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La mise au ban du Qatar : dommage collatéral de la guerre annoncée Arabie Saoudite-Iran et des répercussions du Printemps arabe
©Reuters

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Cette rupture entre les deux pays-frères ennemis wahhabites s’inscrit dans le cadre d’un contentieux qui s’est cristallisé quelques années plus tôt lors du printemps arabe, lorsque le Qatar, peut-être trop sûr de lui, a voulu jouer sa propre partition géopolitique mondiale.

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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Le 5 juin dernier, l’Arabie saoudite, l’Égypte, les Émirats arabes unis, le Bahreïn, la Libye, le Yémen et les Maldives ont rompu leurs relations diplomatiques avec l’émirat du Qatar. Riyad reproche à Doha son soutien aux Frères Musulmans, à des groupes djihadistes liés à Al-Qaïda et Da’esh, sa proximité avec l’Iran, puis des propos attribués à l'émir du Qatar, Tamim Ben Hamad Al Thani, qui auraient encouragé le Hezbollah, le Hamas et même soutenu l’Iran-chiite, ennemi juré des Saoud. Déjà survenue une première fois de façon assez brutale en 2014, cette rupture entre les deux pays-frères ennemis wahhabites s’inscrit également dans le cadre d’un contentieux qui s’est cristallisé quelques années plus tôt lors du printemps arabe lorsque le Qatar, peut-être trop sûr de lui  et désireux de jouer sa propre partition géopolitique mondiale, s’est mis à soutenir, par les gazodollars, l’appui diplomatique et Al-Jazira, les révolutionnaires arabes qui voulaient « dégager toutes les dictatures en place » et en particulier les partis politiques islamistes issus de la Confrérie des Frères-musulmans bannie en Arabie saoudite depuis qu’elle menace idéologiquement la monarchie saoudo-wahhabite au nom d’une conception à la fois révolutionnaire et démocratique de l’islamisme, ce qui est une menace existentielle pour Riyad. Dans ce contexte l’Arabie saoudite a exclu sans trop de surprise du Conseil des Oulémas de la Ligue islamique Mondiale, le célèbre cheikh-prédicateur égypto-qatari Youssef Al-Qardaoui, idéologue majeur des Frères musulmans basé au Qatar, puis le gouvernement de Riyad a fait retirer tous ses ouvrages des écoles et bibliothèques du pays. En parallèle, les Saoudiens ont fait interdire la chaîne qatarie al-Jazira dans les hôtels et ont même interdit aux Qataris de visiter la Grande Mosquée de La Mecque. Aux Emirats et en Saoudie, ces mesures ont été assorties d’une pénalisation de toute critique des positions anti-qataries et anti-Frères musulmans des deux pays (le soutien public du Qatar est passible d’une amende d’un million de dollars et jusqu’à 15 ans d’emprisonnement…).

Opération de diversion de l’hôpital qui se moque de la charité

L’Arabie saoudite a réussi par cette manœuvre de diversion - qui vise aussi à faire oublier sa propre responsabilité accablante dans le financement de la fanatisation islamiste-salafiste depuis des décennies - à discréditer un peu plus le « vilain petit Qatar », victime depuis le 6 juin d’un blocus économique et aérien auquel participent l'Arabie Saoudite, les Émirats Arabes Unis et le Bahreïn et qui vise à faire planer sur l’émirat - riche mais isolé - une menace de pénurie alimentaire, sachant que Doha importe 90% de ses denrées alimentaires et que 40% de ses importations transitaient par la frontière saoudienne, unique point de contact avec la péninsule arabique. Concernant la façade maritime, le ravitaillement habituel du Qatar s’opérait à travers les ports des Émirats Arabes Unis qui sont à présent totalement fermés aux navires qataris. Il faut reconnaître que l’incontrôlable et incohérent Trump, soi-disant « anti-islamiste » et « islamophobe » tel qu’on la caricaturé durant sa campagne lorsqu’il a incriminé les pays islamistes du Golfe, n’est pas étranger à cette crise qataro-saoudienne, puisqu’il a apporté un soutien total à l’Arabie saoudienne et a jeté de l’huile du le feu saoudo-qatari lors de sa récente tournée au Moyen-Orient qui s’est traduite par un appel à désigner l’ennemi principal iranien, jugé supérieur à la menace djihadiste de Da’esh et Al-Qaïda, et à endiguer tous les partenaires de Téhéran, dont indirectement le Qatar…

C’est dans ce contexte de lutte totale entre l’Arabie saoudite appuyée par Trump et l’Iran chiite qu’ont été perpétrés à Téhéran deux attentats (contre le Parlement iranien et le mausolée de l’imam Khomeyni) qui ont fait 17 morts et qui ont été revendiqués par l’Etat islamique, idéologiquement si proche du wahhabisme saoudien. Et c’est dans ce même contexte de « Fitna » chiites-sunnites et Iran-Arabie qu’il faut replacer la mise au ban du Qatar qui est accusé par Riyad de ne pas avoir choisi son camp (sunnite anti-chiite iranien) en refusant de participer clairement à cette guerre contre les Perses et l’axe chiite pro-iranien d’une manière générale, une guerre totale opposant deux théocraties islamistes opposées qui s’affrontent par guérillas et moujahidines interposés tant en Syrie, au Liban, en Irak, qu’au Yémen.

La contre-offensive qatarie et l’étonnante résilience de l’émirat : alliés turcs et iraniens

Contrairement à toute attente, l’Emirat qatari ne semble pas être prêt à rentrer dans le rang saoudien anti-iranien et anti-Frères musulmans. Et pour contrebalancer son isolement, Doha a réactivé son alliance déjà ancienne avec la Turquie depuis que celle-ci est dirigée par le très pro-Frère-musulman Erdogan. Ensuite, dans son bras de fer avec l’Arabie et ses alliés émiratis, bahreinis. N’oublions pas en effet qu’aux côtés du Qatar, la Turquie post-kémaliste et « néo-ottomane » d’Erdogan n’a cessé de parrainer depuis le début le printemps arabe les Frères musulmans dans tous les pays de la région, ce qui ne plait pas du tout aux Emirats, à Riyad, à Bahrein et à l’Egypte en guerre ouverte contre la Confrérie dont les bases-arrières sont le Qatar et la Turquie. Aussi Ankara a-t-elle mis en place, sous couvert d’un refus de la « guerre contraire à l’esprit du Coran entre frères sunnites » (selon le récent discours d’Erdogan), un pont aérien pour approvisionner l’émirat en volaille et en produits laitiers. Ankara a également envoyé des milliers de soldats au Qatar afin de « former la gendarmerie locale », conformément aux accords de défense conclus en 2014 entre Ankara et Doha qui prévoyaient l’installation d’une base militaire turque. Mercredi dernier, le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu a rencontré à Doha son allié, l'émir cheikh Tamim ben Hamad al-Thani, puis il s’est également rendu le lendemain au Koweït - qui tente également de résoudre la crise - puis ce vendredi même en Arabie saoudite pour y rencontrer le roi Salmane.

Concernant l’Iran, force est de constater qu’au lieu de conduire l’Emirat à rompre avec l’Iran, but initial majeur de l’embargo saoudien, la crise semble pour le moment avoir plongé encore plus le Qatar - pourtant sunnite-wahhabite - dans les bras de l’Iran-chiite, qui fait désormais office de maraîcher pour l’Emirat qui reçoit de la République iranienne des milliers de tonnes de fruits et légumes par avion et par bateau. Doha s’est par ailleurs vu proposer par Téhéran l’ouverture de l’espace aérien iranien pour les vols qataris. En fait, l’Iran des Mollahs voit dans la crise qataro-saoudienne une formidable opportunité pour diviser le front arabo-sunnite ennemi et même pour tenter de renverser les alliances, ce qui n’est certes pas encore acquis pour l’heure. En effet, en dépit de la guerre en Syrie qui avait éloigné les deux pays - puisque le Qatar aidait les rebelles islamistes sunnites anti-Assad et l’Iran soutenait à fond le régime de Assad -, l’Iran redevient un partenaire paradoxal mais utile pour casser le nouveau front anti-Doha. Le but évident de la République islamique iranienne est de tenter de lézarder l’alliance anti-chiite et de réactiver l’axe Turquie/Iran/Qatar/Hamas-Hezbollah qui a déjà été esquissé dans le passé. Celui-ci accroîtrait encore plus la « profondeur stratégique » de l’Iran dans l’ensemble du proche et moyen Orient. Ceci face à la Triplice Arabie/Emirats/Egypte qui se rapproche d’Israël et qui est de ce fait très peu populaire en Turquie et auprès de la « rue arabe ». Soulignons d’ailleurs que le ministre iranien des Affaires étrangères s’est rendu opportunément à Ankara deux jours seulement après le début de la crise. Si pareille axe Turco-qataro-irano-Hamas-Hezbollahi se confirmait, cela signifierait que les Saoud et leurs alliés impopulaires dans les pays arabes auraient obtenu en fin de compte l’exact contraire du but initialement recherché...  

Certes, le dossier syrien va continuer à opposer sur le fond les Qataris et l’Iran, même si la Turquie s’est quant à-elle déjà modérée en lâchant une partie de la rébellion islamiste syrienne dans le cadre d’un accord avec la Russie sur le dos des Kurdes. Toutefois, étant donné que la crise actuelle avec les Saoud et les Emirats arabes unis menace le Qatar dans sa pérennité même (les Emirats n’ont d’ailleurs jamais digéré le fait que le Qatar n’ait pas voulu être un des Etats fédérés des EAU), il n’est pas impossible que le dossier syrien passe peu à peu au second plan pour Doha, ceci au grand dam des rebelles sunnites syriens anti-Assad et au profit de l’Axe russo-irano-chiite pro-Assad.

Dans ce nouveau contexte géostratégique régional, certes conjoncturel, mais permis aussi par le rapprochement russo-turc, le Qatar pourrait décider de se retirer en effet partiellement du front anti-Assad syrien et même cesser de faire du départ de Bachar du pouvoir une condition préalable comme l’a également fait Erdogan depuis son entente pragmatique avec Poutine en juillet 2016. Seule bonne nouvelle de la crise qataro-saoudienne : celle-ci va peut-être permettre de trouver plus facilement une sortie de crise en Syrie puisque le départ préalable de Bachar al-Assad exigé jusqu’à l’été 2016 par le Qatar, la Turquie et d’autres Etats sunnites avait fait capoter tous les pourparlers de Genève.

Chronique d’une guerre annoncée

En fait, « La guerre froide du Golfe », qui oppose le Qatar aux Emirats arabes unis remonte aux débuts du printemps arabe, lorsque la Qatar avait misé sur les soulèvements populaires et soutenu massivement les partis islamistes issus des Frères musulmans tant en Tunisie, en Egypte, en Syrie, qu’au Maroc, au Yémen qu’en Libye, ce qui a fait horriblement peur aux despotes sunnites d’Arabie Saoudite et des Emirats qui craignent pour leur pouvoir monarchique contesté par les partis proches des Frères musulmans favorables aux élections. En Egypte, le premier président démocratiquement élu à l’issue du printemps arabe et de la chute de Moubarak, Mohamed Morsi, a été fortement financé et soutenu politiquement par le Qatar, qui souhaitait apparaître, à l’instar de la Turquie d’Erdogan, comme le principal soutien extérieur d’un islamisme démocratique face aux tyrans nationalistes-militaires en place depuis des décennies. En toute logique, Riyad et Abou Dhabi, qui craignent non pas l’islamisme sunnite mais simplement sa déclinaison « démocratique », ont donc soutenu le coup d’Etat militaire qui a porté au pouvoir le maréchal Abdel Fattah al-Sissi. On a pu constater un même processus en Lybie, en Tunisie, au Maroc ou en Palestine, où le Qatar a systématiquement soutenu les partis et forces issues de la mouvance des Frères musulmans, ce qui a considérablement plu à l’Etat d’Israël, qui a trouvé là de nouveaux alliés sunnites contre les Frères musulmans du Hamas. A l’opposé de cet axe saoudo-égypto—israélo-émirati anti-Frères musulmans, anti-Hezbollah et anti-iranien, le Qatar et la Turquie héros des rebelles arabes islamistes ont redoublé leur appui au Hamas et dénoncé les premiers comme des « sionistes arabes » donc des traitres, ce qui ne peut pas laisser indifférentes les masses arabes sunnites. Allié privilégié de Doha, la Turquie s’est alors nettement

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