Reprise de la consommation, vacances au soleil, écrans plats... mais aussi Restos du cœur : qui vit vraiment la crise ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Consommation
Reprise de la consommation, vacances au soleil, écrans plats... mais aussi Restos du cœur : qui vit vraiment la crise ?
©Reuters

Je veux, je veux !

Jamais le paradoxe n'aura été aussi exacerbé entre contexte de crise économique et dépenses des ménages. Et ce n'est pas la notion de pouvoir d'achat qui permettra de le comprendre...

Patrice Duchemin

Patrice Duchemin

Sociologue de la consommation, enseignant au Celsa et à l'Iscom, rédacteur de l'Oeil LaSer:  www.oeil-laser.com

Voir la bio »

Atlantico : La crise est encore là et pourtant la consommation est légèrement repartie à la hausse depuis le mois de novembre (+1,4%). Comment expliquer cette amorce de tendance ?  

Patrice Duchemin : Les chiffres de novembre sont un peu meilleurs parce que la période de fin d'année signifie, pour les consommateurs, une période de lâcher-prise, après les mois de septembre et octobre marqués notamment par le paiement des charges. Cela dit, bien qu’on ne peut pas toujours se contraindre ; il y a des moments où la consommation peut être restreinte, mais ensuite ça redémarre, ce qui est classique en somme. Les mois de novembre et décembre sont particulièrement propices à ce lâcher-prise parce que la période des fêtes est le moment où les Français décident de moins se préoccuper des soucis du quotidien. Ils consomment donc pour les enfants, pour être ensemble d’une manière générale. C’est une situation très française. On entend d’ailleurs très souvent dans les médias que le chiffre d’affaires des commerçants au mois de décembre représente environ le quart du chiffre global de l’année.

Il y a également quelque chose auquel je crois beaucoup : c’est qu’il faut cesser de penser que la crise va passer. Elle est là en fait depuis vingt ans ; c’est à nous de nous adapter. Ce qui est intéressant, c’est la logique d’arbitrage dans laquelle sont de plus en plus les gens.On parle trop du pouvoir d’achat et pas assez du vouloir d’achat. Je crois que ce dernier concept est bien plus déterminant et explicatif que celui du pouvoir d’achat. Le vouloir d’achat renvoie à la question de l’arbitrage. Ce n’est pas que les Français ont moins d’argent, c’est juste qu’ils réorientent leur consommation.

J’aimerais aussi attirer l’attention sur un chiffre : un tiers des Français achèteront leurs cadeaux de Noël après Noël, au moment des soldes. C’est tout à fait emblématique de l’époque et de cette notion d’arbitrage : on veut continuer à acheter des produits un peu chers, mais comme on a moins d’argent, on attend la période des soldes pour les acheter. On peut également aller sur Internet pour se procurer ce type de produits à moindre coût, via les sites de ventes privées, d’achats groupés…Ces moyens constituent des échappatoires permettant aux consommateurs d’éviter de connaître la frustration.

Si l'on regarde de plus près le comportement des consommateurs, on remarque une importante hausse dans l'achat de produits à forte valeur ajoutée, et donc chers, comme les smartphones, les tablettes numériques ou les écrans plats, mais également dans de beaux voyages...Qu'est-ce qui motive ce paradoxe entre réalité économique et comportement d'achat ? 

Ces produits, et tout particulièrement les voyages constituent des échappatoires pour les consommateurs. Précisons qu’aujourd’hui, voyager revient beaucoup moins cher, grâce notamment au développement des vols low-cost, mais aussi aux nouveaux modes d’hébergement dont Internet permet le développement comme l’échange d’appartements entre particuliers, etc. Il y a plusieurs dizaines d’années, voyager était quelque chose à connotation bourgeoise. Le voyage est donc très significatif de la situation, dans la mesure où il constitue une échappatoire, des bons plans et des rencontres. Ces dernières sont aujourd’hui très importantes. Ceci explique pourquoi, en partie, les achats de nouvelles technologies ont du succès. Quand les gens achètent des tablettes ou des smartphones, ce n’est pas parce que ces produits sont sophistiqués, mais pour être avec les autres, pour échanger, animer une communauté, etc.…Ces produits sont vraiment porteurs de "nous" bien qu’ils nous appartiennent personnellement. D’ailleurs, ce qui explique le succès des voyages, ce n’est pas le fait de visiter telle cathédrale ou tel musée, mais celui de pouvoir rencontrer des gens. La consommation qui marche bien, c’est donc celle qui permet de s’échapper, et celle qui permet d’entrer en contact avec l’autre.

Ces nouvelles tendances expliquent le fait que l’on dépense moins aujourd’hui dans d’autres secteurs, comme le livre, l’habillement, le bricolage et l’électroménager. On revient ainsi à cette logique d’arbitrage : les Français dépensent moins en meubles, moins en vêtements…mais plus d’épicerie fine, de voyages et de nouvelles technologies.

Aujourd’hui, il est devenu très important d’être moderne : les gens se précipitent donc sur les tablettes et les smartphones, pas seulement parce qu’ils en ont l'envie, le besoin ou l’usage, mais parce que ça fait moderne. Ce qui est frappant, c’est que ces gens dotés d’appareils de nouvelles technologies n’utilisent leur capacité qu’à hauteur de 10/15% de leurs possibilités. C’est assez absurde : combien de personnes utilisent leurs tablettes seulement pour lire Le Monde ou Madame Figaro ? Avec ces objets, on montre notre existence, le fait que l’on fait partie du club de ceux qui possèdent ces nouvelles technologies. C’est un moyen aussi de signifier qu’on n’est pas atteint par la crise. On retrouve cette logique avec certains jeunes de cité entièrement griffés de la tête aux pieds, même s’il s’agit souvent de contrefaçons.

A quels moyens ont recours les consommateurs pour acquérir ce type de produits ? 

Il y en beaucoup, comme par exemple le "tombé du camion" qui participe à la mise en place d’un véritable "marché gris". La semaine dernière, et personne n’en a parlé, un magasin Apple d’une galerie marchande de la banlieue parisienne a été braqué. Désormais, on attaque les magasins comme on attaque une bijouterie place Vendôme. Régulièrement aussi, des camions de parfums sont attaqués, et se font voler toute leur marchandise.

Bien évidemment, il y a aussi les bons plans beaucoup plus honnêtes comme les réseaux personnels, Internet, etc. On peut aussi penser au crédit à la consommation. Les médias d’ailleurs contribuent largement à développer le recours des ménages au crédit à la consommation. Dans l’un des derniers numéros de Capital, un homme d’une cinquantaine d’années entre dans une concession Porsche avec 10 000 euros en poche afin d’acheter un beau cabriolet. Le vendeur lui demande combien il peut rembourser par mois, ce à quoi il répond 600 euros. Et voilà : il a payé 600 euros chaque mois, pendant trois ans, pour pouvoir rouler en Porsche. C’est ça le message qui est passé aux téléspectateurs : vous aussi, finalement peu importe vos revenus, vous pouvez rouler en Porsche pour 600 euros par mois !

Y a-t-il encore des consommateurs qui en ont vraiment les moyens ? D'où proviennent leurs sources de revenus ?

Le cœur de cible, c’est précisément les 40-60 ans, qui ont notamment peur d’aller vers la vieillesse. Dans la mesure où ils ont déjà satisfait leurs besoins en devenant propriétaires, en achetant une voiture…ils ont donc un peu d’argent à consacrer ce type de dépenses. Le fait donc d’être propriétaire et de ne pas avoir de loyer à payer, mais aussi de ne plus avoir d’enfant à charge, ça aide beaucoup à s’acheter des produits technologiques et à faire de beaux voyages.  Il convient bien de préciser, qu’aujourd’hui, il n’y a pas de produits riches pour les riches, et de produits pauvres pour les pauvres : quelqu’un qui n’a pas suffisamment de moyens peut tout à fait décider de réduire ses dépenses alimentaires pour pouvoir s’offrir un sac chez Louis Vuitton par exemple. 

Il ne faut pas non plus croire que tout le monde possède ces types de produits. Ceux qui n’en ont vraiment pas les moyens n’en ont pas : combien de personnes se promènent encore dans la rue ou dans le métro avec des téléphones complètement désuets, avec clapets ! Il faut arrêter avec les fantasmes de journalistes selon lesquels des personnes qui n’ont pas les moyens possèdent plusieurs tablettes, smartphones, écrans plats, etc.

Consommer pour se faire plaisir, c’est quelque chose de très français. Si vous discutez avec des Allemands par exemple, vous vous rendez compte que pour eux, consommer ce n’est pas du tout se faire plaisir. Consommer, c’est travailler son apparence, ce à quoi prêtent beaucoup d’importance les Latins d’une manière générale. Il y a d’ailleurs beaucoup d’Italiens aux revenus modestes qui vont dépenser beaucoup d’argent en vêtements de marques. Et pourtant, très souvent, ils ont entre 30 et 35 ans et vivent encore chez leurs parents. Il ne faut donc pas être riche pour consommer, au contraire je pense

Propos recueillis par Thomas Sila

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !