Apple à l'assaut du marché des smartphones en Chine : pourquoi il est si difficile pour les entreprises étrangères de s'implanter dans l'Empire du Milieu<!-- --> | Atlantico.fr
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Apple et China Mobile ont conclu un accord de partenariat.
Apple et China Mobile ont conclu un accord de partenariat.
©Reuters

Rude concurrence

Le récent partenariat conclu entre Apple et China Mobile laisse entrevoir de nombreux espoirs pour les autres grandes entreprises étrangères souhaitant pénétrer le marché chinois. A condition de pouvoir affronter non pas la réglementation mais le caractère de plus en plus compétitif des différents produits et services chinois.

Jean-François Di Meglio

Jean-François Di Meglio

Jean-François Di Meglio est président de l'institut de recherche Asia Centre.

Ancien élève de l'École normale supérieure et de l'Université de Pékin, il enseigne par ailleurs à l'IEP Lyon, à l'Ecole Centrale Paris, à HEC ParisTech, à l'École des Mines Paris Tech et à Lille I.

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Atlantico : L’accord de partenariat entre Apple et l'opérateur China Mobile doit-il être perçu comme un signe d'ouverture encourageant de la part de la Chine à l'égard des grandes entreprises étrangères ? 

Jean-François Di Meglio : Ce n’est pas négatif, mais on pourrait se procurer l'iPhone en Chine sans passer par ce partenariat ; de plus, l’iPhone est produit en Chine. Dans la vie quotidienne du Chinois qui utilise un téléphone, il n’y a pas de révolution.Il s’agit donc d’une opération de communication d'Apple, qui a connu pas mal de difficultés en Chine pour la vente de ses téléphones, mais également vis-à-vis du lieu de fabrication de ses appareils. En effet, ces derniers sont conçus par le fabricant d’origine taïwanaise Foxconn, qui a eu des problèmes en matière de règlementation sociale du travail en Chine. 

Ce qu’il faut retenir de cet accord de partenariat, sans connaître dans le détail ses ressorts, c’est qu’il s’agit d’une opération de communication positive de la part d’Apple en Chine, à la fois vis-à-vis des autorités, mais également de ses habitants. En effet, plusieurs affaires ont entaché sa réputation comme celle rapportant qu’Apple faisait travailler des employés chinois dans de mauvaises conditions ; à cela s’ajoute le fait qu’Apple, comme bon nombre d’intervenants américains à l’instar de Google, n’est pas le bienvenu sur le marché chinois. Cet accord représente davantage un intérêt pour Apple que pour le gouvernement chinois dans le cadre de sa communication visant à signifier que des affaires sont conclues avec une entreprise étrangère.

Compte-tenu de la situation actuelle, quelles sont les grandes entreprises étrangères qui pourraient, potentiellement, suivre le chemin d'Apple, et parvenir à terme à pénétrer le marché chinois? Qu'en est-il plus particulièrement du cas français et de ses grandes entreprises ? 

Elles sont déjà très présentes. Leurs activités en Chine sont essentiellement des activités de fabrication, d’investissements, et donc de distribution de produits français en Chine. On peut prendre l’exemple de tout ce qui concerne l’équipement électrique avec Schneider, qui est l’un des grands employeurs étrangers en Chine aux côtés d’Alstom, et d’Airbus qui s’apprête à sortir ses premiers appareils pour le marché chinois. Il n’y a donc pas, là encore, de révolution puisque tout cela existe déjà, mais simplement des négociations au cas par cas. On peut noter des intérêts convergents, des moments où la Chine est prête à recevoir des entreprises étrangères. Cela se fait généralement contre un transfert de technologies.

Parmi les exemples d’entreprises française que j’ai cités tout à l’heure, on peut également penser à Carrefour qui est présent depuis un bon moment déjà en Chine, non pas pour vendre des produits français mais des produits chinois. Il ne faut donc pas se représenter le marché chinois comme historiquement fermé. En revanche, il faut l’envisager, à l’avenir, comme un marché de plus en plus difficile et compétitif pour des intervenants étrangers, parce qu’ils vont proposer des choses qui existeront déjà, et vont donc se retrouver face à des producteurs et à des produits chinois qui vont venir les concurrencer sur leurs niches habituelles. Cela peut aussi bien concerner le luxe, la mode, la technologie… La difficulté ne vient donc pas de la réglementation chinoise ou de l’attitude du gouvernement, mais de la montée en gamme et de la compétitivité des acteurs chinois sur ces marchés où les Européens ont envie d’être placés.

Quels critères doivent remplir les entreprises étrangères souhaitant pénétrer le marché chinois ? 

Il y a essentiellement trois critères à respecter : le prix des biens et services proposés ; le service lui-même, très important vis-à-vis du consommateur qui va choisir quelque chose par rapport à son prix mais également au service qui peut être proposé ; et l’image de marque, qu’il est impossible de négliger, dans la mesure où il s’agit de l’image d’une marque européenne, ou plus généralement occidentale.

On pourrait citer un quatrième élément, qui lui, concerne le rapport entre l’investisseur étranger et les autorités chinoises : le transfert de technologies. Les Européens qui viennent en Chine sont d’autant plus les bienvenus qu’ils peuvent attester d’un transfert de technologies auprès des ouvriers chinois, des entreprises chinoises…

Quels intérêts aurait le gouvernement chinois à laisser davantage d'entreprises étrangères pénétrer le marché chinois ? 

L’intérêt unique est vraiment celui d’acquérir du savoir-faire, et de développer, grâce à ce dernier, le marché de la consommation dont la Chine a besoin et qui est encore peu développé, tout en montant en gamme. Cela se vérifie dans de nombreux domaines, et notamment dans des domaines fermés. Si l’on prend par exemple les domaines de l’Assurance, de l’Automobile, et de la Banque, on se retrouve là face à des secteurs où le savoir-faire est pourtant très important. Mais le gouvernement chinois, en dépit de l’existence de l’OMC, a décidé de fermer l’accès de ces marchés aux entreprises étrangères, soit en limitant l’investissement étranger dans une société chinoise du secteur à un plafond compris entre 20 et 30 %, soit par des barrières non-tarifaires, c’est-à-dire, par exemple, des difficultés à pouvoir accéder au financement une fois sur place. L’intérêt du gouvernement chinois concerne aussi ces secteurs fermés, en dépit de son attitude ambigüe.

Cette ambigüité s’explique assez facilement : il y a des domaines très en retard en matière de compétitivité ; c’est le cas de la finance, de l’assurance et de l’automobile. Il convient d’abord de mettre de l’ordre avant d’ouvrir ces marchés aux entités étrangères. La Chine a bien observé ce qui s’est passé dans les pays qui se sont ouverts un peu trop brutalement, à l’instar du Japon dans les années 1990. Le manque de compétitivité a souvent conduit à une éradication totale de la lutte entre domestiques et étrangers car ces derniers ont gagné. La Chine veut donc concentrer ces industries, et être ainsi plus forte. A ce moment-là, elle acceptera de desserrer un peu l’étau et de laisser pénétrer les entreprises étrangères. Ce que fait la Chine à l’heure actuelle, c’est bel et bien du protectionnisme, malgré la réglementation de l’OMC.

Qu'auraient à gagner les consommateurs chinois dans cette pénétration de leur marché par des entreprises étrangères ? 

Tout d’abord, le choix, comme dans n’importe quel marché : si vous avez plus de propositions, vous avez plus de choix. Ils auraient certainement à gagner aussi la capacité de choisir entre ce qui est domestique et étranger, sachant qu’il s’agit aujourd’hui de deux approches totalement différentes. On va acheter chinois si on veut acheter chinois, et au contraire acheter étranger si on veut projeter une image de soi ouverte sur l’étranger ; chez nous en revanche, ceci n’est pas un problème culturel mais un problème lié à la connaissance du produit. Le consommateur chinois aurait donc à gagner une égalité entre tous les compétiteurs, mais aussi un changement d’attitude de sa part compte tenu du fait qu’il saurait s’il achète chinois ou étranger. Dans nos marchés à nous, on ne sait plus trop ce que l’on achète.

Ceci étant dit, est-ce que le consommateur chinois est prêt à cela aujourd’hui ? La réponse n’est pas évidente. Derrière tout cela, on peut se poser la question suivante : est-ce qu’acheter étranger, comme on l’a vu notamment en Europe au moment où les produits américains après la guerre ont déferlé, c’est changer de culture ? Quand vous êtes de plus en plus exposé à des produits venant de l’étranger, votre culture domestique change. C’est peut-être ce que les gens n’ont pas envie de voir arriver en Chine, du moins les autorités chinoises.

Propos recueillis par Thomas Sila

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