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Qui sera le prochain 
ennemi numéro 1 de l'Occident ?
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L'après Ben Laden

Après la mort de Ben Laden, l'Occident se cherche un nouvel ennemi commun. Une quête absurde à l'heure de la mondialisation ?

Jean-Michel Schmitt

Jean-Michel Schmitt

Jean-Michel Schmitt est politologue, spécialiste des relations internationales. Il s'exprime sur Atlantico sous pseudonyme.

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Atlantico : après la mort de Ben Laden, quel est "l'ennemi public numéro 1" de l'Occident ? A quel méchant doit-il faire face ?

Jean-Michel Schmitt : Il faut distinguer l’ "ennemi" du "méchant" et se poser la question de savoir si la notion d’ennemi est applicable aux relations internationales telles que nous les connaissons aujourd’hui. Cette notion s'est forgée dans un contexte d’équilibre de puissances : l’ennemi était celui qui pouvait représentait une menace. Il était alors identifié à un Etat qui nous ressemblait par sa puissance, avec une armée, une diplomatie, un territoire… Mais, dès lors que l’on passe à des formes nouvelles de violences internationales, tel que le terrorisme, la notion d’ennemi tient-elle toujours ?

Un retour historique s'impose : quand l’URSS a disparu comme ennemi frontal dans les années 1989-1991, les États-Unis ont été à la recherche d’autres ennemis et celui qui se rapprochait le plus du portrait robot que je viens de dresser était la Chine. Mais ce pays n’a pas voulu tenir ce rôle : dès 1978, la Chine a entamé une politique d’ouverture pour rentrer dans la mondialisation. Cela s'est traduit par des candidatures très concrètes notamment à l’OMC, ainsi que par une volonté de commercer, d’échanger, de conquérir des marchés et la Chine a finalement été pionnière dans la banalisation de l’idée d’interdépendance : elle s’est construite en puissance économique interdépendante avec l’Occident, en particulier avec les États-Unis dont elle est devenue très vite la créancière et un partenaire commercial important, s’éloignant tout autant d’une stratégie d’inimitié.

Par conséquent, les États-Unis sont allés chercher un autre concept, celui d' "États voyous" (ou "rogue states"), forgé par l’administration Clinton. Le terme impliquait un déséquilibre avec l’Iran, l’Irak ou Cuba. L’idée d’inimitié était déjà plus difficilement tenable.

Avec le 11 septembre on est passé à une troisième figure : un ennemi qui correspondant à des réseaux terroristes, n’avait plus la face d’un Etat, n’avait plus de territoire, ni les ressources que l’on prête généralement à un ennemi (une armée, une diplomatie, une structure organisée lui permettant de produire une stratégie). Du coup, pour couvrir cette dissymétrie, on a glissé davantage vers le jugement moral que le jugement stratégique, et on est peu à peu passé de l’ennemi au méchant, en transitant par cette notion que l’on doit aux néo-conservateurs, de « mal » que déjà en son temps Reagan avait inventée, mais qui a été actualisée par les neo conservateurs : celui qui était en face n’était pas un challenger, ou un rival, c’était devenu un méchant.

Ben Laden, c'était le méchant idéal ?

En tout cas, il a été construit comme tel. Ce qui est remarquable, c’est la manière dont on a très vite personnalisé ce terrorisme pourtant très polycéphale. D’un certain point de vue, il y a eu une connivence entre les USA et Al-Qaïda qui ont l’un et l’autre joué le jeu de cette personnalisation. Les Etats-Unis en en faisant le centre névralgique de cette constellation terroriste et Al-Qaïda en entretenant le mythe d’un personnage mystérieux, caché, qui était en quelque sorte le coordonnateur de tout un ensemble de manœuvres et d’entreprises violentes qui rattachaient Ben Laden au mal, mais aussi à la peur.

Et aujourd’hui, où en est-on après la mort de Ben Laden ? L'Occident peut-il vivre sans "méchant" à qui faire face ?

C’est une question plus philosophique que stratégique. C’est vrai que dans notre pensée occidentale, on a tendance à penser les relations internationales à travers l’idée d’ennemis/amis et qu’on a beaucoup de mal à s’en défaire. La preuve : lorsque le Pacte de Varsovie s’est dissout suite à la chute du mur de Berlin, l’OTAN est demeurée. Pour justifier son existence elle a dû trouver de nouveaux ennemis et a donc laissé peu de chances à l’innovation. C’est peut-être là l’une des erreurs de l’administration de George Bush père ou de Bill Clinton : ils ont voulu prolonger cette logique d’opposition qui venait de donner à l’OTAN un nouveau rebond sur la scène internationale.

La mondialisation qui est faite d’interdépendance - là où les relations internationales d'autrefois étaient faites de confrontations - ne rime peut-être plus aujourd’hui avec l’idée d’ennemi. Le débat mérite d’être posé. L’obsession avec laquelle on découvre ou redécouvre des ennemis est peut-être le signe d’une certaine incapacité à prendre la mesure de ce qui a de nouveau dans l’ordre international d’aujourd’hui, où tout le monde dépend de tout le monde.

La machine à fabriquer des méchants s’est mise en route et rien ne semble l’arrêter. Plutôt que de vide on risque d’assister à un trop plein : Ahmadinejad, Kadhafi, Chavez, peut-être demain les maîtres du Kremlin... Le fait que l’on pose si souvent la question de savoir si Ben Laden a un successeur prouve notre obsession de personnaliser l’ennemi. D’autant plus que le terrorisme est plus social que psychologique : derrière cette violence terroriste il y a des sociétés malades beaucoup plus que des individus. La personnalisation excessive du terrorisme correspond donc à un risque d’égarement dans l’analyse.

Pour l’instant, au "box-office", c’est Kadhafi qui est en train de détrôner Ahmadinejad, à cause de l’action militaire menée par l’Occident en Libye. Mais le processus est très volatile. Ben Laden a tenu une décennie dans ce rôle. Mais la conjoncture est reine : que Kadhafi vienne à disparaitre ou que le conflit vienne à être marginalisé et on oubliera très vie ce méchant… Rappelez-vous comment Gbagbo a été présenté par les médias comme celui qui était responsable d’absolument tous les maux en Côte d’Ivoire : à partir du moment où il a été détrôné, on n’en a plus parlé.

Autrefois, quand on avait un ennemi, c’était pour plusieurs générations : les ennemis prussien, allemand ou soviétique s’inscrivaient dans la durée. Dans ce nouveau jeu des relations internationales, l’ennemi est fugace, volatile, il entre, il sort, il disparait, il prend des visages démesurés puis disparaît ensuite dans un trou de souris.

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