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La nouvelle étape stratégique sur le chemin de la dérive autoritaire et "néo-ottomane" d'Erdogan
©Reuters

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Le 19 mai dernier, une nouvelle étape dans la stratégie "national-islamiste" et semi-dictatoriale du président-sultan Erdogan et de son parti de la Justice et du Développement (AKP) a été franchie avec succès. Comme cela avait été annoncé il y a plusieurs semaines déjà, l'ex-conseiller, ex-Ministre des Affaires étrangères et Premier Ministre Ahmet Davutoglu, artisan de la doctrine "néo-ottomane" de la Turquie post-kémaliste, a été remplacé par Binali Yildirim, fidèle en chef de Recep Tayyip Erdogan, comme nouveau Premier ministre. Yildirim est devenu de ce fait automatiquement le nouveau leader officiel de l'AKP et est chargé de former un nouveau gouvernement ayant vocation à renforcer un peu plus le pouvoir personnel d'Erdogan.

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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Il s'agit là d'un événement majeur dans la cadre de l'évolution autoritaire de la Turquie, car les deux hommes, Erdogan et Davutoglu, n'étaient pas des concurrents ou des ennemis idéologiques, ce qui explique d'ailleurs pourquoi le Premier ministre sortant a accepté sa défaite sans combattre, ce qu'a laissé entendre sa déclaration récitée d'une voix tremblante : "La fin prématurée de mon mandat n'est pas mon choix, mais le résultat de la nécessité"... En réalité, Davutoglu était identifié comme un empêcheur de tourner en rond, un obstacle à la dérive sutanesque d'Erdogan, tout en étant jugé par son "chef" bien trop consensuel sur de nombreux points, notamment dans les relations avec l'Union européenne et sur la question des migrants. Par ailleurs, la fameuse doctrine du "zéro ennemis" de Davutoglu, et son plus grand attachement à la démocratie formelle, à l'instar de son prédécesseur Abdullah Gül, commençaient à indisposer Erdogan qui ne cache même plus son ambition de devenir un nouveau Sultan aux pouvoirs quasi illimités, un anti-Atätürk, et qui n'a pas hésité à faire renaître la guerre civile avec les Kurdes honnis puis à jouer avec les terroristes islamistes et à réprimer aveuglément l'opposition pour assoir son pouvoir de plus en plus unique dans un style à la fois ultra-populiste et démagogique. Devenu Premier ministre en Août 2014 à la suite d'Erdogan - lui-même élu président de la République - Davutoglu avait enfin réalisé que le Néo-Sultan décide seul qui doit être le Premier ministre et le chef de l'AKP, alors même que ni le statut du parti AKP - dans lequel le président n'a plus aucun rôle - ni surtout la Constitution, ne confèrent légalement au Président de la République pareilles prérogatives ultra-présidentialistes. Ceci explique l'obsession d'Erdogan de changer la Constitution et d'attribuer au président, jadis doté d'un pouvoir très restreint, un rôle sans partage. C'est dans ce contexte qu'il faut comprendre la nomination unilatérale de Yildrim comme nouveau Premier Ministre "yes-Man" et fidèle à cent pour cent.

Dans son discours de démission, Davutoglu a bien rappelé dit qu'il avait essayé de renforcer le principe d'un "président fort et d'un premier ministre fort", principe d'équilibre qui contredisait les projets d'Erdogan visant à transférer tous les pouvoirs exécutifs au seul président. Aussi les rumeurs de palais prédisent-elles depuis quelques jours que l'étape suivante, après la nomination d'un nouveau Premier ministre obligé d'Erdogan, risque d'être une nouvelle élection, la troisième en un peu plus d'un an, visant à doter une fois pour toutes le parti AKP d'une majorité qualifiée au Parlement turc nécessaire pour mener à bien la réforme constitutionnelle au moyen de laquelle compte définitivement effacer les dernières traces de la laïcité kémaliste et du parlementarisme au profit d'un pouvoir personnel et d'un parti unique désormais capables de régner sans partage puisque le MHP nationaliste et le HDP pro-kurde de Demirtas, lui-même harcelé par la justice, ont chuté dans les sondages est seraient très probablement en dessous du seuil minimum de 10% obligatoire pour être représentés au Parlement.

En fait, bien qu'étant proche du Sultan néo-ottoman et bien que partageant avec lui une vision anti-kémaliste et panislamiste, Davutoglu a cherché en vain à faire valoir ses droits constitutionnels de Premier ministre sans être assez fort pour s'imposer. De ce point de vue, on peut dire que Recep Taiyyp Erdogan et le parti AK - qui lui est totalement acquis - est en train de transformer la Turquie en une sorte "d'Etat-parti" dirigé par un seul homme omnipuissant et sans contrepouvoirs. Aujourd'hui, après l'éviction de l'opposition laïque et anti-islamique ; l'éradication de l'opposition kurde et kémaliste ; l'incarcération des centaines de militants démocratiques, de blogueurs, de défenseurs des droits de l'homme et journalistes; la condamnation de militaires anti-islamistes, et même la mise à l'écart de la puissante Confrérie des Fetullah qui lui faisaient de l'ombre, il n'y plus en Turquie aucun frein à "l'Etat-AKP" et au néo-Sultanat d'Erdogan. Et c'est ce dictateur en germe, ce populiste "national-islamiste" alliés des djihadistes et tombeurs de militants laïques et démocrates que l'Union européenne et les Etats-Unis, une fois de plus surpris en flagrant-délit de compromission pro-islamiste, ont adoubé, encouragé lorsqu'il est arrivé au pouvoir en 2002 cinq ans à peine pourtant après avoir été condamné et emprisonné pour fanatisme islamiste et incitation à la haine religieuse par l'ancien Conseil de Sécurité National turc (MGK), comme si les suicidaires occidentaux n'avaient pas tiré les leçons de la Guerre froide et de la guerre d'Afghanistan quand ils ont appuyé les ancêtres d'Al-Qaïda avant de recevoir en pleine figure et sur les twin towers le boomerang islamo-jihadiste du 11 septembre 2001... La naïveté de l'Union européenne, qui a accepté la candidature d'Ankara en 1999, a ouvert les négociations en vue de l'adhésion avec ce pays en voie de réislamisation et de dékémalisation en 2004, et continue de promettre l'entrée dans l'UE à ce pays qui flirte avec les djihadistes libyens et syriens semble être sans limites.

Ironie du sort, l'éviction de M. Davutoglu est advenue à l'issue de son plus grand succès diplomatique, la promesse d'une libéralisation des visas de l'Union européenne pour les citoyens turcs suite à l'accord déséquilibré sur l'immigration signé en Mars qui donnait pourtant la part belle à Ankara mais que le Sultan Recep Taipei Erdogan jugeait encore trop "modéré"...

Mégalomanie ou rêve califal néo-ottoman ?

 Atteint de folie des grandeurs, Erdogan s'est fait construire sur mesure un palais présidentiel impérial de 200 000 mètres carrés et de 1 150 pièces. Inauguré en octobre 2014, près d'Ankara, le palais de marbre blanc, Ak Saray - style "néo-seljoukide" - a coûté 500 millions d'euros. Le président turc y a notamment accueilli en grande pompe son homologue palestinien Mahmoud Abbas - protégé par une haie d'honneur de militaires revêtus des uniformes des seize États qu'a connus la Turquie au cours de son Histoire. Un message fort à l'adresse des nationalistes, des panturquistes et des islamiste de tous poils. À ce palais s'ajoutent d'autres projets néo-impériaux démesurés : la construction d'un troisième aéroport à Istanbul baptisé Recep Tayyip Erdogan (une université et un stade de football portent déjà son nom...) ; et l'édification de deux nouvelles super-mosquées à Istanbul : l'une sur la place Taksim (véritable provocation pour les libéraux et les laïcs) ; l'autre d'une capacité de 30 000 places qui surplombera le Bosphore depuis la colline de Camlica, visible depuis toute la ville. Erdogan a déjà annoncé son souhait d'y être enterré,comme jadis les sultans... En fait, l'opposition laïque kémaliste turque ne cesse d'affirmer que le but ultime d'Erdogan est de passer à la postérité comme le président le plus puissant, doté de la plus importante longévité politique de toute l'histoire de la Turquie moderne, et comme celui qui aura "lavé" définitivement l'affront de la laïcité kémaliste et de la désislamisation , opérée par son antithèse Atätürk "l'apostat". Un projet qui horrifie les 20 % de kémalistes et de laïques turcs occidentalisés de l'Ouest riche du pays mais qui séduit les masses islamiques et les nouvelles élites économico-politiques issues de l'exode rural anatolien.

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