène, alias "Toufik", un redoutable concurrent. Agé de 79 ans, Ahmed Gaïd Saleh doit maintenant gérer une transition politique compliquée dont il s’est déjà affirmé comme le leader. Après avoir évoqué au début des manifestations le spectre de la guerre civile en citant les épouvantails de la Libye et de la Syrie, il n’a cessé d’affirmer que "l'armée et le peuple algérien ne font qu'un", qu’ils "ils sont frères », et ne cesse d’arpenter les régions militaires, expliquant que l’armée et le peuple algérien partagent "les même valeurs et principes ». En fait, Gaïd Saleh a senti que le vent est en train de tourner et il promet es "solutions" qui viendront au "moment propice". Il est clair que le 28 avril, date de la fin effective du mandat de Bouteflika, sera son heure de vérité. Dans le cadre de la Conférence nationale présidée par l’ancien cadre de l’ONU Lakhdar Brahimi, qui a pour mission de préparer l'après Bouteflika, Ahmed Gaïd Salah pourrait même rêver d’un destin présidentiel à l’instar de celui du général Abdel Fatah Al-Sissi en Egypte.

Ceci dit, en imaginant tous les scenarios, un « printemps algérien » pourrait être une occasion rêvée pour islamistes de tous bords qui, comme on a pu le voir en Libye, au Yémen, en Egypte, en Tunisie, en Syrie ou au Maroc, ont systématiquement essayé de récupérer les révoltes initiées par les jeunesses démocratiques et progressistes. Nous avons évoqué la « stratégie douce » des Islamistes fréristes du MSP de Makri, mais les jihadistes impitoyablement combattus par l’armée algérienne (ceux qui n’ont pas déposé les armes et n’ont pas été amnistiés par la loi de « Concorde civile ») ont encore un fort pouvoir potentiel de nuisance et ils pourraient passer à nouveau à l’action en cas de guerre civile, parallèlement à la question berbère (Chaouis et Kabyles) qui inquiète énormément les nationalistes arabes unitaristes.

Vue l’importance de l’Algérie comme point central régional dans la lutte anti-terroriste, la mainmise de l’islamisme radical sur la région serait une catastrophe d’un point de vue sécuritaire. Pour certains, le pire est à venir et l’on peut même s’attendre à une recrudescence d’actes terroristes. L’écrivain algérien Boualem Sansal, certes habitué au pessimisme, explique que la population est aujourd’hui trop fracturée pour se rassembler valablement autrement que dans les protestations de ces dernières semaines. L’écrivain, qui, à la différence de Kamel Daoud n’a pas semblé euphorique en voyant défiler ces jeunes manifestants pacifiques, souligne que si la répression ne s’est pas fait sentir avec la violence qu’on pouvait craindre, c’est qu’elle commence bien avant la rue, par les intimidations, une pression constante, qui paralyse les citoyens, et une islamisation rampante de la société encouragée par le pouvoir dans l’espoir vain de « calmer » la bête immonde en la nourrissant. La crainte de la guerre civile est donc d’autant plus palpable qu’elle est agitée par le gouvernement qui cherche à faire office de pare-feu alors que c’est son entêtement qui menace de mette le feu aux poudres, ou par la population. Plus cynique encore, certains démocrates algériens craignent que, comme durant la « décennie noire », ce soit le gouvernement et l’armée elles-mêmes qui alimentent des maquis islamo-jihadistes afin de justifier un coup d’Etat militaire et de saper la spirale de l’alternance appelée de ses vœux par la jeunesse manifestante. Il est vrai qu’en cas d’alternance démocratique telle que souhaitée par ceux qui veulent la fin totale du Système, nombre d’oligarques, militaires, parents de Bouteflika, à commencer par son frère Saïd, et autres « membres » corrompus du Système qui se partagent la manne du pétrole et du gaz, craignent de terminer en prison ou lynchés par les révoltés. Ils n’ont aucune autre perspective que de s’accrocher au pouvoir de n’importe quelle manière. Or l’option qui consistait à maintenir au pouvoir un mort-vivant dont on admirait le « cadre » et qui ne peut même plus marcher et parler, est hors-jeu... Rappelons que les jeunes en Algérie représentent près de 50 % de la population, une majorité sans perspective d’avenir, souvent diplômée et d’autant plus frustrée qu’elle est muselée par une économie de rente totalement confisquée, incompétente et corrompue qui leur jette quelques miettes (aides sociales) pour les garder dociles. Mais là aussi, l’incurie du gouvernement et du Système est telle que la paix sociale ne pourra plus être achetée dans l’avenir, étant donné l’épuisement des réserves de change du pays ; la non remontée du prix du baril, passé en 5 ans de 100 à 30 puis revenu seulement à 50, et le manque d’investissement dans les infrastructures qui contribue à faire baisser la production d’hydrocarbures, sans oublier la baisse de la demande mondiale et la concurrence.   

Risque migratoire ?

Le journaliste Mohamed Sifaoui a expliqué quant à lui qu’avec au moins un million de binationaux franco-algériens présent dans l’hexagone, c’est entre dix et quinze millions d’Algériens - qui ont des liens avec la France (enfants, parents, grands-parents, cousinage, amis, etc) qui « pourraient prétendre légalement se réfugier en France ». S’il est pourtant clair que la majorité des jeunes Algériens qui ont manifesté ces derniers jours veulent d’abord changer l’Algérie pour y vivre mieux, et s’ils ont souvent exprimé des slogans clairement patriotiques, il est vrai qu’une guerre civile ou même les retombées de l’instabilité politique sur l’économie du pays pourrait, dans une perspective de chaos, envoyer vers l’ancienne métropole une partie de la population algérienne désillusionnée dans un contexte hautement sismique où les Français entendent parler de l’islamisme et de l’immigration massive incontrôlée vingt fois par jour... L’ironie de la chose serait double : économiquement, de voir débarquer les ressortissants algériens dans une France dont la dette publique est de 100 % du PIB, alors que l’Algérie a réussi à rembourser l’intégralité de sa dette ; et politiquement, de voir des citoyens fuyant la tyrannique inertie de leur dirigeant pour rejoindre un adepte du Grand Débat national...

En guise de conclusion

Si Bouteflika prétend encore être un rempart contre l’islamisme – une antienne dont les Algériens sont tout autant lassés qu’ils le sont du « spectre de la guerre civile » censé les faire taire – l’islam demeure plus que jamais religion d’état et la charià, bien que discrète, reste (partiellement) appliquée, en tout de plus en plus depuis l’arrivée de Bouteflika, l’homme du « compromis historique » national-islamiste algérien. En réalité, les manifestations anti-Bouteflika - tant vantées par ceux-là mêmes qui s’extasiaient à propos des printemps arabes avant que n’arrive « l’hiver islamiste », n’ont pas du tout semblé remettre en cause cet islamisme d’Etat de plus en plus frériste et salafiste nouvellement enraciné dans le pays au nom d’une « pax islamica ».  A la lumière des printemps arabes, mais aussi de ce qui a fondé l’Algérie –le FLN à ses débuts n’était ni organisé ni majoritaire – puis de la guerre civile des années 1990, il est difficile de croire à un dénouement si heureux qu’on l’a espéré pour les Algériens. Tout au plus peut-on leur souhaiter qu’ils aient tout juste commencé la colossale mise en chantier d’un changement qui sera très long et sera empêché par tous les moyens par le « Système ». Loin de l’optimisme de certains, l’écrivain Boualem Sansal a parlé d’un « train sur ses rails » ; Mohamed Sifaoui « d’inconnue complète ». D’autres mentionnent avant tout le risque terroriste. Quant à Kamel Daoud, il expliquait dans une chronique de janvier 2016, que « les révolutions dites arabes ne sont pas un échec. Sauf si on confond histoire et road-movie. Elles sont tragiques et désastreuses pour nos foyers et nos vies, mais elles sont irrévocables. » En réalité, il convient de rester prudent, de ne pas idéaliser les manifestations et les manifestants, si vertueux et touchant soient-ils, car ils n’ont pas d’unité idéologique, pas de « programme commun », pas de vision claire du futur autre qu’un dégagisme, et surtout pas de leader charismatique ou de chef tout court.

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