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"Père, gardez-vous à droite. Père, gardez-vous à gauche !" : Alain Juppé pourra-t-il tenir sur tous les fronts ?
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Rhétorico-laser

Si la plupart des médias lui sont à l’évidence favorables, au nom du "Tout-Sauf-Sarkozy", c'est à la réaction de ces concurrents mais aussi de la gauche "hollandaise" que le favori actuel des sondages doit prendre garde.

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
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Que la correction politique me pardonne si j’évoque le temps où "nos ancêtres les Gaulois" régnaient encore dans nos écoles. Il y avait un autre tableau marquant dans la grande galerie nationale que dressait alors nos manuels d’histoire : la bataille de Poitiers en 1356 où le roi Jean le Bon fut capturé par les soldats de la perfide Albion après un combat héroïque où son dernier fils, Philippe, futur duc de Bourgogne, le mettait en garde contre les coups de l’ennemi : "Père gardez- vous à droite. Père gardez-vous à gauche".

Alain Juppé, fils glorieux de l’école républicaine, a dû certainement penser à cette phrase au terme d’une semaine de surexposition où les coups ne lui furent pas épargnés - même si la plupart des médias lui sont à l’évidence favorables, au nom du "Tout-Sauf-Sarkozy".

Aussi bien, est-ce davantage à la réaction de ces concurrents mais aussi de la gauche "hollandaise" que le favori actuel des sondages doit prendre garde.

Il veille visiblement au grain par rapport à Nicolas Sarkozy, vis à-vis duquel sa tactique rhétorique semble payer : réponse du tac au tac ; style verbal affirmé et énergique ; voire concurrence inattendue sur le registre du "parler brut" ("je les emmerde !"). Mais surtout, Alain Juppé a la grande intelligence de revendiquer précisément ce qu’on lui reproche ("l’identité heureuse", la "modération") et de parer les attaques en les reformulant positivement. Tout en prenant soin, primaires obligent, de rappeler qu’il est un "homme de droite", "un gaulliste", un "réformateur" résolu, etc…

Mais voilà : mis bout à bout, tous ses propos risquent de brouiller le message. Rassurer la droite SANS effrayer la gauche est un exercice d’équilibriste, qui se mesure à la fréquence de ces formulations ambiguës dans le discours même d’Alain Juppé : "faire ceci TOUT EN en faisant cela" ; "rendre les allocations chômage dégressives, SI le marché du travail se redresse".

"Rhétorique circulaire" qui n’est pas sans rappeler celle de… François Hollande. Tout comme le vœu pieux que "la croissance reviendra" qui rappelle un certain "ça va mieux" et qui peut susciter à droite une question dangereuse pour l’intéressé : que fera vraiment "Alain Juppé-Président" et fera-t-il même quelque chose ?

Mais, inversement, il est essentiel, pour la gauche hollandaise de parer au danger qui se profile d’un remplaçant aussi évident de l’actuel occupant de l’Elysée, avec la crédibilité personnelle et la stature présidentielle en plus. C’est bien pourquoi le parti socialiste engage déjà le fer avec l’ancien Premier ministre que Jean-Christophe a déclaré "friable en campagne", "arrière-grand-père de la politique", "frère siamois de Nicolas Sarkozy" et autres amabilités. Et de dénoncer le "libéralisme" (abomination de la désolation !) de son programme économique qui menace de destruction "notre-modèle-social-que le-monde-entier-nous-envie". Thème qui servira d’ailleurs contre tout candidat de droite et qui s’annonce comme le cœur nucléaire de la rhétorique de campagne à gauche. Autrement dit, si les mots ont un sens, une campagne ultra-conservatrice.

A moins qu’à ce jeu-là, Alain Juppé, par ses ambiguïtés mêmes, ne soit justement le vrai gagnant. Car ce conservatisme n’est-il pas finalement dominant, sinon dans la population, du moins parmi ceux qui votent effectivement, y compris à droite ? Combien de Français ne souhaitent-ils pas au fond d’eux-mêmes que "tout change pour que rien ne change" ? Notamment dans l’électorat senior, très "votant", qui craint de voir ses retraites et son assurance-santé disparaître en même temps que l’Etat-providence. Voilà qui pourrait bien expliquer l’avance persistante d’Alain Juppé dans les sondages pour les primaires comme pour les présidentielles.

Soyons clairs : il ne s’agit ici nullement de lui faire un procès d’intention en inertie. L’homme a prouvé en 1995 son allant réformateur et "le miracle bordelais" atteste de son énergie transformatrice. Mais, d’un point de vue tactique et rhétorique, l’enjeu est ailleurs : il a tout intérêt, à ce stade, à ne pas sortir de l’ambiguïté.

Il faut donc s’attendre à ce que ses challengers cherchent à l’en débusquer. Et à engranger, au passage, le bénéfice d’une réaction "cassante" de l’intéressé, qui a reconnu lui-même ce petit travers. Et qui, s’il est un bon débatteur, n’a pas le souffle d’un grand tribun.

Réponse le 13 octobre. 

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