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Charlie Hebdo : Michel Houellebecq visionnaire, simple pervers ou "morne djihadiste" ?
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Revue de presse des hebdos

Au lendemain de "l'attentat" perpétré au siège de "Charlie Hebdo", on a envie de tout, sauf de se coller à Houellebecq et à son livre. Va pourtant falloir se forcer.

Barbara Lambert

Barbara Lambert

Barbara Lambert a goûté à l'édition et enseigné la littérature anglaise et américaine avant de devenir journaliste à "Livres Hebdo". Elle est aujourd'hui responsable des rubriques société/idées d'Atlantico.fr.

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Après ce qui s'est passé hier, mercredi 7 janvier, le livre de Michel Houellebecq est bien la dernière chose dont on a envie d'entendre parler. Entre le drame survenu au siège de "Charlie Hebdo" et la parution de "Soumission" (publié chez Flammarion), le lien — si lien il y a — reste à établir. Le fait est que la date du 7 janvier coïncide avec celle de la sortie de l'opus en librairie. C'est, hélas, et quoi qu'on en pense, une bonne raison de s'y coller, à ce livre. Et en ce qui nous concerne (puisque notre boulot est de faire une revue de presse, pas une critique ni un édito), à ce que la presse en dit, ou, plus précisément, en a dit. Tous vos hebdos ont en effet bouclé mardi, 24 heures avant l'assassinat de douze personnes, parmi lesquelles Charb, Cabu, Wolinski, Tignous et Bernard Maris. En écrivant cela, et même si on a les yeux gonflés, on se pince encore pour se rappeler que c'est vrai. On se dit toujours que cela ressemble à de la mauvaise fiction. Un peu comme un certain mardi, d'il y a quatorze ans... Quand on a vu sur Twitter, mercredi, vers midi, Michel Onfray comparer l'événement au 11 septembre 2001 — il n'était pas le premier —, alors qu'on ne savait pas encore qui était mort, blessé ou sauvé, on s'est dit que c'était un peu poussé. Avec le recul (le hasard a voulu qu'on soit sur Twitter quand, vers 11 heures, l'annonce de l'attaque est tombée), toutes proportions gardées, on a un peu révisé notre jugement : ce 7 janvier, quelque chose est arrivé, de grave, d'infiniment triste, d'inacceptable, de révoltant. Quelque chose est cassé. Définitivement.

Houellebecq comme Zemmour ?

"Michel Houellebecq n'est pas un bon écrivain, mais il est un auteur important", entame Christophe Barbier dans "L'Express". Ce jugement a-t-il quelque chose à voir avec le fait que le romancier met en scène le journaliste dans son livre, "l'écharpe en berne, (en train de) se traîner misérablement d'un plateau de télévision à l'autre, impuissant à commenter une mutation historique qu'il n'avait pas vu venir — que personne, à vrai dire, n'avait vu venir" ("Soumission", p. 200) ? Une chose est sûre : Christophe Barbier n'a pas du tout goûté le dernier opus de Michel le sulfureux : "Cette fois, Michel Houellebecq rate son coup, écrit-il : incapable de prévoir une situation politico-culturelle, il est donc obligé de la fantasmer". Or, il la fantasme mal, à en croire Barbier : "chaque jour, défend-il en effet, le débat public montre des élus et des citoyens à l'oeuvre pour que l'esprit républicain soigne son anémie". Histoire d'achever l'auteur, le journaliste l'affirme enfin : "Eric Zemmour et Michel Houellebecq (...) placent le "problème musulman" au coeur des années à venir. Même si l'essayiste parle de "suicide français" et le romancier de "soumission" (quel est le pire destin ?), c'est, entre leurs lignes, l'analyse du FN qui s'écrit".

Houellebecq, provocateur "pour le show"

Journaliste à "L'Express", lui aussi, Jérôme Dupuis n'est pas du même avis... S'il trouve le scénario politique "improbable" et estime même que "le roman bascule dans le ridicule", "la farce", "le Grand Guignol", en figurant l'alliance du PS, de l'UMP et de la "Fraternité musulmane" contre le FN, le grand reporter dénonce "l'absurdité" d'un rapprochement avec le livre de Zemmour, "tant la vision houellebecquienne de l'islam est irénique" (c'est-à-dire "qui veut éviter les excès d'une attitude purement polémique", selon la définition qu'en donne le "Larousse"). Ce faisant, Jérôme Dupuis avance une nouvelle grille de lecture : "A vrai dire, conclut-il en effet, on a un peu l'impression que ce roman raté, avec ses fausses provocations, est calibré pour permettre à Michel Houellebecq de "faire le show" — et il est un formidable "showman" — sur les plateaux télévisés, un peu comme le Gainsbourg de la fin (...). Même grâce envolée, même impression de gâchis, même soumission à l'air du temps". Un livre "pour faire le show", "Soumission", et qui ne servirait que les intérêts de son auteur ? C'est peut-être une interprétation à retenir.

Quand tout "se déroule à peu près comme prévu"

En même temps, est-ce si simple, si tranché ? Il reste quelque chose de troublant dans la réception du livre, quelque chose que Frédéric Bonnaud souligne dans son édito des "Inrocks". "Pour Michel, écrit le journaliste, les choses se déroulent à peu près comme prévu. Alain Finkielkraut est très satisfait, sur l'air du "Depuis le temps que je vous le dis, que les musulmans nous veulent du mal, à nous autres bons Français (...)". (...) A droite, globalement, ils sont contents, et veulent croire que Houellebecq est une bonne prise de guerre, une sorte de Zemmour qui saurait écrire. (...) A gauche (sic), Laurent Joffrin accuse carrément le pauvre Michel de "chauffer la place de Marine Le Pen au café de Flore"". Le fait que tout, ou à peu près, "se déroule comme prévu pour Michel" semble confirmer la thèse de Jérôme Dupuis selon qui "Soumission" servirait les intérêts de son auteur. Cela étant, Houellebecq étant Houellebecq — c'est-à-dire quelqu'un d'intelligent — on peut aussi se demander dans quelle mesure ces réactions attendues ne font pas partie du "programme" du livre. Si Houellebecq, "le showman", se "soumet à l'air du temps", comme l'analyse Jérôme Dupuis, il se peut aussi qu'il nous tende un miroir de notre propre soumission à l'air du temps. Vous trouvez l'idée tirée par les cheveux ? Vous la trouvez au contraire trop facile ? Dans un cas comme dans l'autre, vous avez sans doute raison, le problème étant qu'avec Houellebecq, on ne sait jamais sur quel pied danser... Toute sa force est là : Houellebecq est le maître de l'ambiguïté. Et vous savez quoi ? Lui-même le reconnaît...

"Mon roman est fondamentalement ambigu"

A "L'Obs", qui a eu l'heur de l'interviewer et qui l'affiche en couverture, l'écrivain le dit : "Mon roman est fondamentalement ambigu, on peut le voir comme un livre désespéré ou comme un livre optimiste. En tout cas, il paraît possible de reconstruire quelque chose de tout à fait amical avec les musulmans. Un compromis est possible entre le catholicisme renaissant et l'islam. Mais pour cela il faut que quelque chose casse. Ce sera la République". Et vlan ! L'a pas sitôt éveillé un espoir, le Michel, qu'il prophétise une nouvelle catastrophe. Ah, on peut dire qu'il sait y faire !

"Je suis un conservateur !"

Michel Houellebecq est en même temps très cohérent avec lui-même. A "L'Obs" qui lui fait remarquer qu'il est "quand même un drôle de conservateur", l'écrivain rétorque aussi sec : "Mais si, je suis un conservateur ! (...) Un conservateur, c'est un type qui essaye de minimiser l'effort. Si un truc marche, on n'y touche pas. (...) Ceci dit, quand quelque chose ne marche vraiment plus, le conservateur se transforme en révolutionnaire, et il est prêt à tout bouleverser, à aller beaucoup plus loin que le progressiste". CQFD.

Houellebecq : "génial ou pervers ?"

Dans l'article "Michel Houellebecq : génial ou pervers ?" qui postule donc, d'emblée, passez-nous l'expression, "l'ambiguïté houellebecquienne", Aude Lancelin voit en "Soumission" un prolongement logique des idées développées par l'auteur dans ses livres précédents : "Déjà, dans "Les particules", écrit la journaliste de "L'Obs", le narrateur posait ouvertement la question (...) : "Combien de temps la société occidentale pourrait-elle subsister sans une religion quelconque ?" Elle n'y parviendra plus, c'est la réponse de l'auteur en 2015. Le temps du théologico-politique est revenu. L'homme occidental aura, pour quelques décennies, cru pouvoir vivre sans dieu ni maître, mais il aura échoué à conquérir la liberté. A la place de quoi il aura donc droit à la plus extrême des soumissions — vue à la fois comme remède et comme châtiment". Sur le plan de la logique, le raisonnement se tient, mais sur le fond ? Après tout, et comme le résume la journaliste Marie Lemonnier, dans "L'Obs", toujours, "Houellebecq nous présente l'islam comme solution au malaise occidental !" 

Houellebecq "morne djihadiste"

Qu'en pense le psychanalyste Fethi Benslama, interviewé par Marie Lemonnier ? "L'islamisme est la dernière utopie du XXIe siècle qui propose un ardent désir pour une cause, explique-t-il. Ca capte tous les agonisants désespérés qui ne se résignent pas à mourir pour rien, mais pour quelque chose qui les rend flamboyants. (...) En un sens Houellebecq se révèle une sorte de "morne djihadiste, son roman joue avec l'islamisme comme remède à la maladie". A propos de l'auteur de "Soumission", le psychanalyste le dit aussi à "L'Obs" : "C'est peut-être son tour de force, il déjoue les catégories islamophobie/islamophilie. C'est un livre d'une grande perversité qui invente la "phobie/philie"". Sur ce, bonne semaine, quand même, et moulinez bien !

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