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Raison d'Etat ? Pourquoi l'enquête sur le naufrage inexpliqué du Bugaled Breizh peine à s'exprimer librement
©REUTERS/Stephane Mahe

Bonnes feuilles

Le 15 janvier 2004, en début d'après-midi, par beau temps, le puissant chalutier Bugaled Breizh ("enfants de la Bretagne") périt corps et biens au sud du cap Lizard. Accident nullement naturel, disent les proches, constitués en parties civiles. Le jour même du drame, au sud du cap Lizard, l'Otan entraînait ses meilleurs sous-marins à la guerre nucléaire en eau peu profonde. Extrait de "On l'appelait Bugaled Breizh" (1/2).

Yann Queffélec

Yann Queffélec

C'est pour impressionner sa mère que Yann Queffélec (né à Paris en 1949) commence à écrire à l'âge de sept ans, un art dont il apprend les rudiments en lisant en secret les manuscrits du romancier Henri Queffélec, son père. En 1978, il décide de se consacrer à l'écriture après une rencontre avec l'éditrice Françoise Verny sur un quai du port de Belle-Île. Il entame sa carrière d'écrivain en publiant à 32 ans une biographie de Bela Bartók. Quatre ans plus tard, en 1985, il reçoit le prix Goncourt pour Les Noces barbares, traduit dans 35 pays. Il est l'auteur de nombreux romans dont Le Maître des chimères, Prends garde au loup et, plus récemment chez Fayard, de Ma première femme, L'amour est fou et Le plus heureux des hommes. On lui doit également les paroles de plusieurs chansons interprétées par Pierre Bachelet dont Le Voilier noir écrite en hommage à Tabarly.

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Au moment où ce livre va reparaître, je tiens à vous faire part des derniers éléments de l’enquête. Elle a bien évolué depuis 2009. Le naufrage est toujours aussi mystérieux, mal interprété, mais les parties civiles n’en démordent pas et moi non plus : c’est bien un sous-marin, le 15 janvier 2004, qui s’est pris dans les câbles du Bugaled Breizh en pêche, le précipitant vers le fond.

Un chauffard sous la mer, un délinquant anonyme aggravant son cas par la fuite, en violation du devoir d’assistance à marins en danger.

Ô pouvoir de la fiction, ô bouffées visionnaires de la parole inventée en toute âme et conscience ! Il semblerait que le scénario dépeint au dernier chapitre de ce document serre au plus près la vérité d’un malheur toujours aussi peu causante, aussi bâillonnée.

Et l’on en est à se demander si la justice française, empêtrée dans les faux-fuyants des premières instructions, ne refuse pas aujourd’hui d’épingler l’évidence et d’oser mettre en examen le commandant du sous-marin nucléaire d’attaque britannique Turbulent, suspect numéro un. Sans âme ni conscience. Raison du plus fort, sûreté de l’État – argument massue que les David bretons, nullement découragés, persistent à battre en brèche.

J’ai imaginé, me fondant sur les témoignages involontaires d’anciens sous-mariniers – au demeurant tenus au secret absolu –, une course poursuite entre deux unités, l’une rattrapant l’autre et coulant au passage, pour de vrai, le chalutier breton. Concernant les vitesses des sous-marins en plongée, je ne suis pas compétent et personne ne l’est. S’il est aisé de connaître les caractéristiques des submersibles des différents pays, leur poids, leur capacité d’emport en hommes et armement, leur puissance de destruction, certaines informations n’apparaissent nulle part : furtivité, vitesse en surface ou en plongée, profondeur qu’ils peuvent atteindre, capacité d’évolution en eaux peu profondes, autonomie et rayon d’action, incidents à la mer. Ces données, considérées comme hautement sensibles, ne sont jamais divulguées. Et les sites Internet qui paraissent tout savoir et tout révéler se livrent, toute honte bue, à la désinformation.

Nous sommes au « monde du silence », chez les sous-mariniers, cela dit sans paranoïa aucune. On ne s’intéresse pas à ces gens-là, on ne leur pose pas de question sans avoir la sensation de prendre pied dans un roman d’espionnage. « Le silence est le maître mot du métier. Quand le sous-marin navigue en plongée, personne n’élève la voix, ou claque un panneau, ou même rabat violemment le siège des toilettes. Au bout d’un moment, vous devenez calme et silencieux. Et plus on est silencieux, mieux cela vaut. »

Voilà pourquoi, depuis le début, l’enquête autour du naufrage du Bugaled Breizh peine à s’exprimer librement. Parce qu’elle cherche à faire parler les muets. Parce qu’elle met en cause publiquement ces utopies que sont les sous-marins, engins dont l’existence est avérée le jour de leur lancement et qui ne font plus jamais parler d’eux ensuite, voués à se changer en illusions.

S’agissant du Bugaled, on s’en souvient, la piste sous-marine fut d’abord systématiquement écartée par les juges. Elle dérangeait. Elle choquait. Elle n’entrait pas en ligne de compte. Elle offensait l’amour-propre national. J’ai rencontré Anne Kayanakis, procureur de la République à Quimper en 2007. Elle m’a ri au nez quand je lui ai dit : sous-marin. Elle m’a pris pour un illuminé. Elle m’a dit en substance : « Retournez à vos romans. »

Or le 27 novembre 2009, six mois après la sortie en librairie d’Adieu Bugaled Breizh, la cour d’appel de Rennes ordonne un complément d’enquête, envisageant pour la première fois la « probabilité pour qu’un sous-marin nucléaire d’attaque américain soit impliqué dans le naufrage ». La mission est confi ée à l’expert Dominique Salles, offi cier sous-marinier à la retraite.

Ainsi, après un interminable procès contre X, assorti de jugements fantaisistes hasardant « croche molle » et autres inconvénients techniques dus à l’entretien du Bugaled, avec des allusions scandaleuses au taux d’alcoolémie de l’équipage du chalutier, voire à sa qualification,il semblerait que la piste sous-marine ait tout lieu de mener quelque part. Au fond de l’eau, par 49° N et 5° W.

Extrait de "On l'appelait Bugaled Breizh",  Yann Queffélec, (Editions de l'Archipel), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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