Réponse musclée de Bouygues à Free : qui peut gagner des batailles, qui peut gagner la guerre de l'internet et du mobile<!-- --> | Atlantico.fr
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Un visiteur regarde une carte mère d'ordinateur au Computex, le deuxième plus grand salon informatique du monde.
Un visiteur regarde une carte mère d'ordinateur au Computex, le deuxième plus grand salon informatique du monde.
©Reuters

Meilleurs ennemis

"Dans l'Internet fixe, la fête est finie", a déclaré au Figaro Martin Bouygues, avec en ligne de mire le patron de Free, Xavier Niel. En proposant une économie de 12,5 euros par mois à ses abonnés, Bouygues met au défi son concurrent de maintenir ses marges, tant dans l'Internet que dans la téléphonie mobile.

Olivier Babeau

Olivier Babeau

Olivier Babeau est essayiste et professeur à l’université de Bordeaux. Il s'intéresse aux dynamiques concurrentielles liées au numérique. Parmi ses publications:   Le management expliqué par l'art (2013, Ellipses), et La nouvelle ferme des animaux (éd. Les Belles Lettres, 2016), L'horreur politique (éd. Les Belles Lettres, 2017) et Eloge de l'hypocrisie d'Olivier Babeau (éd. du Cerf).

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Atlantico : Dans un entretien au Figaro paru ce vendredi (voir ici), Martin Bouygues annonce qu'il va casser les prix dans l'Internet fixe (soit une économie de 12,5 euros par mois pour les abonnés) pour réduire les marges de son concurrent Free et le priver des moyens de se développer dans le mobile. "Dans l'Internet fixe, la fête est finie", a-t-il lancé à l’adresse de Xavier Niel. Est-ce le début d’une série de batailles entre les deux opérateurs ? A quelles ripostes et quelles victoires peut-on s’attendre ?

Olivier Babeau : C’est incontestablement, non pas le début, mais l’accentuation d’une bataille qui avait déjà commencé, dès que Free est arrivé sur le marché en fait. La téléphonie est un magnifique cas d’illustration des mécanismes concurrentiels et de leurs bienfaits. Voici un marché où les trois opérateurs avaient été plusieurs fois condamnés pour ententes et qui s’efforçaient de créer la fidélisation par des procédés aussi peu loyaux que l’absence de portabilité du numéro par exemple (là-encore, il a fallu les tribunaux pour abattre cette barrière à la mobilité du client). C’est l’arrivée de Free qui a vraiment "terminé la fête" en l’occurrence.  Tous les effets classiquement reconnus à la concurrence ont été observés : baisse des prix, non seulement pour les clients du nouvel opérateur mais aussi pour les autres ; mise en avant croissante du facteur "qualité" (puissance du débit, taux de couverture du territoire, qualité du centre client…) dans les offres (notamment celle d’Orange) permettant de mieux segmenter l’offre en satisfaisant des attentes diverses, qu’il s’agisse du premier prix ou de la qualité premium ; et enfin, avec l’arrivée de la 4G, aiguillon efficace à l’introduction d’innovations. C’est une bataille concurrentielle classique qui se déroule sous nos yeux, et qui est infiniment préférable à l’équilibre des ententes qui existait auparavant. Qui que soit le vainqueur des bataille successives, c’est le consommateur qui sera le vrai gagnant de ce genre de guerre.

Le PDG de Bouygues d'ajouter "Nos marges sont inférieures à 20 % alors que [celles de Free] sont supérieures à 40 % dans le fixe", "l'arrivée d'un 4e opérateur a déstabilisé le marché, provoqué une crise profonde et détruit des milliers d'emplois directs ou indirects". Free est-il allé trop loin dans la baisse de ses prix, et aurait-il dû s’attendre à un tel retour de bâton ?

Il y a deux éléments à souligner ici. Tout d’abord l’argument des destructions d’emploi est séduisant aux yeux du grand public, car en effet des emplois disparaissent couramment lors de telles luttes concurrentielles. Mais, selon l’expression consacrée,  "un arbre qui tombe fait plus de bruit qu’une forêt qui pousse". C’est bien la destruction créatrice dont parlait Schumpeter qui est à l’œuvre à travers des déplacements de demandes et d’emplois. Sur le moyen et le long terme, l’économie dans son ensemble a intérêt à la dynamique de modernisation portée par la concurrence. Certes, des emplois sont supprimés chez les acteurs qui bénéficiaient d’une rente de marché, mais d’autres sont créés chez les nouveaux acteurs qui savent apporter une meilleure valeur ajoutée aux consommateurs (c’est pourquoi ces derniers les choisissent), et le pouvoir d’achat rendu aux consommateurs par la baisse des prix crée lui aussi des emplois dans l’économie à travers la consommation supplémentaire qu’il permet.

Concernant la question des marges, il faut rappeler ce que montre la théorie économique : dans un marché concurrentiel, les marges des acteurs vont avoir tendance à diminuer, voire à disparaître, ceux des acteurs qui ont des coûts supérieurs parce qu’ils sont moins efficaces finissant par mourir. In fine, dans un marché parfait, le profit n’existerait plus, le consommateur captant tout le surplus du producteur à son profit. Dans une industrie de coûts fixes telle que celle des télécoms, le coût marginal est quasi nul mais la recette marginale est constante, ce qui implique que le coût moyen décroît fortement avec la quantité de clients. Autrement dit, l’acteur le plus fort, celui qui aura les coûts les plus bas à technologie égale, sera celui qui aura le plus de parts de marché. C’est pour cette raison que l’on assiste à une course à la captation des clients, qui était tout à fait prévisible. Elle est une question de survie pour les acteurs. En lançant leur offre 4G, Bouygues a pris un avantage sérieux susceptible d’attirer une clientèle férue d’innovation et de haut débit. Free l’a bien compris et a voulu empêcher l’hémorragie avec sa propre offre 4G, peut-être sans en avoir tout à fait les moyens techniques équivalents à l’heure actuelle. Il reste que même s’il veut se convertir au standard en cours de diffusion que constitue la 4G, Free restera vraisemblablement toujours positionné sur le segment à bas prix qui est le sien.

Bouygues va-t-il emmener à sa suite Orange et SFR ? Les trois autres opérateurs ont-ils les moyens de faire couler Free, et comment celui-ci peut-il faire face ?

Pour les opérateurs, quels qu’ils soient, il va en fait s’agir de trouver une façon d’attirer ou conserver les clients, justement parce qu’un volume d’affaire important est nécessaire à l’amortissement des coûts fixes importants d’une telle industrie. La préservation d’une marge est non seulement une question de rentabilité immédiate mais surtout de capacité d’investissement, et donc de qualité de l’offre à terme. La mobilité des consommateurs étant grande (Free l’a prouvé, le consommateur n’a pas d’état d’âme et sait parfaitement optimiser son choix), les offreurs seront toujours contraints de veiller à conserver une offre attractive. Or il n’existe finalement que deux grandes façons d’avoir une offre attractive : le prix ou la qualité. Les opérateurs le feront par le prix s’ils ne savent pas apporter de la valeur à leur offre autrement (le terme de "low cost" employé par Martin Bouygues dans un sens péjoratif correspond à une demande bien réelle tout à fait respectable de certains consommateurs), ou bien par la qualité s’ils ont les technologies et/ou les idées nécessaires. Si les acteurs comme Bouygues, Orange ou SFR veulent éviter l’enfer d’une baisse des prix radicale, ils devront plus que jamais mettre les bouchées double pour créer une offre dont la qualité supérieure justifiera le surcoût aux yeux d’une frange de la clientèle.

Propos recueillis par Gilles Boutin

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