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Leçons de la "première phase" du "Grand débat national" : les Gilets jaunes vus d’Italie
©PHILIPPE HUGUEN / AFP

Géopolitico-Scanner

Entretien avec le politologue et correspondant du journal italien "Il Giornale", Francesco de Remigis, mené par Alexandre Del Valle.

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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En dépit du Grand débat lancé par Emmanuel Macron depuis des semaines, les Gilets Jaunes ne semblent pas décidés à réduire les manifestations et ils continuent même d’exprimer de nouvelles doléances. Les rassemblements des Gilets jaunes continuent d’exprimer une rage profonde qui couvait depuis des années en France. Elles traduisent un fort ressentiment envers la « Caste », comme les Italiens nomment les élites consanguines coupées des masses précarisées par la mondialisation. Toutefois, force est de constater que la « première phase » du «Grand débat» national, initiée par le président dans un climat de rejet haineux envers sa personnalité et sa politique, s’est soldée le 14 mars, sur un succès inattendu pour Emmanuel Macron qui remonte même dans les sondages. La participation massive des élus locaux et des citoyens a étonné, tout comme l’extraordinaire force de résilience de ce président jupitérien qu’il serait imprudent d’enterrer trop hâtivement ou de sous-estimer. Alexandre del Valle a voulu analyser le phénomène depuis un angle extérieur, en interrogeant un expert reconnu des relations franco-italiennes, Francesco de Remigis*, journaliste au quotidien Il Giornale qui a réalisé de nombreuses enquêtes sur les questions géopolitiques et la vie politique française.

En tant que politologue et journaliste italien connaisseur de la France, comment pensez-vous que les Italiens perçoivent le phénomène des Gilets Jaunes ? 

Francesco de Remigis : Il y a une certaine confusion et certainement beaucoup de curiosité. D'un côté, il y a ceux qui les considèrent trop violents, infiltrés par de dangereux déstabilisateurs de la société, même téléguidés de l'étranger. Mais comme nous l’avons lu dans les notes récentes des services français, la « théorie du complot russe », par exemple, a très peu de poids et il est clair que le mouvement doit être pris pour ce qu’il est, c’est à-dire une réponse populaire, parfois même excessivement fâchée, qui réagit naturellement aux politiques d'Emmanuel Macron et à sa manière d'interpréter le rôle du président de façon verticale, en contradiction flagrante avec ce qu'il s'était promis de faire et d’être pendant la campagne électorale (devoir d'écoute et modestie). D'autres, en Italie, préfèrent prendre les gilets jaunes en exemple, exploiter cette vague jaune française afin de la présenter en Italie, un pays qui n’a pourtant pas trop de goût pour les protestations de rues. Certes, en Italie, on peut aimer manifester un ou deux jours, mais il est très difficile d'imaginer une protestation répétée comme celle de France et la faire durer aussi longtemps tout au long de la Botte italienne.

Existe-t-il vraiment un parallèle ou même une ressemblance entre les Gilets Jaunes et le parti politique italien anti-Caste du « M 5 étoiles » (M5S) ? 

C’est curieux, car il ya quelques mois encore, les « Cinque Stelle » (M5S) et Luigi Di Maio, son leader et vice-Président du Conseil, avaient pour source d’inspiration, sinon comme modèle, Macron lui-même et son parti LREM ! Aujourd'hui, ils ont totalement changé de position: Di Maio attaque le gouvernement français et loue la mobilisation des gilets jaunes. Il se rend même dans la banlieue de Paris pour rencontrer M. Chalençon et d'autres membres du Ric, l'une des listes que les gilets jaunes tentent de mettre en place pour se présenter aux élections européennes ! Dommage que, ironiquement, quelques jours après cette réunion, le même Di Maio ait dû publiquement renier Chalençon et ses propos une fois informé de ses intentions de « guerre civile » et de pouvoir à confier aux militaires... Le dirigeant politique de Cinque Stelle aurait pu préalablement mieux s’informer et éviter ainsi la triste posture de ceux qui sont trop pressés de trouver un interlocuteur français afin de créer une alliance électorale inter-européenne, pour laquelle sont nécessaires six partis de différents pays. On constate d’ailleurs qu’aujourd'hui, le mouvement Cinque Stelle ne parle plus des gilets jaunes. Peut-être ne les a-il jamais complètement «étudiés» et surtout n'a pas réellement compris leur ADN, lequel a toujours revendiqué une certaine indépendance vis-à-vis des partis. Par ailleurs, les Cinque Stelle italiens de Di Maio ceux-là mêmes qui – lorsqu’ils étaient candidats aux élections législatives pour la première fois - déclarèrent qu'ils allaient renverser le Parlement comme une boîte de thon. Au lieu de cela, ils ont été prêts à nouer des alliances contre-nature comme celle conclue avec la Ligue – ceci afin de rester au gouvernement (très éloigné de l'ancien monde!) 

Pour vous, existe-t-il une spécificité française dans l'action révolutionnaire depuis 1789 ? Les Français sont-ils ontologiquement plus « rebelles »? Existe-t-il véritablement en France une tradition subversive, ainsi que le pensent certains intellectuels italiens de droite ou 5 étoiles qui idéalisent parfois les phénomènes rebelles comme les Gilets jaunes?

Les intentions subversives, si nous voulons les définir ainsi, me semblent en réalité minoritaires parmi les gilets jaunes. Des familles entières sont descendues dans les rues et des rassemblements permanents ont été organisés même dans les jours qui ont suivi les manifestations du samedi, la plupart du temps pacifiques. Ensuite, en tant qu’observateur italien, je constate qu’il existe en effet une spécificité française dans chaque épisode de mobilisation: il n’est d’ailleurs pas forcément nécessaire de remonter trop loin en arrière. Rappelez-vous juste du phénomène de Nuit Debout. Mais chaque mouvement de protestation ne peut être retracé que par lui-même et par le moment historique dans lequel il se produit, par les événements en cours qui incitent les citoyens à s'organiser sous des formes différentes. Les gilets jaunes ont agi, par exemple, sans les syndicats et en totale autonomie. Je crois que c'est là un véritable fait historique. Je ne suis pas d'accord avec ceux qui évoquent un parallèle avec le Mai '68. Aujourd'hui, à mon avis la révolte authentique est essentiellement rurale et périphérique. Il existe en outre différents arguments et revendications et n'oublions pas que Paris, où le Joli Mai a fleuri, reste le fief de Macron, alors que dans d'autres villes et dans la province, Macron n'a jamais été autant apprécié.

Selon vous, vu de Rome, Macron est-il un « Renzi Français » (ex-président du conseil italien de centre-gauche) qui finira comme lui par perdre son leadership de manière brutale et rapide qu’il l’a construit? Ou pourra-t-il au contraire renaître après le Grand Débat et les Européennes?

C'est la véritable inconnue de la crise. Je commencerais par les affinités électives qui ont toujours été revendiquées par Macron et Renzi et qui sont bien connues. L'ancien Premier ministre italien a trébuché sur le référendum, qu'il a perdu de façon marquée. Il a démissionné, mais il a continué à s'exprimer au sein du Parti démocrate (PD). Ce n'est pas une petite différence par rapport à Macron. Renzi a émergé d'un parti, il la transformé, et il a fini par y perdre son leadership, tout en en restant sénateur PD qui exprime ses opinions concernant l'agenda politique. Quant à Emmanuel Macron, il est le Parti ; il l'a fondé et, en tant que mouvement, il la amené à diriger le pays. C'est pourquoi je pense que Macron a plus de marge de survie politique que Renzi: son leadership ne sera jamais vraiment mis en doute par les Marcheurs, même en cas de défaite. Nous verrons plutôt ce les Français qui ne se reconnaissent pas dans son idée d’Europe décidera dans les urnes et si la crise des gilets jaunes aura des conséquences en termes de pourcentage d’intentions de vote sur La République En Marche. En fin de compte, le grand débat aura certainement été une bonne idée pour orienter la campagne électorale en faveur de ses positions pro-européennes.

Pensez-vous que Macron pourra, grâce notamment à son Grand Débat national, arriver devant la liste du RN de Marine Lepen ? ou bien pensez-vous que Le Pen saura surprendre et renaîtra grâce à la capitalisation des Gilets Jaunes silencieux majoritairement pro-FN selon certains ?

Je ne crois pas en l'équation "Gilets jaunes = électeurs de Marine Le Pen". J'ai rencontré personnellement des enquêteurs des gilets jaunes qui votaient ou ont voté pour le parti socialiste et aussi pour La France Insoumise de M. Mélenchon. Voire même pour les Républicains. Concernant les prochaines élections européennes, selon les sondages, Emmanuel Macron devancerait le Rassemblement national de Marine Le Pen/Bardella. Mais l'erreur statistique est toujours au coin de la rue. Il sera en fait essentiel de comprendre dans quelle mesure le président sera convaincant dans la synthèse du Grand Débat qu’il présentera en avril prochain. Je crois que ce sera sa dernière chance de dégonfler réellement la crise des Gilets jaunes et de reprendre les rails de son Quinquennat.

Francesco de Remigis publie en Italie (bientôt traduit en France) le premier essai consacré aux Gilets Jaunes : Dalla sfida a Macron alla crisi diplomatica con l'Italia. Fino all'incognita delle urne (Du défi envers Macron à la crise diplomatique avec l’Italie. Jusqu’à l’inconnue des urnes »), éditions Il Giornale. Mars 2019  

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