Ce que les start-ups achetées à coup de milliards devront faire pour respecter les promesses de leurs valorisations records<!-- --> | Atlantico.fr
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L'entreprise WhatsApp vient d'être rachetée par Facebook pour 19 milliards de dollars.
L'entreprise WhatsApp vient d'être rachetée par Facebook pour 19 milliards de dollars.
©Reuters

WhatsApp bulle ou pas ?

En achetant WhatsApp à hauteur de 19 milliards de dollars, Facebook se place un peu plus en avant face à ses concurrents du mobile comme Google. Et il semble que cette acquisition historique soit ingénieuse en termes de positionnement sur le marché de l'entreprise de messagerie instantanée.

Edouard Fillias

Edouard Fillias

Edouard Fillias est dirigeant fondateur de JIN, agence de RP au coeur digital et expert des stratégies digitales et de la communication publique. Il est Directeur de collections et auteur aux éditions Ellipses (E-Réputation, Stratégies d'influence sur Internet)

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Atlantico : L'entreprise WhatsApp vient d'être rachetée par Facebook pour 19 milliards de dollars. Bien que la messagerie instantanée attire plus de 450 millions d’utilisateurs chaque mois, le réseau social coté en bourse a réalisé ici la plus grosse acquisition de son histoire. Comment va devoir évoluer WhatsApp pour être à la hauteur de son prix d'achat par le réseau social ? N'assiste-t-on pas à un début de bulle internet ?

Edouard Fillias : Facebook n'a pas sorti 19 milliards en cash mais en grande partie en actions. Ils ont payé cette acquisition avec leurs titres, ce qui est assez différent d'une sortie de cash. En réalité, pour Facebook ce n'est pas un investissement financier.

Il faut aussi comprendre que la valeur dans le nouveau monde digital c'est les datas, les données.Facebook a racheté l'équivalent de 42 dollars par utilisateur WhatsApp. En d'autres termes, c'est comme si chacun des 450 millions d'utilisateurs WhatsApp avait été acheté par Facebook 42 dollars. Pourquoi ? Simplement parce qu'en réalité, un utilisateur connecté à WhatsApp, c'est une ligne de data. On apprend l'heure à laquelle il se connecte, les personnes avec qui il parle, les sujets de discussions qu'il aborde (de quel film, de quelle voiture, de quel voyage…), d'où il parle, etc. Cette masse de données que Facebook intègre à l'énorme océan de données qu'il a déjà en boutique est la vraie richesse de WhatsApp aujourd'hui. Il est évident que WhatsApp, qui emploie 55 personnes, ne vaut pas 19 milliards. En revanche, la position stratégique de WhatsApp aujourd'hui, et son réseau de 450 millions d'utilisateurs, dont 70% se connectent quotidiennement, a une valeur qui, elle, vaut 19 milliards. Ce n'est pas l'entreprise qui vaut ce prix, c'est la position de celle-ci.

En fait, le projet de Facebook et sa vision, notamment celle de Sheryl Sandberg, qui est l'artisane de la révolution marketing chez Facebook, est un marketing presque prédictif, c’est-à-dire la capacité de demain à utiliser les données pour anticiper les désirs des clients presque avant même qu'ils s'en soient eux-mêmes rendu compte. Ce sont les modèles gagnants : faire du "au bon moment au bon endroit".Sauf que pour ce faire, il faut des données.Et quand on acquiert une application comme WhatsApp qui regroupe 450 millions d'utilisateurs, les données ont une immense valeur.

WhatsApp va certainement désormais être fondu dans Facebook. On peut penser que tout va être revu. Il y a des chances que l'interface soit intégralement revue aux couleurs de Facebook. Les utilisateurs vont être redirigés. WhatsApp va être unifié, dirigé par Facebook comme l'a été Instagram.

Mais on peut s'interroger sur le succès de ce type d'opérations. Quand Tumblr a été racheté par Yahoo, ça a été une hécatombe d'utilisateurs car ce n'était pas la même culture. On n'est pas par hasard chez Tumblr comme on n'est pas par hasard inscrit sur WhatsApp. Est-ce que la culture des utilisateurs WhatsApp est flexible, est intégrable à la culture des utilisateurs Facebook ? Ce n'est pas gagné. En conclusion, jusqu'où va-t-on aller pour se débarrasser d'un concurrent gênant ? Cette acquisition est historique. N'assiste-t-on pas à un début de bulle Internet ? L'entreprise Facebook va-t-elle pendant longtemps se payer le luxe de nettoyer le marché à coup de milliards de dollars ? Un jour, comme toute cité technologique, Facebook rencontrera un concurrent qu'elle ne pourra pas racheter et qui lui fera sa peau. Ce n'est qu'une question de temps.

Comment Facebook va monétiser ces utilisateurs ?

La plus grande confidentialité pèse sur cette question, parce que le point sensible aujourd'hui dans l'univers de la publicité est la confidentialité et la propriété des données personnelles. D'ailleurs, 89% des français se disent préoccupés par l'utilisation de leurs données personnelles.

Facebook a confirmé que les données personnelles des utilisateurs WhatsApp resteraient confidentielles. Toutefois, Facebook n'a pris aucun engagement sur la possibilité dans l'avenir d'utiliser ces données par le groupe Facebook. Concrètement, aujourd'hui les datas sont données en pâture à des algorithmes, c'est-à-dire à des régies automatisées, qui distribuent ensuite la publicité en fonction du profil des utilisateurs et de la connaissance que la machine à d'eux. On parle de RTB pour Real Time Bidding (enchère en temps réel en anglais, ndlr). Comme la bourse, ce sont des ordinateurs qui classent la publicité en fonction de ce qu'ils connaissent des utilisateurs et de leurs habitudes. C'est automatisé. Et demain, ce qu'ambitionne de faire Facebook avec ces données est de les utiliser pour améliorer la qualification des algorithmes publicitaires de sa plateforme. En d'autres termes, Facebook pourra utiliser la connaissance qu'il a gagné des utilisateurs sur WhatsApp au moment de proposer dans leurs fils de conversation et sur leurs walls exactement la pub qui les intéresse en bannière latérale. Pour illustrer ces propos de façon caricaturale, on peut imaginer que Facebook va lire sur WhatsApp le fait qu'un utilisateur ait une conversation avec des membres de sa famille en disant qu'il a envie d'aller au ski en février et, de facto, au mois de février, l'utilisateur WhatsApp aura des suggestions de stations de ski ou de nouveaux équipements en publicité sur son mur Facebook. Ainsi, Facebook monétise ses utilisateurs en augmentant considérablement la valeur de sa publicité. Il gagne plus d'argent car il vend plus cher la publicité aux annonceurs du fait que la publicité soit personnifiée et ciblée. L'archétype de ces propos est Critéo, cette entreprise française de reciblage publicitaire personnalisé sur Internet capable de vendre un taux de cliques sept fois supérieur au marché. Quand on fait sept fois plus que le marché on devient, de facto, richissime.

De plus, le fait que Facebook veuille contrôler le terminal mobile, prendre des positions, bloquer ses concurrents, c'est stratégique. Demain, la publicité ne sera pas que sur le wall Facebook des utilisateurs, elle sera également sur leur mobile. Ils auront des notifications quand ils entreront dans une boutique, quand ils lanceront une application, etc. Il est peu probable que Facebook fasse de la publicité sur WhatsApp car les utilisateurs ne seront pas favorables mais en revanche ils vont utiliser les données des utilisateurs WhatsApp pour améliorer leur publicité et ainsi la vendre plus chère.

Est-ce comparable avec le rachat d'Instagram par Facebook ou de Viber racheté par une entreprise japonaise ?

Ce rachat est absolument comparable dans le sens où on est sur des achats dans le mobile. Aujourd'hui, l'enjeu digital est primordial. Cette fois c'est pour de vrai, le mobile est devenu un enjeu stratégique, le carrefour d'audience digitale. Le mobile c'est la tablette mais c'est aussi le Smartphone. Un français sur deux fait de l'Internet mobile, un téléspectateur sur trois utilise le mobile en regardant un prime à la télévision. Les achats sur le mobile explosent. Si on revient à Facebook, la valeur de la publicité locale sur le mobile est littéralement en train d'exploser.

D'ailleurs, la stratégie de Mark Zuckerberg est depuis un an de recentrer Facebook sur le mobile. Pendant longtemps, Facebook était à la traine sur le mobile, notamment à la traine vis-à-vis de Google, car Google est allé très vite sur le mobile avec Android. Il a quand même inventé le Windows du mobile. Désormais, Facebook, avec son nouveau modèle publicitaire mobile, rattrape son concurrent.

Pour conserver leur avantage sur le mobile, ils ont besoin d'acquérir des utilisateurs et des technologies. Alors c'était le sens de l'achat d'Instagram, et c'est désormais le sens de l'achat de WhatsApp. C'était exactement aussi le sens de l'achat de Viber : c'est la course au mobile. C'est le nouvel eldorado du digital.

Sur Twitter on peut lire que Facebook s'engage à ne pas installer de publicités sur WhatsApp, mais en contrepartie, seulement 20% des messages envoyés toucheraient les destinataires. Y a-t-il un risque que Facebook ait acheté WhatsApp dans l'unique but de l'éliminer du marché ?

Bien sûr, mais ce n'est pas un risque, c'est une réalité. La grande angoisse de Facebook est qu'une petite start-up débarque et tout à coup reproduise leur success story.

WhatsApp, sur son interface, cite une réplique de Fight Club qui crache au visage de la publicité en expliquant qu'elle fabrique un homme abâtardi. Le problème, c'est que c'est exactement le contraire de ce que pense Facebook. L'ironie de l'histoire est que Facebook pensait pareil pendant longtemps mais après son entrée ratée en bourse, l'entreprise a dû trouver de l'argent pour faire tourner le modèle. A un tel point que la directrice générale de Facebook doit organiser des expéditions de ses ingénieurs dans les bureaux de ses annonceurs pour qu'ils s'initient au marketing. De facto, WhatsApp sera "se soumettre ou se démettre".On ne peut pas imaginer que WhatsApp continue à vivre en dehors de tout modèle publicitaire sous le giron de Facebook. Ils seront ingérés par le modèle puis seront supprimés en tant que tel. 

Propos recueillis par Marianne Murat

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