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L’internationalisation de la guerre civile en Syrie : l’escalade générale
©Reuters

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Les évènements survenus ces dernières semaines au Moyen et Proche-Orient n’augurent rien de bon. On ne peut plus exclure le spectre d’un conflit régional voire mondial autour de la Syrie.

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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Le 18 juin dernier, un F-18 américain de la coalition internationale a abattu un avion de combat syrien (de fabrication russe). Il s’agit de la deuxième attaque américaine directe contre l’armée syrienne en dix joursalors que les forces pro-gouvernementales syriennes venaient d’atteindre la frontière avec l'Irak en repoussant les terroristes de Daesh. L’évènement a suscité une violente réaction diplomatique et stratégique de la part de la Russie, qui a suspendu immédiatement l'accord de Moscou de 2015 qui permettait jusqu’alors à Washington d’établir des mécanismes (« ligne rouge ») pour la prévention des accidents entre aéronefs des deux pays actifs sur le théâtre syrien. De facto, l’accord - pourtant hautement nécessaire sachant que des accidents et heurts pourraient déraper à chaque instant en Syrie -  a été annulé par l’attaque américaine contre les intérêts du partenaire russe qui n’a même pas été consulté. Escalade plus que prévisible : Moscou a immédiatement annoncé que les avions de toute armée (y compris américaine et de la coalition) s’en prenant aux intérêts de la Russie et de ses alliés à l'ouest de l'Euphrate en Syrie constitueraient désormais une cible légitime pour l’armée russe...

Parallèlement, la semaine dernière, l'Iran, qui demeure le principal soutien politique et militaire (terrestre) du régime syrien, a lui aussi frappé directement en Syrie (à Deir ez Zor) des bases de l'Etat islamique, officiellement en représailles à l’attentat perpétré à Téhéran contre le mausolée de l’imam Khomeiny et le Parlement iranien. Pendant ce temps, les Etats-Unis intensifient leur présence en Syrie, via notamment le déploiement de lance-roquettes multiples HIMARS. Last but not least, en Arabie saoudite, en plein conflit diplomatique avec l’Iran et le Qatar, le roi Salman Ben Abdelaziz Al-Saoud vient de désigner son fils Mohammed Ben Salman comme prince héritier, ce qui a bousculé cinq décennies de tradition politique saoudienne fondée sur un fonctionnement de désignation collégiale de l’héritier du trône. Or celui qui vient de bénéficier de cette révolution patrilinéaire directe n’est pas n’importe qui et est loin d’être le plus sage des héritiers prétendants : le très jeune et fougueux prince Salmane est un va-t-en guerre qui rêve de déclarer la guerre à l’Iran et d’envahir le Qatar…. Il traîne d’ailleurs derrière lui une première guerre (indirectement tournée contre l’Iran) qui a fait pléthore de victimes civiles, celle du Yémen. Mohammed Ben Salman  accuse violemment le Qatar et l’Iran de soutenir le terrorisme, mais il n’a eu de cesse de soutenir sans réserve depuis le printemps arabe les djihadistes salafistes totalitaires en Syrie - pourtant liés aux terroristes d’Al-Qaïda. Il fait massacrer depuis des mois par son aviation des milliers de civils chiites yéménites, ce qui n’a fait en retour que renforcer l’aide iranienne aux rebelles chiites-houtistes.

Essayons de tirer les leçons de ces évènements tous liés.

Premièrement, il est clair que les alliés américano-sunnites ne voient pas d’un bon œil la progression des forces du camp opposé syro-iranien et russe face à Da’esh. En ce sens, la bataille de l’après Da’esh a bien commencé, et cela explique en partie l’intensification de l’internationalisation du conflit (frappes américaines contre l’armée syrienne ; frappe iranienne directe en Syrie ;  détérioration de la relation russo-américaine et fin de la désescalade entre les deux pays pour éviter un heurt direct, etc).

Deuxièmement, la frappe américaine contre un avion syrien s’inscrit dans le cadre des premières actions musclées de Trump en Afghanistan et en Syrie (suite à l'attaque au chlore de l’armée syrienne à Khan Cheikhoun contre un camp d'Al Qaïda) qui avaient essentiellement une dimension « communicationnelle ». Pour la coalition anti-Da’esh pilotée par l’armée américaine, il s’agit là d’une façon de dire : « Nous combattons Da’esh mais nous ne sommes pas les amis du régime syrien», lui-même allié majeur régional de notre ennemi principal iranien ». Aussi ces frappes ne sont-elles pas du tout déterminantes contre l'armée syrienne. Pour le président américain - diabolisé en grande partie en raison de son prisme supposément « pro-russe » et de sa complaisance vis-à-vis du régime syrien - il s'agit surtout d'envoyer un message à ceux qui cherchent à le discréditer dans son propre camp républicain tendance interventionniste. Durant sa campagne électorale, Donald Trump avait juré mettre fin à l’interventionnisme et qu'il privilégierait la lutte contre le terrorisme, refusant même de considérer le régime syrien comme un ennemi. Cette vision est en train de voler officiellement en éclat, mais cela n’est pas vraiment surprenant, car, dans son programme, le président américain s’est montré extrêmement hostile envers l'Iran. Or, la Syrie est farouchement protégée par le gouvernement iranien, encore plus attaché à la personne de Bachar el-Assad (son obligé) que la Russie (qui accepte de le remplacer à terme). Dans ce contexte, le net rapprochement de Donald Trump qui a renouvelé le terrible « pacte du Quincy » avec l'Arabie Saoudite n’est pas non plus surprenant. Le message américano-saoudien consécutif aux bombardements américains en Syrie est destiné tant à l’Iran et à la Russie qu’au régime syrien qui n’est plus que l’ombre de lui-même et qui n’existe plus sans ses deux protecteurs: «Nous ne voulons plus que l'Iran étende son influence au Proche-Orient » et nous voulons endiguer la Russie en contribuant (avec les rebelles sunnites arabes et les Kurdes) à faire renverser le régime pro-russe en place. Les Etats-Unis semblent avoir désormais choisi la voie de la déstabilisation du camp iranien, tant en Iran, en aidant les rébellions ethniques iraniennes, qu’en Syrie ou au Yémen, où les Etats-Unis aident la coalition arabo-saoudienne qui bombarde les rebelles chiites-houtistes. La rupture réelle avec Obama, si enclin à composer avec les Mollahs, notamment dans le cadre de l’accord sur le nucléaire iranien, est là. Et l’Arabie est éprise de l’Oncle Donald car il va enfin créer les conditions d’un endiguement de Téhéran.

Troisièmement, rappelons aussi que les frappes américaines ont eu lieu comme par hasard juste au moment où la coalition internationale a été pointée du doigt par les Nations Unies au sujet du nombre alarmant de victimes civiles lors de ses bombardements américains sur Raqqa, sans oublier le scandale de l’utilisation de munitions au phosphore blanc lors des bombardements sur Raqqa par la coalition qui a elle-même affirmé avoir recouru à cette substance notamment à Mossoul. Après avoir critiqué gravement pendant des mois la Russie – accusée de « crimes contre l’Humanité » - lorsque l’armée russe a pris Alep aux jihadistes – les Etats-Unis et les Occidentaux, pris en flagrant-délit de se comporter comme ceux qu’ils ont pointé du doigt (Syriens, Russes et Iraniens), étaient obligés de faire une diversion médiatique en visant le régime « génocidaire » honni de Damas. Mais la coalition ne peut plus faire croire qu'elle ne se rend pas compte que, dans ce genre de guerres, il y a forcément des dommages collatéraux. Les masques sont tombés. La guerre psychomédiatique reprend de plus belle dans le cadre d’une rivalité croissante entre le camp russo-irano-syrien et le camp américano-sunnite pour la transition en Syrie, jugée inévitable une fois Da’esh vaincu.

Prisonniers de leur avidité économique et fidèles à leur stratégie pro-sunnite, anti-iranienne et anti-russe, les Etats-Unis semblent incapables de désigner l’ennemi principal

Incapable de hiérarchiser l’ennemi et de définir la menace principale, l'Amérique de Trump, qui promettait de clarifier les choses et de rompre avec la russophobie, a finalement choisi comme ennemi non pas le terrorisme djihadiste sunnite, mais aussi la Russie et surtout son allié russe. Ceci est une situation fort trouble, car en stratégie, on ne peut pas avoir deux (ou trois) ennemis en même temps, au risque de ne combattre efficacement aucun d’entre eux : par exemple, en Irak, face au jihadisme sunnite et surtout aux ex-baasistes de Saddam Hussein, les Etats-Unis soi-disant ennemis de l’Iran, ont permis en fait à Téhéran de contrôler la partie chiite de l’Irak. Puis dans leur volonté d’endiguer l’Iran révolutionnaire sur d’autres fronts, Washington est resté pieds et poings liés à la monarchie wahhabite saoudienne qui a pourtant créé l’ennemi salafiste-jihadiste que les Etats-Unis combattent également… Et pour continuer à endiguer « l’ennemi russe » post-soviétique, les Etats-Unis se sont privés d’une alliance russo-occidentale que Poutine avait pourtant proposé un an avant le 11 septembre en Afghanistan, notamment face à l’ennemi commun jihadiste-sunnite…

Plutôt que de se focaliser sur l'ennemi principal, le djihadisme islamiste sunnite, Washington et ses alliés considèrent qu'il y a au moins deux autres ennemis plus importants sur le long terme (avec la Chine), car de nature géostratégique : la Russie et l’Iran et leurs alliés (Syrie-Hezbollah). Le plus important aux yeux de Donald Trump reste certes surtout l’impératif catégorique de l’«America first». Et cela passe notamment par la vente d'armes, d'avions et autres marchandises aux pays du Golfe, clients incomparables. Toute la politique de Donald Trump, depuis quelques semaines, correspond en effet à cette tradition américaine d’« efficiency first for us » en matière de politique extérieure. En fin de compte, Trump est en train de se plier aux impératifs de cette stratégie géo-économique de long terme qui prime sur tout, car ces impératifs le dépassent. Le président américain ne pouvait pas à lui seul instaurer une collaboration étroite avec la Russie, intégrer le régime syrien dans la lutte contre l'islamisme radical ou encore rompre avec l'Arabie Saoudite, voire même le Pakistan. Le système qui est au-dessus de lui ne le permettra pas.

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