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La "révolution de couleur catalane", chronique d’un conflit géopolitique du faible au fort
©PIERRE-PHILIPPE MARCOU / AFP

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D’évidence, les Indépendantistes "catalanistes" ont "gagné" le "premier round". Cette petite "révolution de velours" catalane, ou "révolte pacifique du faible au fort", minutieusement planifiée par des professionnels de la déstabilisation dont les groupes séparatistes d’extrême-gauche alliés au gouvernement frondeur de la Generalitat, a été un succès.

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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D’évidence, les Indépendantistes « catalanistes » ont « gagné » le « premier round ». Ce premier round était de celui de la communication victimaire, qui a entouré la journée du 1er octobre, lorsque le référendum illégal a été organisé avec la complicité de la police locale catalane (qui a désobéi à Madrid) et des civils chauffés à blocs par les associations et partis séparatistes protégés par les tracteurs des paysans catalans venus en masse. Cette petite « révolution de velours » catalane, ou « révolte pacifique du faible au fort », minutieusement planifiée par des professionnels de la déstabilisation dont les groupes séparatistes d’extrême-gauche alliés au gouvernement frondeur de la Generalitat, a été un succès. Elle l’a été dans le sens où elle visait à tendre un piège consistant à pousser l’Etat espagnol à l’erreur dès lors que la police aux ordres de Madrid a été contrainte de réprimer des civils catalanistes sciemment encouragés à servir e boucliers humains devant le bureau de vote en attente de bavures filmées en ‘live’ et relayées dans les réseaux sociaux et les médias du monde entier.

De ce point de vue, on peut comparer ceteris paribus, la « stratégie du faible au fort » des séparatistes catalans aux célèbres protestations pacifiques de Gandhi, Martin Luther King, ou encore plus précisément à la stratégie des « révolutions pacifiques » initiées sous la guerre froide face aux Soviets en Hongrie, en Pologne, en Tchécoslovaquie, puis ensuite face à la Russie post-soviétiques et ses séides en Géorgie, en Ukraine. On peut même faire le parallèle avec les premiers protestataires pacifiques arabes qui ont initié le « révolution du Jasmin » en Tunisie qui a débouché sur un « printemps arabe » vite devenu un « hiver islamiste », sans oublier le phénomène également asymétrique des révoltes pacifiques des Indignados sous Zapatero dans les capitales espagnoles ou des manifestants de Wall Street ou de Hongkong face aux forces de l’ordre et aux pouvoirs en place. 

Pousser l’Etat légal à utiliser la violence afin de la retourner contre lui

Comme on l’a vu en Ukraine, face à l’ex-président pro-russe très rapidement sorti, ou encore en Tunisie et en Egypte, face aux dictateurs Benali et Moubarak, très vite « dégagés » par les « révolutionnaires 2.0 » armés de leurs blogs, de leurs réseaux sociaux et rompus aux techniques de subversion pacifique et des manifestations médiatisées visant à retourner la force légitime de l’Etat central contre lui-même au profit des forces réprimées qui lui sont hostiles, les Catalanistes ont réussi très efficacement à discréditer l’image du Premier Ministre Mariano Rajoy, de son gouvernement de droite issu du parti populaire (PP, post-franquiste), et - d’une manière générale - de Madrid et des forces de l’ordre espagnoles jugées « répressives », « inhumaines » et donc illégitimes non seulement par les séparatistes catalans, mais également par nombre d’Espagnols-catalans au départ non séparatistes et par de nombreux téléspectateurs européens scandalisés par le fait que la Guardia civil espagnole ait osé chargé, déplacer violemment et même frapper des braves civils catalans innocents simplement venus voter ou « protéger » des bureaux de vote, dont des enfants et des vieilles dames qui n’ont même pas été épargnées.

Après ce premier round très émotionnel et théâtral de la « révolution 2.0 », on a découvert par la suite, grâce aux vidéos et aux enquêtes menées, que les catalanistes de Puigdemont et ses alliés d’extrême-gauche séparatistes ont cyniquement envoyé des femmes, des enfants, des jeunes et des civils pacifiques servir de boucliers humains devant des bureaux de vote illégaux et que la police catalane (Mossos de Esquadra), qui devait veiller à fermer la veille ces bureaux, n’a pas été loyale envers Madrid mais a suivi les consignes des autorités catalanes visant à maintenir ouverts ces bureaux illégaux, ceci en violation de la Constitution espagnole, de la légalité fédérale et de la hiérarchie régalienne.

Face à cette situation, le gouvernement de Mariano Rajoy - à qui certains reprochent de ne pas avoir choisi une option claire, puisqu’il n’a pas fait arrêter les sécessionnistes ni voulu réellement dialoguer avec eux plus tôt afin de désamorcer la crise - a été pris de court. Il a dû tenter de rétablir la légalité in extremis par l’usage légal d’une force régalienne qui était trop tardive ou trop subite pour les uns, ou trop ferme ou pas assez...

Toutefois, ce rappel à l’ordre est arrivé trop tard, et il s’est produit devant des caméras du monde entier au grand bonheur des séparatistes aguerris aux techniques d’agit-prop et de subversion. Ces derniers, liés à moult associations et groupes idéologiques néo-gauchistes radicaux, n’attendaient que cela afin de relancer une campagne de disqualification radicale du gouvernement espagnol dominé par le très diabolisé parti populaire de Mariano Rajoy, une formation dont la généalogie remonte au franquisme, c’est-à-dire assimilée au régime totalitaire « fasciste » qui réprima violemment les séparatistes catalans et les forces républicaines et d’extrême-gauche-anarchistes durant la guerre d’Espagne.

Comme dans toutes les révolutions de velours de type « 2.0 », fondée sur la médiatisation de la répression de l’Etat et de la douleur des victimes protestataires, « le premier round », qui consiste à accuser l’Etat central d’abuser de sa force et de le soumettre à la « reductio ad hitlerum », est assez facile à remporter. Et c’est ce qui s’est produit le 1er novembre.

Toutefois, on sait généralement comment une « révolution de velours » commence, jamais quand et comment elle finit, comme on l’a vu notamment en Ukraine, de sorte que la victoire rounds successifs est bien moins aisée, surtout une fois la première émotion retombée et une fois que le retour du réel fait son effet…

La phase intermédiaire entre les deux « rounds » a été la grande manifestation des « anti-indépendantistes » qui a rassemblé le 8 octobre dernier, entre 350 000 et 900 000 personnes brandissant des drapeaux espagnols et catalans, ce que beaucoup rêvaient de faire depuis longtemps en Catalogne mais n’osaient pas entreprendre en raison de l’emprise omniprésente de la propagande catalaniste radicale qui culpabilise, intimide et dissuade chaque jours depuis des décennies tous ceux qui ne sont pas « catalanistement corrects ».

Le deuxième round et le retour du réel douloureux

Le deuxième round a commencé lorsque des dirigeants catalanistes historiques, comme Artur Mas, le prédécesseur de Puigdemont à la tête de la Generalitat, se sont démarqués officiellement de son camarade de parti, en affirmant qu’une déclaration d’indépendance unilatérale et non négociée était inopportune et dangereuse, puis surtout lorsque des grandes entreprises catalanes et espagnoles ayant leurs sièges à Barcelone ont annoncé qu’elles allaient installer leur siège social à Madrid, Valencia ou Alicante (banco de Sabadell, Caixa, etc). Puigdemont, dont le parti de centre-droit, issu de la bourgeoisie catalane, a alors mesuré la difficulté et les limites de sa démarche unilatérale, a dès lors été contraint de faire reculer le moment fatidique de la « déclaration d’indépendance » unilatérale qu’il devait proclamer théoriquement 48 heures après la proclamation officielle des résultats du référendum, résultats qui ont été reculés plusieurs jours de suite afin de gagner du temps et de mettre au point une nouvelle stratégie.

Lorsqu’il a pris la parole au Parlement local en vue de son discours d’indépendance, le 10 octobre dernier, soit avec une semaine de retard par rapport à la date prévue, le président de la Generalitat de Catalogne a donc certes réitéré que « la Catalogne a gagné le droit d’être un Etat indépendant » ; et que ce « moment exceptionnel et historique » est « la conséquence politique » du vote massivement positif du référendum du 1er octobre dernier, mais tout en renonçant à proclamer l’indépendance unilatérale comme il s’y était pourtant engagé, ceci au grand dam de nombre de ses partisans et surtout de ses alliés de l’extrême-gauche indépendantiste de la CUP. Puigdemont a par conséquent scrupuleusement pesé ses mots, et il a tenté de désamorcer la crise en déclarant, sur un ton très habile, mi-figue, mi-raisin, non pas que la Catalogne est indépendante, mais que « le gouvernement catalan et moi-même proposons que le Parlement suspende les effets d’une déclaration d’indépendance afin de pouvoir engager dans les prochains jours un dialogue. ». Cette ambiguïté (ou volte-face), à laquelle tout observateur averti s’attendait, n’est pas forcément la preuve qu’auparavant Puigdemont et ses alliés radicaux ont sciemment bluffé. Elle a été imposée par la nécessité depuis que l’Union européenne, les entreprises catalanes ayant décidé de déplacer leurs sièges, puis les anti-indépendantistes qui ont manifesté en masse, ont réagi en exprimant leur refus de la perspective d’indépendance et surtout de ses conséquences préjudiciables pour tous, à commencer pour la Catalogne et les Catalans qui semblent avoir encore plus à perdre que le reste de l’Espagne en cas d’isolement et de fuite massive des capitaux, des touristes et des entreprises.

La revanche de Rajoy et l’épée de Damoclès de l’article 155 de la Constitution

Prenant acte de ce revirement, le premier ministre espagnol, Mariano Rajoy, trop souvent caricaturé en homme rigide et stupide, a savouré sa revanche et s’est exprimé devant le Parlement national, les Cortes, en s’arc-boutant sur sa position de principe selon laquelle aucune négociation n’est possible avec des séparatistes qui violent la légalité constitutionnelle et législative, et en conditionnant un possible dialogue, dont il a en fait moins besoin que les Catalans, à des clarifications de Carles Puigdemont, sommé de dire que sa déclaration ambigüe n’est pas une proclamation d’indépendance. Pareille sommation constitue en fin de compte un véritable piège, car Puigdemont ne peut pas dire cela clairement sans s’aliéner son électorat séparatiste et ses alliés d’extrême-gauche radicaux de la CUP (parti Candidatura d'Unitat Popular), notamment, qui voulaient aller jusqu’au bout et se fichent du départ des entreprises « capitalistes » honnies.

Ainsi, le 11 octobre au matin, Mariano Rajoy a réitéré sa demande à Puigdemont, lors d’une brève allocution télévisée, le sommant de « confirmer s’il a déclaré l’indépendance, oui ou non ? Théoriquement, toute réponse claire à cette demande, est un piège idéologique et politique fatal pour Puigdemont, car si ce dernier renie la déclaration d’indépendance, il reconnaît la légitimité de Madrid et le caractère espagnol de la Catalogne, puis il entre en crise avec les siens, mais s’il la confirme ou refuse de la nier, il donne un prétexte légal à Madrid et au gouvernement de Rajoy qui pourrait, dans le cadre de l’article 155 de la Constitution, suspendre l’autonomie d’une région.

Certes, pareille mesure n’a jamais été utilisée, et elle pourrait en retour mobiliser encore plus les séparatistes chauffés à bloc et qui attireraient à eux des indécis scandalisés par la « répression légale ». Toutefois, la chose est possible dans le pire des scénarios puisque l’article 155 stipule clairement que « si une région autonome ne respecte pas les obligations que la Constitution ou d’autres lois lui imposent, ou agit de manière à porter atteinte gravement à l’intérêt général de l’Espagne, le gouvernement, après avertissement au président de la région autonome, et dans le cas où il n’a pas de réponse, avec l’approbation de la majorité absolue du Sénat, pourra adopter les mesures nécessaires pour le contraindre au respect de ces obligations ou à la protection de l’intérêt général mentionné ». Pour les politicards catalanistes comme Puigdemont qui sont devenus séparatistes plus par électoralisme et avidité du pouvoir que par conviction, être privé à vie de mandat politique constituerait une véritable punition dissuasive. En revanche, pour l’aile séparatiste d’extrême-gauche radicale, le spectre de la prison ou de la privation d’éligibilité peut au contraire réveiller les réflexes révolutionnaires. Puigdemont a donc bien compris qu’il est contraint de dialoguer même s’il fait croire qu’il ne fait pas le premier pas et ne cède pas devant les injonctions madrilènes.

Le texte de l’article 1555 est certes en fin de compte à la fois clair — puisqu’il envisage une mise sous tutelle de la région — et ambivalent, car il ne précise pas clairement quelles sont les mesures possibles, ni ne mentionne la possibilité de suspendre le gouvernement ni de dissoudre le Parlement régional. Par ailleurs, pour mettre à exécution le volet répressif définitif de l’article 155, le gouvernement doit présenter préalablement au président du Sénat une requête détaillant les mesures envisagées, accompagné de l’avertissement adressé au président catalan, puis sa réponse, et il doit recevoir l’approbation de la majorité absolue du Sénat, ce qui n’est pas trop difficile puisque le parti populaire de Rajoy y dispose de la majorité absolue. D’où la sommation adressée par Rajoy à Puigdemont l’obligeant à sortir de l’ambiguïté, à ses dépens. A l’aune de ce constat, on constate que la première étape préalable à l’application de l’article 155 a déjà été franchie, puisque l’exécutif espagnol a sommé la Catalogne de se soumettre à la légalité constitutionnelle en exigeant de Puigdemont qu’il infirme ou confirme clairement sa déclaration d'indépendance. Ceci est conçu pour l’heure comme une mesure dissuasive, mais on ne peut exclure qu’elle soit suivie d’effet et débouche sur sa logique finale au cas où les séparatistes catalans n’y verraient qu’un bluff ou n’auraient pas peur du risque de confrontation en escalade.

Ainsi, pour ce qui est des « mesures nécessaires" mentionnées par l'article 155, et qui ne sont certes pas détaillées, les constitutionnalistes et le régime de Madrid estiment que le texte permet de "prendre le contrôle des organes politiques et administratifs de la Communauté autonome rebelle", puis de suspendre et remplacer des fonctionnaires et des élus, ce qui ouvrirait la voie à l’éviction de Carles Puigdemont et à son remplacement par le préfet de Catalogne, principal représentant de l'État dans la région, en attendant des élections régionales. 

Outre l’article 155, le gouvernement de Madrid dispose d’autres atouts juridiques et constitutionnels : s’il a d’ores et déjà pris le contrôle des finances de la région dès septembre, il peut aussi légalement instaurer un « état d'urgence allégé » qui lui permet d’édicter des décrets et de contrôler directement la police catalane, laquelle a été prise en flagrant délit de déloyauté vis-à-vis de Madrid durant l’organisation du référendum du 1er octobre. 

Moins envisageable encore pour le moment mais impossible à exclure en cas d’aggravation de la crise si les séparatistes durs s’imposent, une arrestation pour séditionde Carles Puigdemont et de son entouragedans le cadre d'une enquête judiciaire - qui a d’ailleurs déjà été ouverte - ne peut pas être totalement exclue, même si dans ce cas, la réaction de la population catalane, radicalisée par la propagande des séparatistes jusqu’au-boutistes dans les écoles, les médias et les institutions catalanistes, serait imprévisible et pourrait même déboucher sur la violence.

Mariano Rajoy est-il aussi rigide et limité qu’il n’y paraît ?

Dans sa rhétorique de « deuxième round » (allocution de mercredi matin), celui que l’on présente trop souvent comme psychorigide et niais, Rajoy, a par ailleurs signifié que le gouvernement de Madrid souhaitait « offrir aux citoyens de la clarté » et « éviter la confusion créée par le gouvernement » de la région catalane, renouant ainsi avec une rhétorique plus habile qu’auparavant. « Il est important de mettre un terme à la situation que l’on vit en Catalogne, de ramener la tranquillité, la sécurité », a-t-il conclu, tout en assurant qu’il n’avait rien contre l’identité catalane, déjà hégémonique dans les écoles et médias de la région, mais qu’il voulait négocier sur des bases légales et non sur celles d’un chantage puisque toute la stratégie de Puigdemont consiste à prétendre désirer un dialogue avec Madrid sur les bases de la perspective de l’indépendance, ce qui constitue en soi un oxymore.

Comme pour anticiper la réponse à la demande expresse de Rajoy, le porte-parole du gouvernement régional catalan, Jordi Turull, a déclaré que la « déclaration d’indépendance de la Catalogne », qui n’a pas été confirmée par Puigdemont dans son discours devant le Parlement, mais qui a tout de même été signée mardi soir par l’ensemble des élus séparatistes du Parlement régional et par Carles Puigdemont lui-même, était pour le moment un « acte symbolique »… Rappelons pour les lecteurs que les députés catalans indépendantistes, les présidents des associations « Assemblée Nationale Catalane » et « Omnium Cultural », de Jordi Sánchez et Jordi Cuixart, qui organisent des manifestations et marches séparatistes depuis des années parallèlement aux partis politiques, ont signé mardi, un document de Declaración de los representantes de Cataluña avec Carles Puigdemont, la présidente du Parlement, Carme Forcadell, et le vice-président catalánOriol Junqueras. Le document stipule que les signataires "constituent la République catalane comme un Etat indépendant et souverain, de Droit démocratique et social". Les signataires affirment également"disposer de l’entrée en vigueur de la loi de transition juridique et fondatrice de la République et initier un processus constituant et démocratique de base citoyenne, transversale, participative et ayant force de loi », ce qui est un défi direct à Madrid et un casus belli qui contredit totalement l’idée du désir de dialogue, d’où la déclaration postérieure de Puigdemont obligé de déclarer sa non « effectivité »..

Dans cette hypothétique partie de Pocker menteur ou dans ce « second round », Mariano Rajoy entend « suivre le menteur jusqu’à sa porte » et pousser le bluffeur (éventuel) Puigdemont dans ses retranchements afin de le coincer dans un corner et de l’obliger à sortir de l’ambiguïté à ses dépens, ce qu’il va être difficile d’éviter.

Le premier Ministre espagnol, qui masque mal sa jubilation suite à l’annonce du départ de grandes entreprises de Catalogne, à la baisse subite du tourisme, aux réactions de la bourse et à la réaction des anti-indépendantistes couplée à la division des catalanistes, a par ailleurs reçu un appui assez franc de la part de la Commission européenne, de son président, Jean Claude Junker, puis du président du parlement européen, qui ont réitéré leur appel à « respecter pleinement » l’ordre constitutionnel espagnol », ainsi que l’a déclaré le vice-président de l’exécutif européen, Valdis Dombrovskis, au cours d’une conférence de presse à Bruxelles.

Dans sa nouvelle rhétorique, qui est en fait un appel du pied aux Catalans les plus à droite et les plus effrayés par le radicalisme économiquement préjudiciable de l’extrême-gauche séparatiste, encore nombreux dans le parti de Puigdemont et surtout au sein des milieux d’affaire, Rajoy encore affiné sa nouvelle rhétorique en plaidant en faveur d’un "catalanisme intégrateur", lequel a en effet existé dans le passé, puis il a même rappelé que son parti, le PP, non seulement n’est pas hostile par principe aux catalanistes modérés, mais qu’il a même conclu des alliances électorales dans le passé avec le parti de Puigdemont alors favorable à une alliance avec la droite espagnole contre les nationalistes catalans radiaux et l’extrême-gauche. Cette stratégie fut celle du leader historique du parti de Puigdemont, Jordi Pujol, aujourd’hui controversé en raison d’un immense scandale de corruption et de blanchiment d’argent évalué à 3 milliards d’euros...

De même qu’il en avait appelé à la « résurgence du patriotisme espagnol » en Catalogne en vue de mobiliser les manifestants anti-indépendantistes le 8 octobre dernier, qui fut un franc succès, Rajoy a rappelé dans sa déclaration « qu’un référendum hors la loi ne peut pas entrainer dans sa chute une communauté de 7 millions de personnes. Le gouvernement est obligé de défendre l’unité et la souveraineté nationale. C’est pour cela que je sollicite le soutien de tous ceux qui sont prêts à défendre notre constitution."

Eviter la descente aux enfers et la catastrophe économique

En fait, nombre d’analystes s’accordent pour dire que si Madrid acceptait un jour d’accorder l’autonomie fiscale à la Catalogne, ce dont bénéficient déjà Navarre et le pays basque, les chances de réconciliation seraient plus élevées. D’évidence, pour le parti de Puigdemont, la dérive séparatiste a été au départ conçue non comme un objectif en soi, mais une menace afin de se voir octroyer un statut fiscal spécial. L’essentiel est donc au départ une histoire de gros sous… Et la fragilité des catalanistes réside dans la menace de déconfiture économique. Rappelons que depuis le référendum sur l’indépendance, les grandes agences de notation ont baissé la note de la Catalogne, dont la dette énorme va devenir un poids de plus en plus insupportable, de sorte que pour certains, l’aventure indépendantisme risque de mettre fin à l’époque de miracle économique de la Catalogne au profit d’autres régions, à commencer par Madrid et la Région du Levant, de Valencia et Alicante, également dynamiques, et situées elles-aussi à l’est du pays et qui ont des ports situés en Méditerranée.

A juste titre, Rajoy a rappelé que les Catalans ne peuvent pas prétendre être « privés d’autonomie et de liberté » depuis des années, sachant qu’ils ont imposé partout la langue catalane dans leurs écoles et administrations au détriment de l’espagnol, qu’ils contrôlent leur propre police, l’éducation, leurs institutions politiques et leur économie, de sorte qu’au regard de l’histoire du pays, “jamais la Catalogne n’a eu autant de pouvoirs, autant de compétences, autant de financement”. Les Catalanistes répondent à juste titre qu’en dehors de la Justice et des prérogatives régaliennes fédérales (Armée, diplomatie), il ne manque plus à Barcelone que l’autonomie ou l’indépendance fiscale.

Rajoy a donc appuyé sur le point sensible des Catalans en les avertissant du risque de l’indépendance pour l’économie catalane, risque qui se concrétise déjà par la fuite de capitaux, des banques et des entreprises, puis par une baisse d’au moins 20 % des réservations dans les hôtels, ce qui serait encore bien pire en cas de proclamation d’indépendance et de sortie de l’Union européenne puis de rupture totale avec Madrid.

En guise de conclusion

Mariano Rajoy a-t-il tort d’opter pour un ton résolument offensif, malgré la proposition de dialogue lancée par le président catalan mardi soir au Parlement régional ? Seul l’avenir le dira, mais pour l’heure, la stratégie de Madrid consiste à faire plier les dirigeants catalans comme préalable à un dialogue constructif, d’où la persistance de Rajoy à présenter le référendum illégal sur l’indépendance comme était un "coup à l'Etat de droit. Le premier Ministre espagnol est accusé de faire preuve d’aveuglement et d’autoritarisme, et sa stratégie visant à s’arc-bouter sur la légalité constitutionnelle, répétée comme une rengaine, est analysée par beaucoup comme étant contre-productive : le ton employé par lui est en effet particulièrement virulent, notamment lorsqu’il affirme que « les institutions catalanes sont dirigées par  des autoritaires qui ont « pour but de monter les Catalans les uns contre les autres" puis que « le 1er octobre, le gouvernement de la Catalogne a bafoué la loi, son ordre légal, et a fait un simulacre de légitimité démocratique ».

Quels scénarios ?

Le problème de fonds est que les autorités catalanes demandent de dialoguer sur des bases qui ne peuvent pas se discuter… De ce fait, même si la perspective d’une indépendance paraît impossible, on ne peut pour autant exclure totalement le scénario 1 (peu probable mais pas impossible) d’une déclaration d’indépendance qui serait finalement solennellement prononcée dans les mois à venir si la stratégie rigide de Rajoy venait à échouer face aux jusqu’au-boutistes catalanistes. Les indépendantistes prévoient alors de "déconnecter" le nouveau pays indépendant de l’Espagne dès l'entrée en vigueur de la "loi de transition juridique» qui déterminerait officiellement que « la Catalogne est devenue définitivement une république indépendante ». Ils donnent ainsi six mois à l’exécutif catalan pour convoquer des élections afin de former une Assemblée constituante, laquelle ferait solennellement de Carles Puigdemont, le président de la République de Catalogne. L'administration locale de l’actuelle Generalitat de Catalunya remplacerait définitivement celle de l'État espagnol sur tout le territoire de Catalogne (terrestre, maritime et aérien). Toutefois, la loi de transition du futur Etat catalan a été "suspendue" par la Cour constitutionnelle, ce qui la rend de jure caduque et sans effet. Dans la perspective même où la Catalogne irait jusqu’au bout, les réactions internationales semblent permettre d’affirmer qu’aucun pays ne soutiendrait ouvertement la Catalogne sécessionniste, ne serait-ce que pour ne pas ouvrir une boîte de Pandore dont les conséquences sont imprévisibles et pourraient se manifester par un effet en chaîneD’un point de vue juridique et diplomatique, aucun État-membres de l'Union européenne ne reconnaîtrait la Catalogne comme un État sachant que celui-ci serait le fruit du viol de la Constitution espagnole, ce qui provoquerait automatiquement l’exclusion de la Catalogne de l'Union européenne.

Le scénario 2, bien plus probable, consisterait à trouver un modus vivendi, devenu une option incontournable en raison des graves conséquences diplomatiques, économiques et politiques entraînées dans les deux camps, pour les deux économies et les deux classes politiques. En effet, en cas de descente aux enfers et d’escalade incontrôlée, tant Mariano Rajoy que Carles Puigdemont risqueraient d’être rejetés par leurs radicaux et opposants respectifs, qui les jugeraient ou trop mous ou trop durs, vu que les deux n’ont pas voulu allez jusqu’au bout de la logique d’affrontement. Ne serait-ce que pour sortir du blocage et pour sauver leur avenir politique immédiat, les deux ont finalement intérêt à s’entendre. Dans cette perspective, une question centrale est souvent posée par les modérés des deux bords : pourquoi Rajoy n’a jamais voulu, comme ses prédécesseurs d’ailleurs, accorder l’autonomie fiscale aux Catalanistes qui avouent souvent eux-mêmes quand on discute avec eux, que si l’Etat espagnol leur avait octroyé pareil avantage leur permettent de gérer leurs revenus fiscal comme bon leur semble sans devoir financer les régions moins développées du royaume, ils n’auraient pas fait monter les enchères. Plus inquiétant toutefois, on constate depuis le milieu des années 2010 une radicalisation des élites catalanistes jadis modérées elles-mêmes, peut-être prises au piège de leur bluff séparatiste, peut-être piégées et tenues par leurs alliés séparatistes radicaux de la gauche radicale anti-espagnole, mais probablement aussi persuadées que si on ne leur pas accordé l’autonomie fiscale dont jouissent deux autres régions autonomes riches que sont le pays basque et la Navarre, c’est en raison d’un « acharnement » et d’une haine de l’Etat espagnol post-franquiste envers une région riche, moderne, progressiste qui serait depuis toujours un reproche vivant insupportable pour la monarchie espagnole et pas seulement pour les ex-franquistes anti-catalans et leurs héritiers actuels... 

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