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Comment reconnaître les amis qui vous détestent en secret (et vaut-il mieux les garder ou s'en débarrasser) ?
©Reuters

Divorce à l'amiable

Vaut-il mieux avoir de faux-amis que pas du tout ? A l'heure des réseaux sociaux, qui instaurent une course au nombre d'"amis", la question est plus que jamais d'actualité.

Michel Grossetti

Michel Grossetti

Michel Grossetti est sociologue , directeur de recherche au CNRS. Il est membre du LISST (Laboratoire Interdisciplinaire, Solidarités, Sociétés, Territoires).

Il a notamment publié, avec Claire Bidart et Alain Degenne, La vie en réseau. Dynamique des relations sociales (Presses Universitaires de France, 2011).

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Atlantico : Dans un article intitulé Le dilemme de la solitude : vaut-il mieux avoir de faux-amis (frenemies) ou pas d’ami du tout ?, la scénariste Lauren Martin tient un discours désillusionné sur les relations humaines, faisant l’apologie de la solitude sur les relations qui, selon elle, sont souvent prétendument amicales, notamment à l’époque de la vingtaine. A choisir entre des « amis » prêts à nous abandonner à tout moment et pas d’ami du tout, quelle est la moins mauvaise option ? Pourquoi ?

Michel Grossetti : Commençons peut-être par la question de la solitude. De nombreuses études sur les relations sociales (en général) mettent en évidence que celles-ci sont plutôt bénéfiques : elles permettent de surmonter plus facilement les difficultés de l’existence (problèmes de santé, séparations, deuils, etc.), elles aident pour différents aspects de la vie sociale comme trouver du travail par exemple. L’isolement est plutôt associé à des situations socialement difficiles et à des formes de souffrance. Si l’on suit ces travaux (tous convergents), l’isolement ne semble pas préférable à l’entretien de liens sociaux. Peut-être vaut-il mieux être mal entouré que seul …

Venons-en à l’amitié. Les travaux de sciences sociales sur l’amitié (voir entre autres l’excellent ouvrage de Claire Bidart, L’amitié, un lien social) montrent que ce qu’on appelle « ami » peut varier selon les contextes historiques, nationaux, ou sociaux. Ces études montrent également que le nombre de personnes à qui l’on se sent prêt à confier des choses graves est extrêmement restreint (moins de cinq) et que ce nombre pourrait bien diminuer dans la période actuelle. Nous appelons « amis » bien plus de personnes que cela, ce qui inclut des relations d’intensité très variable.

Par ailleurs, comme les autres relations sociales, celles qui suscitent le qualificatif « ami », sont complexes et ne sont pas réductibles à un engagement spécifique vis-à-vis de l’autre personne, hors de tout contexte collectif. Elles incorporent des effets de réseau (on est parfois « ami » surtout parce qu’on a des amis communs) et d’appartenance à des collectifs (on est « ami » parce qu’on est membre d’un même groupe de sociabilité). Surtout, là encore comme les autres relations, les relations d’amitié ne sont jamais dénuées d’ambiguïté : elles peuvent inclure aussi bien de l’engagement affectif que de la rivalité, de la confiance aussi bien que de la méfiance, de la sympathie « pure » autant que de l’intérêt bien compris. Lauren Martin a peut-être découvert à se dépens, à l’occasion de situations pénibles qu’elle a vécues, que les relations sociales ne peuvent pas se ramener à une logique binaire : « ami » ou « non ami ».

Le discours peu réjouissant de Lauren Martin est-il déterminé en partie par la conception qu’ont les Américains de l’amitié ? Américains et Français désignent-ils par le terme ami/friend exactement les mêmes personnes ?

Des études ont montré que les Américains désignent assez souvent des personnes qu’ils connaissent comme des « amis ». Ils utilisent un peu plus facilement ce qualificatif que les Britanniques par exemple, ou plus généralement les Européens. Si toutefois on se retreint aux personnes qui sont désignées comme « amis » sans autre qualificatif (« collègue », « voisin », etc.), ces différences s’estompent. La sociologue Ainhoa de Federico a compilé plusieurs études et montré que, pour ce qui concerne les caractéristiques des « réseaux personnels » (les 20 ou 30 personnes de notre entourage ordinaire), la France et les Etats-Unis ont plutôt des caractéristiques proches.

Une application Facebook, HateWithFriends.com, permet de dire lesquels de ses « amis » sur le réseau social on déteste. Si une des personnes haïes utilise la même application et que le sentiment d’hostilité est mutuel, le site informe alors les deux « frenemies », qui peuvent décider de ne plus être amis sur Facebook. Les réseaux sociaux ont-ils redéfini la notion d’amitié, ou bien ont-ils fait complètement perdre tout repère en la matière ? Qu’est-ce que l’amitié à l’ère de Facebook ?

Sur Facebook, on ne dispose que du qualificatif d’« ami » pour désigner une relation entre deux personnes, ou même un lien entre une personne et une organisation (je suis ainsi « ami » avec une revue scientifique par exemple). Cela produit une sorte de dilution de la notion d’amitié, qui existe pourtant depuis l’Antiquité (voir les travaux de l’historienne Anne Vincent-Buffault). Par ailleurs, Facebook, comme d’autres sites de sociabilité en ligne, encourage ses utilisateurs à ajouter sans cesse de nouveaux « amis », entretenant ainsi une sorte de compétition, notamment chez les jeunes : avoir beaucoup d’« amis » sur ce site est en général valorisé. En revanche, rien ne pousse les utilisateurs à supprimer des « amis », même s’ils n’interagissent plus guère avec certains (ou n’ont jamais beaucoup interagi d’ailleurs).

Les études sociologiques montrent que les relations sociales se renouvellent fortement au cours de la vie. Le principal mécanisme qui font que les relations « s’endorment » ou disparaissent n’est pas le conflit explicite (qui existe mais n’est pas si fréquent), mais plus simplement l’éloignement géographique ou social et la raréfaction des échanges (« on ne se voit plus, je ne sais pas pourquoi, c’est la vie »). La fonction introduite par ce site formalise les situations de conflit ou d’antipathie. Le risque est naturellement de dramatiser des ruptures relationnelles qui pourraient autrement s’effectuer « en douceur » par la raréfaction des échanges. L’ambiguïté des relations est essentielle à leur existence. Quels que soient les efforts pour « équiper » et formaliser les liens, cette ambiguïté se recréera toujours.

L’amitié est une chose plus vécue que théorisée ; on ne prend pas forcément le temps de s’interroger dessus : est-ce à dire que l’amitié entre deux personnes va davantage de soi, est plus « naturelle » que la vie amoureuse en couple, qui elle, suppose de formuler des aspirations et des engagements explicites ?

Les humains ont toujours entretenus des liens sociaux. Très tôt dans l’histoire, ils ont trouvé des termes (la « philia » des grecs, l’« amicitia » des romains) pour désigner un type de relation impliquant un engagement affectif dirigé vers une personne particulière, différent de l’attirance sexuelle (« éros » des grecs) ou de l’amour des autres en général (« agapè »). Au fil de l’histoire le mot français « amitié » a désigné des situations variables, mais comportant en général cette dimension d’engagement affectif réciproque. Il est vrai que ces relations sont peu formalisées. Même si la vie amoureuse ne donne pas toujours lieu à une explicitation aussi systématique que vous ne le suggérez (là aussi, l’ambiguïté est très présente), elle est plus fréquemment formalisée que les relations amicales. A certaines époques toutefois (au XIVe siècle par exemple), ce type de relation pouvait être partiellement formalisé par les liens de parrainage et commérage. Peut-être pourrait-on dire que, d’une certaine façon, les sites de sociabilité recréent des formalisations analogues ?

Comment reconnaître les "amis" qui vous détestent en secret ?

En mourant et en observant qui se réjouit de l’événement ! Plus sérieusement, peut-être vaut-il mieux ne pas chercher à savoir …

A-t-on intérêt à totalement couper les ponts avec eux ou bien au contraire, au nom de l'importance du lien social, à continuer de les fréquenter ?

Tout dépend de ce que l’on considère comme son intérêt. Au-delà de ces considérations utilitaristes, il faut peut-être se dire que l’on peut détester quelqu’un (en secret ou non) dans une période donnée, puis l’apprécier à nouveau dans une autre période. Les sentiments humains ne sont pas figés pour l’éternité…

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