Mauvais procès ou mauvais exemple : les Rachida, Gisèle, Marissa et autres wonder woman super actives sont-elles des modèles ou des traîtres à la cause des femmes ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Rachida Dati, Gisele Bündchen ou Marissa Mayer : des "wonder woman" accusées de trop privilégier leur carrière.
Rachida Dati, Gisele Bündchen ou Marissa Mayer : des "wonder woman" accusées de trop privilégier leur carrière.
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Baby, baby, baby ohh

Comme Rachida Dati, critiquée pour avoir repris le chemin du ministère de la Justice quelques jours après son accouchement, la top-model Gisele Bündchen et la PDG de Yahoo Marissa Mayer sont pointées du doigt pour n'avoir pas mis de côté leur carrière au profit de leurs enfants.

Atlantico : Gisèle Bunchden qui se fait prendre en photo à moitié nue en train d'allaiter son enfant ; Caroline Berg Eriksen, femme d'un footballeur norvégien, qui exhibe son ventre plat sur internet 4 jours après son accouchement... Ces femmes font l'objet de nombreuses critiques. Qu'est-ce qui, dans leur comportement, peut susciter autant de désapprobation ?

Sophie Bramly : Il faut d’abord re-préciser que nous traversons une époque où il y a tant de médias avec un flux d’information en continu, que tout - absolument tout - doit faire l’objet d’informations et de débats, y compris tout ce qui peut relever du cas particulier. La position de la femme étant en mouvance continue depuis un siècle, elle fait évidemment l’objet de nombreuses observations, critiques, etc., le changement étant toujours difficile à accepter. Dans le cas de la maternité, on sent poindre de façon récurrente les mêmes craintes : si certaines femmes reprennent vite le travail, sont actives en allaitant, ne montrent pas de fatigue du corps, cela n’est-il pas néfaste à toutes les autres, dans la mesure où cela envoie le signal d’une remise en forme si rapide qu'il y aurait le risque de remettre en cause des acquis sociaux ? On ne prend jamais le temps de dire que les femmes montrées du doigt et citées en exemple ont des revenus qui permettent d’avoir des nounous, des coaches une alimentation parfaite et autres aides qui rendent la récupération plus rapide. 

Enfin, il y a eu ces derniers temps de houleux débats autour de l’allaitement en France, qui ont laissé une certaine confusion auprès des femmes, qui ne savent plus s’il faut privilégier l’enfant ou le partage des tâches et le retour au travail.

Gisèle Bundchen allaite en pleine séance de maquillage.

Lydia Guirous : Je pense que la désapprobation vient en premier lieu de l'exhibitionnisme forcené et de la mise en scène perpétuelle de la vie de certaines stars ou épouses de star. Ensuite, ce qui peut paraître choquant, c'est la mise en scène de l'accouchement et de la suite de l'accouchement. Pour la plupart des femmes, l'accouchement touche à l'intimité et donc doit faire l'objet d'une certaine réserve, pour ne pas dire d'une certaine pudeur. Enfin, le fait de se retrouver ultra mince du ventre après un accouchement laisse forcément planer une suscpicion d'anorexie pendant la grossesse et donc l'image de mères irresponsables à l'égard de la santé du bébé in utero.

Catherine Monnot :Dans cette mise en scène de leur corps ces femmes brisent la séparation traditionnelle entre maternité et érotisme. La période post-accouchement est considérée chez tous les peuples comme une période de marge pour les femmes, qui sortent durant un temps de la sphère de la sexualité. Jouer avec cette marge, la transgresser et de façon publique peut entraîner un sentiment d'incompréhension, voire de rejet

Caroline Berg Eriksen, quatre jours après son accouchement

Ces femmes ont-elles raison d'agir comme elles le font ? Le message qu'elles envoient est-il un bon message ?

Sophie Bramly : Ces femmes agissant ainsi montrent leur force : elles peuvent être jeune mère et travailler en même temps, être jeune mère et belle et désirable en même temps. Pour ceux et celles qui voient leur verre à moitié plein, c’est un bon message plein de vitalité et de sexualité qui montre que la maternité ne met pas la vie d’une femme entre parenthèses pendant tout le temps que dure la petite enfance. Pour ceux et celles qui ont un verre à moitié vide, c’est un message anxiogène, une démonstration de super-performance comme la société le demande de plus en plus, avec encore une fois, le risque de vouloir imposer aux autres femmes des retours plus rapides au monde du travail.

Pourtant, globalement, ces femmes envoient un message positif sur leur capacité à rebondir rapidement, montrer que la maternité n’est pas un enfermement est un message positif pour toutes celles qui souffrent dans le travail d’être mise à l’écart jusqu’à la ménopause, parce que toujours soupçonnées de pouvoir potentiellement s’éloigner de leur emploi en faveur de maternités.

Lydia Guirous :D'une manière générale exhiber sa vie, même la plus intime, au grand public, est à mon sens assez vulgaire et très puéril. Je crois qu'il ne faut pas y voir beaucoup plus en terme d'analyse que cela. C'est souvent un manque d'éducation et un problème psychologique d'estime et de confiance en soi qui poussent ces femmes à s'exhiber de la sorte. Le message qu'elles envoient n'est pas le bon. Il ne faut pas leur donner d'importance car ce sont souvent des filles sans éducation qui sont devenues star du jour au lendemain, malgré elles, ou par mariage, et qui ont construit leur personnalité et leur carrière uniquement autour de leur corps et du regard des autres.

Toutefois, un travail préventif doit être fait par les corps intermédiaires (gynécologues, médecins, presse féminine) auprès des futures mamans et rappeler qu'une femme prend du poids lors de sa grossesse et qu'il faut plusieurs mois pour perdre les kilos en trop, et que cela n'est pas le plus fondamental pour être heureuse.

Catherine Monnot :Par ce geste, ces femmes se réapproprient tout simplement leur corps, notamment sur le plan de la séduction. Simplement, elles le font plus rapidement que le reste de la population féminine, car leur corps est leur outil de travail. En cela, elles ne sont pas représentatives du reste des femmes, pas plus qu'elles ne l'étaient avant la maternité, avec leurs mensurations surréalistes. Pour autant, par le statut d’icônes et via le rouleau compresseur des médias de masse, ces mises en scène marginales du corps de la femme peuvent ébranler l'estime de soi de toute une population féminine qui vit déjà sous le diktat de la minceur. Aujourd'hui ce diktat parait prêt à les poursuivre jusque dans ce moment de la vie à part, où le corps de la femme était jusque là exonéré du devoir de séduire.

Les critiques dont elles font l'objet rappellent celles lancées contre Rachida Dati qui avait repris rapidement le chemin du gouvernement après son accouchement, ou de Marissa Mayer, la PDG de Yahoo, qui a fait construire en février une crèche près de son bureau pour pouvoir venir travailler avec son enfant. Pourquoi les mères sont-elles à ce point attaquées dès que leur comportement dénote ?

Sophie Bramly : Comme Rachida Dati, ces femmes sortent des normes du moment. Or, nous vivons une époque difficile et pleine d’incertitudes concernant l’avenir, par conséquent il est à la fois mal venu de se désolidariser des troupes, et insolent d’afficher autant de bonheur et d’épanouissement, de capacité à faire beaucoup. C’est une attitude tout à la fois conservatrice et compréhensible, on voudrait que une égalité en tous points. Mais les femmes dont la profession ne permet pas d’être salariée ou qui occupent de hauts postes savent bien que 10 semaines éloignées de leur travail est parfois difficile ou impossible.

Quelque soit la façon dont les femmes envisagent de faire, qu’elles soient conservatrices ou au contraire affranchies de toutes règles, elles sont de toute façon pointées du doigt : si elles prennent la totalité de leur congé maternité, on pense d’elles qu’elles n’ont pas d’ambition professionnelle, et si elles reprennent sans attendre le chemin du travail on leur fera des reproches similaires à ceux évoqués pour ces 3 femmes. Cela en dit long - du côté des hommes comme du côté des femmes - sur la difficulté qu’il y a encore a définir le droit dont les femmes disposent.

Lydia Guirous : Rachida Dati était une personnalité publique avec des responsabilités gouvernementales. Elle n'est pas représentative de la majorité des femmes et ne peut pas être associée non plus au cas de Gisele Bundchen et Caroline Berg Eriksen. Les responsabilités d'un Ministre ne sont pas celles d'un mannequin comme vous devez sans doute le savoir.

Ce qui excède les gens, c'est l'exhibitionnisme permanent de certaines personnes. Malheureusement, cela n'est pas près de s'arrêter, car il y a toute une économie perverse et mercantile encadrée par certains médias qui pousse à l'exhibitionnisme et au voyeurisme. Je crois que la question n'est pas uniquement celle de ces femmes qui mettent en scène leur grossesse et leur accouchement, elle est aussi une question de déontologie pour les journalistes. Autrement dit, les journalistes devraient se poser la question de leur rôle et de leur mission réelle d'information du public. Est-il important de relayer la photo de Caroline Berg Eriksen? Est-ce vraiment cela le journalisme? Est-ce une information intéressante pour les citoyens que nous sommes, surtout en période de crise? En tant que journaliste, dois-je me rendre complice de cette "grande internationale de beaufs", au point d'en devenir un moi-même ?

Catherine Monnot :Les critiques contre Rachida Dati étaient d'un autre ordre, liées à son activité professionnelle: en filigrane elle était accusée de délaisser son enfant au profit de sa réussite personnelle. Il existe cependant un point commun concernant ces critiques: la jeune mère doit montrer qu'elle se concentre exclusivement sur son enfant, qu'elle lui est dévouée au point de s'avoir s'oublier elle-même (physiquement et professionnellement). Evidemment les messages sont ambivalents, car à cette norme de la bonne maternité répondent les articles de la presse féminine qui explique qu'il faut rapidement retrouver la ligne après l'accouchement, et retrouver une sexualité normale au plus vite; sans compter les messages issus du monde professionnel qui font peser une certaine pression sur les épaules des mères facilement suspectées de faire passer leur vie de famille avant leur travail. Et les femmes doivent composer avec toutes ces injonctions contradictoire

Une mère est-elle une femme comme une autre ?

Sophie Bramly : Il m’est impossible de répondre par un oui ou un non, car il existe une multitude de façons d’être femme et d’être mère. Pas plus que les hommes les femmes ne sont égales entre elles, ni ne partagent les mêmes désirs. On ne peut pas comparer une femme pour qui faire des enfants est l’accomplissement majeur de leurs vies et celles pour qui c’est une réalisation parmi d’autres. On ne peut pas non plus attendre qu’une femme très épanouie dans son travail ait le même comportement vis-à-vis de la maternité qu’une femme en situation de souffrance, ou tout simplement d’ennui. Enfin toutes les femmes n’ont pas le même corps ni ne font les enfants au même âge, et pour celles qui en font plusieurs, elles n’ont pas le même comportement au premier (où l’inexpérience règne) qu’au dernier (où elle peut être plus sereine). Cet ensemble de facteurs différenciants ne me permet pas de répondre de façon tranchée à votre question.

Lydia Guirous :Bien sûr. Distinguer la mère de la femme relève d'une certaine forme d'archaïsme. C'est aussi ridicule que de distinguer le père de l'homme.

Il n'y a aucune sacralisation à faire autour de la grossesse, de l'accouchement et de l'enfant. Il faut arrêter avec cette image d'Epinal du ventre sacré de la mère qui relève plus du mythe et de l'obscurantisme que de la réalité. La réalité c'est que les mères sont des "citoyens" comme les autres. A ce titre, elles disposent d'une liberté d'expression, mais également d'un droit au respect de leur vie privée et aussi un droit de disposer de leur corps.

Catherine Monnot :Au final, l'inconscient collectif exige qu'une mère ne soit pas une femme comme les autres, en ce qu'elle doit au final pouvoir tout sacrifier à ses enfants. En même temps, dans une sorte de schizophrénie sociale, d'autres messages parviennent aux oreilles des femmes qui s'entendent dire qu'elles doivent aussi être de bonnes épouses, amantes, professionnelles, etc. Le cahier des charge est difficile à tenir...

Jusqu'à quel point une mère peut-elle agir individuellement sans que son comportement ne perturbe l'image que se fait la société d'une maman ?

Sophie Bramly : J’aimerais vous répondre par une autre question : jusqu’à quel point la société sait-elle mieux qu’une mère comment se comporter avec son enfant ? Le comportement des individus évolue plus vite que les normes sociales et le législateur. Ce sont souvent des individus plus en avance ou intuitifs que les autres qui changent les idées d’une époque. Dans le cas de l’enfance, on voit bien par exemple comme il y a eu un avant et un après Dolto, dorénavant on lui parle et on lui parle tant que son développement est spectaculaire par rapport à ce qu’il pouvait être il y a à peine 50 ans.

Une mère qui propose des façons de faire qui sortent des modèles en vigueur peut tout simplement ouvrir la porte à de nouveaux modèles pour d’autres. J’ai envie de croire que nous vivons une époque où l’on dispose d’une pluralité de modèles, et du droit d’expérimenter, quitte à devoir supporter quelques critiques en haussant les épaules…

Lydia Guirous : Votre question part du principe que la société se fait une image bien précise de ce qu'est une mère... Or cela n'est qu'une opinion, la vôtre sans doute. A ce titre, elle doit être prise en considération, mais ne peut constituer une vérité. La religion se fait une image de la mère, la science se fait une image de la mère, les enfants se font une image de la mère, les mères entre elles... Bref, tout le monde se fait sa propre représentation de ce qu'est une mère et ces représentations sont toutes différentes. Penser qu'il n'existe qu'une seule représentation de la mère relève d'un dogmatisme que je ne partage pas.

Encore une fois une mère est un "citoyen" comme les autres avec des droits et des devoirs...au même titre que les pères et les hommes, n'est-ce pas? Elles peuvent donc aller où elles veulent et faire ce qu'elles veulent dans le respect des lois de la République.

Catherine Monnot :La marge de manœuvre est mince pour les mères qui sont condamnées à l'insatisfaction permanente: lorsqu'elles ont un enfant comme la société les y pousse, elles prennent 15 ou 20 kilos et ne répondent plus aux critères de beauté imposés par les médias; lorsqu'elles s'occupent de leur enfant malade, elles s'absentent du travail; lorsqu'elles ont une promotion elles doivent se décharger sur une nounou et/ou leur conjoint... Ce genre de paradoxes peut être décliné à l'infini et participe aux problèmes d'estime de soi de beaucoup de femmes..

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