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Les journalistes américaines qui vivent à Paris sont-elles toutes des pintades ?
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Caquètements

Des journalistes américaines basées à Paris, ressemblant assez typiquement à la "pintade" – cette femme urbaine, moderne et assez consumériste – décrite par la collection de guides touristiques du même nom, brossent l'image d'une France pleine de clichés et d'affirmations fausses dans leurs articles.

Atlantico : Après l'article de Janine di Giovanni dans Newsweek qui dressait un portrait au vitriol mais pauvrement argumenté de la situation économique française, Slate a publié un billet de Claire Lundberg dépeignant Paris comme une ville arriérée dans laquelle il serait impossible de faire ses courses. En tant qu'Américaine expatriée en France, que vous inspirent ces propos ?

Tara Bradford : Je ne peux imaginer pourquoi Claire Lundberg ferait de telles affirmations ! Paris est probablement la meilleure grande ville pour faire les magasins ! Une partie des charmes uniques de la capitale est ses marchés locaux, ses boulangeries, fromageries, boucheries, qui sont les endroits où la nourriture est de meilleure qualité et qui sont les endroits où l’on trouve des produits frais à un prix raisonnable. Après quelques temps passés à Paris, on connaît les meilleurs endroits de chaque quartier pour faire du shopping et le boucher local aura même préparé une dinde élevée à la ferme pour Thanksgiving – fête purement américaine !

En outre, Madame Lundberg se trompe quand elle déclare qu’il n’est pas possible de commander en ligne pour une livraison à Paris. En dix ans de vie dans la capitale, mon mari, notre fille et moi n’avons jamais été déçus par notre shopping ou notre nourriture. On a fréquenté des commerces de proximité, mais on a également commandé dans des épiceries en ligne d’au moins deux sites différents. Carrefour et Inno sont des supermarchés géniaux, qui vendent même du beurre de cacahouète (tout comme Le Bon Marché !), contrairement à ce que rapporte Claire Lundberg. Les supermarchés français proposent une plus large gamme de choix que ce qu’on trouve dans les supermarchés américains. Alors certes ces derniers peuvent vendre 35 sortes de céréales mais leurs produits sont emballés dans du plastique et sont de mauvaise qualité. Et le poulet et le bœuf sont plein d’antibiotiques et sont gonflés artificiellement. 

Justin Erik Halldór Smith : Il ne faut pas oublier que la France joue un rôle dans l'imaginaire politique des Américains qui a finalement très peu à voir avec la France que les Français connaissent. Pour une grande partie des Américains conservateurs, ceux qui n'ont pas de passeport et qui ne savent presque rien sur les cultures étrangères, "la France" signifie la féminité, la lâcheté, et la faiblesse. C'est la France des "singes capitulards bouffeurs de fromage". Dans ce contexte absurde et surréel que sont les États- Unis aujourd'hui, la simple affirmation qu'on aime manger du fromage de temps en temps, par exemple, prend une importance symbolique qui va loin au-delà du premier degré de son sens littéral. Et c'est dans ce contexte qu'il faut comprendre la grande partie de ce que les journalistes américains basés à Paris écrivent sur cette ville.

Ils écrivent, tout d'abord, pour d'autres Américains. Normalement ce sont des "libéraux" dans le sens américain, donc des gens qui construisent leur identité en montrant une ouverture d'esprit, un intérêt pour les cultures étrangères, et, surtout, qui sont des francophiles. Mais c'est une francophilie qui ne consiste qu'en une simple réaction aux bêtises que disent leurs concitoyens conservateurs à propos de ce pays. Donc ces Américains libéraux francophiles peuvent se permettre de rester au niveau des clichés simplement parce que les clichés sont l'arme de choix de leurs ennemis. Les Français sont lâches et paresseux, disent les uns. Au contraire, ils sont charmants et romantiques, disent les autres. 

Comment expliquer que des journalistes qui pourtant vivent en France puissent véhiculer une vision à ce point stéréotypée du pays ? Cette vision est-elle répandue chez les expatriés américains ou seulement chez certains d'entre eux et si oui lesquels ? 

Tara Bradford :Je me demande si Claire Lundberg a fait un effort pour fréquenter et se faire des amis français, et pour leur demander conseils. En effet, à regarder son article, il n’est pas évident qu’elle a fait des efforts pour comprendre ou participer à la vie française. Parlait-elle français ? Allait-elle en consultation chez un médecin français (la France ayant le meilleur système de santé du monde ; je continue d’ailleurs de prendre le train depuis Amsterdam pour consulter auprès de mon médecin français) ? Allait-elle chez le coiffeur ? Je ne pense pas que Claire Lundberg soit le cas typique de la journaliste américaine vivant en France. La plupart des journalistes étrangers que je connais admirent Paris et tout ce que la ville a à offrir. Après y avoir vécu, ils n’ont aucune envie de rentrer « à la maison », aux Etats-Unis.

Justin Erik Halldór Smith : Je ne pense pas que les femmes sont plus coupables que les hommes à cet égard. Si c'est le cas, ce serait explicable par le fait qu'il y a toute une industrie médiatique qui exploite les insécurités des femmes pour vendre des marchandises. Donc on a ces livres idiots sur comment les femmes françaises sont toutes maigres, et les bébés français ne jettent pas de nourriture, etc. Mais c'est un symptôme d'une maladie dans la société qui ne concerne pas seulement l'image de la femme française aux yeux des femmes américaines, et, à cette maladie, il faut ajouter ces équivalents aussi en France.

Quelle force ont ces clichés aux Etats-Unis ? Les véhiculer est-il plus vendeur que de décrire la réalité ? 

Tara Bradford : Malheureusement, de nombreux américains voyagent peu et, lorsqu’ils visitent la France, ils arrivent la tête pleine de préjugés à propos de ce pays, de ses coutumes et se ses traditions.

Je pense que le cliché français aide à vendre des journaux aux Etats-Unis, puisque beaucoup d’américains sont effrayés à l’idée de voyager dans un pays au sein duquel ils ne parlent pas la langue ou ne comprennent pas la culture.

Une fois, j’ai rencontré une artiste américaine qui s’est plaint durant vingt minutes de Paris. Puis elle a commencé à se faire de l’argent en organisant des visites guidées pour les nouveaux touristes américains ! Je frémis à l'idée de savoir quelles sont les premières impressions des visiteurs qu’elle initie à la ville de Paris, comme elle avait elle-même une si faible connaissance de la capitale et une si médiocre compréhension de la France. 

Justin Erik Halldór Smith Le French bashing est un phénomène plutôt de droite, donc des Américains qui évitent la France. Mais il est possible que les "libéraux" qui sont installés à Paris se permettent aussi de s'exprimer de la même façon parfois, juste pour montrer qu'ils ne sont pas biaisés ou qu'ils restent ouverts aux opinions contraires. Il pourrait bien être le cas que beaucoup de ce que les Américains écrivent sur Paris pourrait sembler être du French bashing aux yeux des lecteurs Français, par le simple fait que s'est plein de fautes, de préjugés, et de méconnaissance. Mais ce serait plutôt une confirmation de ma thèse, selon laquelle la francophilie et la francophobie américaines ne sont que la face et la pile d'une seule monnaie. Ni l'une ni l'autre tendance s'intéresse à une perspective comparatiste ou globale sur la France, qui chercherait à comprendre la société française comme une parmi d'autres. Les américains préfèrent penser la France dans les mêmes termes qu'ils comprennent des États Unis eux-mêmes : comme étant entièrement sui generis. C'est naïf et regrettable, mais en même temps ça montre que la France joue un rôle spécial pour les américains.

Comment parler de Paris et de la France quand on est un blogueur ou journaliste américain expatrié ?

Tara Bradford En tant que journaliste ou blogueuse, mais surtout en tant qu’américaine vivant en France, il est important de rapporter les faits relatifs à la ville de Paris et au pays qu’est la France. Et afin de rapporter ces faits, nous devons apprendre quels sont-ils, plutôt que se fier à des stéréotypes et des clichés relayés par des personnes imprégnés d’un sentiment en demi-teinte à l’égard de la France. 

Propos recueillis par Marianne Murat

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