Ce que seront les bons et les mauvais jobs dans 10 ans (et où ils se trouveront)<!-- --> | Atlantico.fr
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L'emploi en France est largement dominé par le secteur tertiaire.
L'emploi en France est largement dominé par le secteur tertiaire.
©Reuters

Emploi d'avenir

Baisse du secteur industriel et des emplois moyennement qualifiés, hausse du tertiaire et de la précarité... Les tendances de l'emploi depuis 30 ans permettent d'entrevoir l'avenir. Et éventuellement de faire les bons choix.

Augustin Landier

Augustin Landier

Augustin Landier est un économiste.

Il enseigne à la Toulouse School of Economics.

Il est normalien en mathématiques et a obtenu un doctorat en économie au MIT (Massachusetts Institute of Technology) en 2002.

Voir la bio »

Atlantico : L'emploi en France est largement dominé par le secteur tertiaire (78% en 2012 Vs. 56% en 1975 selon l'INSEE), tandis que les autres secteurs (agriculture, construction, industrie) sont en net recul comparativement. Cette tendance générale va-t-elle se renforcer au cours des dix prochaines années ?

Augustin Landier : Oui, la désindustrialisation est une tendance lourde dans les économies développées, croire que l’on va inverser ou ralentir la vapeur est une grosse erreur. La France n’est pas un cas pathologique, cette tendance s’observe aux USA et même en Allemagne, bien que ce pays parte d’un niveau d’industrialisation plus élevé. C’est une des choses que nous montrons dans « 10 idées qui coulent la France » (Flammarion 2013) avec D, Thesmar. On peut trouver des graphiques parlant sur notre site.

C’est donc bien à une économie de l’immatériel qu’il faut réfléchir lorsqu’on imagine la France dans 10 ans.

Source : Banque mondiale

Quels secteurs seront les plus pourvoyeurs d'emplois dans 10 ans ?

Les services à la personne au sens large : hôtellerie, restauration, tourisme, santé, éducation, commerce ; c’est là que sont les gisements d’emplois. Ces emplois ne sont pas faciles à « robotiser », donc, en particulier pour les travailleurs les moins qualifiés, ces travaux où le contact humain est crucial sont les emplois d’avenir. En France, les emplois à faible productivité ont du mal à exister du fait des contraintes sur le marché du travail (salaire minimum, charges, rigidité) : si nous ne voulons pas rejeter les moins qualifiés en dehors de la sphère de l’emploi, tout en maintenant une certain niveau d’égalité, il va falloir envisager des dispositifs du type « impôt négatif » qui redistribuent la richesse sans désinciter l’emploi, aussi bien coté employeur qu’employé. C’était l’idée de la prime pour l’emploi, mais c’est un dispositif trop petit et complexe.

Cliquez sur les images pour les agrandir.

Source : Note d'analyse de la DARES "Les métiers en 2020"

Au sein du secteur tertiaire, la part des emplois à temps partiel et des contrats précaires ne cessent d'augmenter (16% en 2012 Vs. 7% en 1975 selon l'INSEE). Va-t-on assister, à terme, à une précarisation plus générale encore de l'emploi en France ? Quels sont les principaux secteurs concernés ?

Il y a deux questions distinctes dans la précarisation : l’insécurité (la peur du lendemain) et le fait de changer souvent d’employeur. Il reste un gros travail à faire en France pour permettre que des trajectoires professionnelles plus incertaines ne signifient pas des traumatismes ou des passages longs par le chômage. Si nous voulons faire de la France un pays plus entrepreneurial et expérimentateur, il faut accepter l’idée que l’avenir d’un emploi et son horizon ne peuvent pas toujours être fixés à l’avance : ils dépendent de la nature de projet auquel l’emploi est lié et de son succès ou de son échec.

Dans le même temps, on a pu noter une hausse importante de la part des emplois très qualifiés en France, passant de 39% en 1982 à 50% en 2012 (INSEE). La France délaisserait-elle les emplois qualifiés/intermédiaires, au profit des emplois très qualifiés donc et des emplois précaires ? Quelle conséquences sociales, notamment pour les classes moyennes ?

On observe effectivement une polarisation au sein des sociétés développées avec d’un coté des emplois très qualifiés, qui correspondent à des activités « high-tech ». Ces travailleurs sont très mobiles, très bien payés, sur des trajectoires de carrière internationales. Ils tirent parti de la révolution numérique : ils en sont en quelque sorte les pilotes. La France, qui produit de très bons ingénieurs généralistes est bien positionnée pour tirer parti de cette vague. Nous devons miser sur l’éducation et le système universitaire pour devenir un pays clé dans le numérique, mais il faut rester conscient que ces emplis hyper-qualifiés ne peuvent pas constituer une majorité. Et c’est là qu’il y a une inquiétude, car les emplois moins qualifiés sont de plus en plus en concurrence avec les robots : toutes les taches qui sont de nature « routinière » sont en train d’être progressivement effectuées par les machines. Cette polarisation fragmente les classes moyennes et génère une hausse des inégalités, d’autant plus forte que le secteur « high-tech » est au total peu créateur d’emplois : les géants de la Silicon Valley changent nos modes de vie mais ont finalement peu d’employés. La grande mobilité des travailleurs du secteur high-tech limite la possibilité de les taxer pour redistribuer massivement. Dans un pays qui n’aime pas les inégalités comme la France, cette évolution pose des questions fondamentales. Elles ne sont pas insurmontables, mais vont nous obliger à recalibrer notre système de transferts sociaux.

Face à l'activité des grandes villes françaises, les villes moyennes peuvent-elle rivaliser en termes de création d'emplois ? La création de pôles de compétitivité à proximité peut-elle y contribuer ?

Le secteur high-tech se développe typiquement autour de grands campus universitaires scientifiques. Aux USA, les clusters entrepreneuriaux ne sont pas créés par un Etat planificateur, mais ils émergent organiquement autour des grands centres de recherche universitaires, qui façonnent le bouillonnement technologique et déversent chaque année sur le marché de l’emploi des milliers de diplômés scientifiques venus de tous les pays du monde et remplis d’idées disruptives. Pour une ville moyenne, la politique universitaire scientifique est la clé d’entrée de l’entrepreneuriat high-tech. Il y a de forts effets de masse critique : les start-ups ne s’installent dans une ville que s’il y a un marché de l’emploi suffisamment « liquide » qui permet d’embaucher des jeunes spécialisés dans les domaines concernés rapidement.



Dans la mesure où les salaires des pays émergents rattrapent ceux des pays développés (une tendance qui se confirme jusqu'à l'horizon 2030, selon cette étude PwC sur l'évolution des salaires), quel impact peuvent avoir les relocalisations d'emploi sur la structure et la répartition des emplois à l'échelle du territoire français ? Puisqu'il s'agit généralement d'emplois de production peu qualifiés, cela va-t-il accélérer le mouvement de précarisation de l'emploi en France ?

Même s’il redevenait rentable (du fait de la hausse des salaires des pays émergents ou des couts de transport), d’ « imprimer » des T-shirts ou des voitures en France, il faut être conscient que ce sera dans des usines ultra-robotisées. Il ne faut pas s’attendre à une renaissance de l’emploi ouvrier. Le lieu d’impression des objets n’est plus une question-clé, ni pour l’emploi ni pour la création de valeur : la valeur ajoutée d’un objet comme un smart-phone n’est pas capturée par « l’imprimeur » mais en amont par la conception et l’utilisation de la plateforme. De la voiture à l’énergie, on assiste au basculement d’industries centrées sur le matériel vers l’économie de services : la voiture devient une plateforme de capteurs qui dialoguent avec un data center etc.

Face aux évolutions de l'emploi en France au cours des dix prochaines années, où les jeunes Français ont-ils intérêt à s'installer ? Pour quels types d'emplois ?

Par définition, tout le monde ne doit pas (et ne peut pas) faire la même chose ! Je recommande évidemment d’établir un contact fort avec la technologie pendant les études,  même quand on fait des études commerciales, que ce soit via l’analyse statistique des données, la programmation ou l’ingénierie plus classique ; cela permet de mieux appréhender l’armature de l’économie numérique. Et bien sur de voyager pendant ses études et en début de carrière. Mais c’est un peu un lieu commun : les jeunes le savent déjà très bien. 

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