Compte pénibilité : la véritable raison pour laquelle le gouvernement devait faire compliqué plutôt que simple<!-- --> | Atlantico.fr
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Le compte pénibilité vise à prendre en compte la dureté des métiers pour l’âge de la retraite.
Le compte pénibilité vise à prendre en compte la dureté des métiers pour l’âge de la retraite.
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Totem et Tabou

C’est entendu, les « vilains patrons » qui protestent à coups de sifflet contre le compte pénibilité sont les même qui ne veulent pas assumer leur « responsabilité » (du pacte du même nom). Comment osent-t-ils donc se rebeller contre une loi si évidemment conforme à la justice sociale… et à la justice constitutionnelle, comme en a jugé notre « Cour suprême » elle-même...

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
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De fait, les arguments du gouvernement semblent forts. Prendre en compte la dureté des métiers pour l’âge de la retraite : quoi de plus légitime ? Poursuivre dans le sens - ce n’est pas si courant - de la majorité précédente qui avait introduit (loi Woerth) le principe de la pénibilité : comment s’en offusquer ? Réduire la différence de traitement entre public et privé, puisque dans le premier secteur les « catégories actives » (sic) ont déjà de grands avantages en matière de retraite : comment mieux servir l’égalité?

Mais voilà : c’est exactement pour ce genre de « bonnes raisons » que l’enfer économique est pavé de bonnes intentions sociales... Davantage, c’est exactement comme cela que l’on manque l’objectif social allégué.

Et cela pour différentes raisons :

1. Le compte de pénibilité envoie un signal exactement contraire à la politique proclamée du gouvernement : la simplification règlementaire.

Car l’effet immédiat de la loi est de rajouter un chapitre à notre code du travail, dont on connaît l’exemplaire concision. Certes, mais affirme la ministre des Affaire Sociales sur RTL, tout cela n’est pas bien compliqué : cocher une case une fois par an sur le bulletin de salaire, ce n’est tout de même pas la mer à boire pour un patron...

A ceci près qu’avec les 4 critères de pénibilité qui entrent en application dès le mois prochain, toute la question pour les patrons va être de savoir quelle case cocher : combien d’entre eux suceront longuement leur stylo avant que d’inscrire la croix fatale ? Pour ne rien dire de ce qui les attend en 2016 lorsque les 10 critères (simplification, puisqu’on vous le dit !) de pénibilité entreront en vigueur : cela risque de faire plus d’une case à cocher !

On reste donc un peu interdit à la lecture du paragraphe de la décision du Conseil Constitutionnel, par lequel celui-ci rejette précisément l’argument d’une trop grande complexité du dispositif :

« Considérant que les dispositions de l'article 7 relatives à la « fiche de prévention des expositions » précisent et complètent un dispositif existant et prévoient qu'un décret doit définir des facteurs de risques professionnels ainsi que des seuils d'exposition aux risques professionnels ; que, pour la mise en œuvre de ces dispositions, il est fait référence aux conditions de pénibilité résultant des facteurs de risques professionnels auxquels le travailleur est exposé, à la période au cours de laquelle cette exposition est survenue ainsi qu'aux mesures de prévention mises en œuvre par l'employeur pour faire disparaître ou réduire l'exposition à ces facteurs durant cette période ; que les dispositions de l'article 7 prévoient également qu'un accord collectif étendu peut caractériser l'exposition à un ou plusieurs facteurs de risques professionnels au-delà des seuils mentionnés à l'article L. 4161-1 ; que le législateur, en adoptant ces dispositions qui ne sont ni imprécises ni inintelligibles, n'a pas méconnu sa compétence ; que ne sont pas davantage imprécises ou inintelligibles les dispositions de l'article 10 relatif au « compte personnel de prévention de la pénibilité » qui renvoient à la fiche mentionnée ci-dessus ; que le grief tiré de la méconnaissance de l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi doit être écarté. »

Comment en effet faire plus simple ?

2. Le compte pénibilité crée par là même une insécurité juridique supplémentaire dans un pays qui en meurt.

Car, ce qu’on oublie de dire, c’est que les déclarations patronales seront évidemment exposées à contrôle et à contestation. Voilà du pain béni pour l’Inspection du Travail et autres Prudhommes.

Dans une société de défiance généralisée, où tout est matière à mise en demeure et à mise en procès, soyons sûrs que la croix, cochée à tort ou à raison par le patron, deviendra bien vite une autre croix : celle qu’il devra porter.

Il y avait en fait une solution bien plus simple pour répondre à cette aspiration légitime : moduler l’âge du départ en retraite selon la durée d’espérance de vie des différentes catégories de Français : car y a-t-il pire inégalité que celle devant la mort ? Mais il aurait alors fallu admettre et briser pas moins de quatre grands tabous, particulièrement chers à la gauche (mais pas seulement).

1. L’inégalité majeure entre hommes et femmesqui voient ces dernières l’emporter largement (de 5 ans en moyenne) en espérance de vie à la retraite, sur les premiers, non seulement à l’intérieur de toutes les catégories socio-professionnelles, mais de l’une à l’autre. Comment reconnaître ce fait aussi inavouable qu’attesté : une ouvrière vit plus longtemps que son patron, avec 4 ans de retraite en plus.

2. L’inégalité entre public et privé : 3,4 ans en moyenne séparent la durée de vie à la retraite entre les deux secteurs. Certes, on objectera que la loi, uniquement applicable aux contrats privés, pourra en partie corriger ce hiatus. C’est l’une des raisons pour lesquelles le Conseil Constitutionnel a rejeté le motif d’atteinte à l’égalité des citoyens.

Sauf que les grandes catégories de l’INSEE regroupent désormais salariés du public et du privé selon le niveau de leur emploi : voilà vingt ans que nous n’avons plus de statistiques sur l’espérance de vie des instituteurs, recordmen (et women !) toutes catégories jusque-là… Pur hasard, sans doute.

Mais nous pouvons encore déceler cette inégalité au sein des « professions intermédiaires », où se trouvent instituteurs et professeurs du secondaire, professions très féminisées : or c’est là que l’on trouve le record absolu de longévité à la retraite : 30,6 ans chez les femmes du secteur public. Il nous manque encore la ventilation entre public et privé des bénéficiaires du retour de la retraite à 60 ans pour les carrières longues (première mesure de la Présidence Hollande, ne l’oublions pas). Là encore, pur hasard.

3. Le travail salarié, par définition « exploité » et « aliéné », n’est pour autant pas synonyme de vie abrégée : la catégorie qui a l’espérance de vie la plus faible est en effet celle des inactifs hommes, c’est-à-dire pour l’essentiel des chômeurs de longue durée. Les voilà largement exclus, et pour cause, des avantages du compte pénibilité. Vous avez dit « justice sociale » ? Il est vrai qu’ils sont tout aussi largement exclus de la formation professionnelle…Tout comme les agriculteurs, catégorie également fort mal lotie selon tous les indicateurs.

4. Le compte pénibilité va dans le sens, au nom du « progrès social », d’un abaissement de l’âge de la retraite : c’est-à-dire à contre sens de nos (pauvres) comptes sociaux et de l’exemple réussi de tous nos partenaires. Car c’est la direction exactement inverse qu’il fallait prendre : la hausse progressive, seule tenable à moyen et long terme, de la durée d’activité et d’abord dans le secteur public. Et c’est cette hausse qu’il convenait d’assortir de mesures d’équité, voire d’annuler pour les travailleurs vraiment défavorisés.

Décidément, une politique se comprend et se juge à ses priorités... Avant même que de l’être à ses résultats, si prévisibles.

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