Loi "anti-Amazon" : l'Etat de droit mis en cause<!-- --> | Atlantico.fr
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Camions de livraison d'Amazon.
Camions de livraison d'Amazon.
©Reuters

Le droit ? Quel droit ?

Le Sénat va examiner un texte proposé par le gouvernement qui renchérira le prix de vente des livres vendus uniquement en ligne, afin de de "protéger" les réseaux de distribution physique. Discutable sur le plan économique, l'idée est en outre en contradiction avec les règles de droit.

Jean-Philippe Feldman

Jean-Philippe Feldman

Jean-Philippe Feldman est agrégé des facultés de droit, ancien Professeur des Universités et maître de conférences à SciencesPo, et avocat à la Cour de Paris. Il est vice-président de l’Association pour la liberté économique et le progrès social (A.L.E.P.S.).

Dernier ouvrage publié : Exception française. Histoire d’une société bloquée de l’Ancien Régime à Emmanuel Macron (Odile Jacob, 2020).

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Le sourire d’Amazon est-il à ce point rayonnant que la mobilisation législative actuelle à son endroit vaille celle imaginée par Frédéric Bastiat au XIXe siècle à l’encontre du soleil et de sa lumière gratuite ? Sous la plume de l’économiste ironique, les fabricants de chandelles soumis à « l’intolérable concurrence d’un rival étranger » qui « inonde notre marché national à un prix fabuleusement réduit » et menace « une branche d’industrie française dont les ramifications sont innombrables » réclamaient au législateur bienveillant « une loi qui ordonne la fermeture de toutes les fenêtres ».

Ce 8 janvier, le Sénat français examinera un texte proposé par le gouvernement dont l’inspiration économique peut sembler proche des revendications des vendeurs de bougies : il a pour objet d’empêcher les distributeurs en ligne de cumuler des frais de port gratuits et la réduction du prix du livre de 5% encadrée par la loi Lang de 1981. Le texte est rédigé de telle façon que ces derniers seront contraints de vendre le livre à son prix maximum, mais pourront, s’ils pratiquent un prix de livraison, le réduire de 5 % du montant de l’ouvrage. Ces contraintes ne s’appliqueront pas aux acteurs qui feront livrer les livres en librairie. En pratique, c’est Amazon qui est visé : personne n’est dupe, au point que le texte a partout été rebaptisé « loi anti-Amazon ».

Si la logique économique de l’affaire repose sur des fondements discutables, il est surtout ennuyeux, pour le juriste, de constater que le fondement en droit de cette loi fait question. A maints égards, le texte prend de biais certains droits fondamentaux.

Premier élément de doute : le respect de l’égalité de traitement. En France, selon une jurisprudence constitutionnelle bien établie, les citoyens sont égaux devant la loi. Or, le texte proposé par le gouvernement introduit, en droit comme en fait, une discrimination évidente. Il vise clairement à interdire à une catégorie d’acteurs et à elle seule, les distributeurs en ligne et par correspondance en général, de pratiquer une réduction de 5% sur le prix du livre. Cette discrimination aboutit à traiter de manières totalement différentes des actes commerciaux similaires, au détriment volontaire d’une catégorie d’acteurs économiques délibérément visés (voire d’une entreprise), quand dans un Etat de droit et selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel la loi ne peut être « ad hominem » et doit rester générale et impersonnelle. La pratique le montrera : alors qu’Amazon ne pourra pas cumuler la réduction du prix du livre et les frais de port gratuits, la FNAC, par exemple, ou tout autre libraire qui dispose à la fois d’une plateforme de vente en ligne et de magasins physiques, le pourra, pour autant que l’internaute vienne retirer en magasin l’achat validé on-line.

Ce faisant, le projet du gouvernement introduit un deuxième élément d’interrogation : la contrainte opposée à la liberté d’entreprendre en France (liberté dont la valeur constitutionnelle a été rappelée il y a quelques jours encore par le Conseil constitutionnel), sans que celle-ci soit motivée par la moindre considération d’intérêt général. Pour proposer la réduction de 5% du prix du livre, il faudra détenir un réseau de commerces physiques, ce qui constitue un investissement énorme sans réelle justification du point de vue du consommateur. Si le législateur peut souhaiter préserver l’industrie du livre en France, la restriction que le texte se propose d’apporter à une liberté économique est éminemment disproportionnée. Qui plus est, il est douteux qu’elle parviendra à atteindre son objectif.

Autre point problématique : le durcissement du contrôle des prix que cette mesure introduira dans la distribution de livres et son élargissement au secteur de la logistique et de la livraison. Il serait souhaitable que l’Autorité de la concurrence s’exprime rapidement sur ce projet pour qu’un avis juridique et économique autorisé se fasse enfin entendre dans un débat où la passion semble l’avoir emporté.

Les sirènes des fabricants de chandelles traversent l’histoire économique avec une constance déconcertante. Le législateur soucieux d’apaiser des angoisses plus ou moins légitimes peut être tenté d’y céder. Aujourd’hui, pour la Loi « anti-Amazon », la solution ne serait pas seulement économiquement fragile : elle serait juridiquement périlleuse.

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