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Voitures en location, partage ou libre service : ce que la fin de la love story des Français avec leurs autos dit de la société de consommation
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Dans ma Benz

Très critiqué au moment de sa mise en place, le système parisien de bornes de location de voitures autolib' fête ses deux ans. Une initiative dont le succès, loin d'être anodin, traduit la fin d'une époque.

Hervé Leridon

Hervé Leridon

Hervé Leridon est notamment consultant pour Catram. Il a travaillé dans différents domaines, tant dans le secteur privé que dans le secteur public, avant de se spécialiser plus particulièrement dans les domaines du transport, de l’énergie et du tourisme, où il réalise notamment des études de faisabilité de projets, de schémas directeurs, d'évaluation socio-économiques et d’autres types d’intervention.

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Atlantico : Le concept Autolib', bien que très critiqué par certains à ses débuts semble avoir trouvé sa place dans la vie des Parisiens, au point que certaines villes, y compris à l’étranger son séduites par le concept. Qu'est-ce que cela traduit de la place de la voiture dans la société française ? Comment est-elle passée du statut de bien indispensable à celui de service comme un autre ?

Hervé Léridon : La place de la voiture dans la société a subi une mutation évidente depuis les "Trente glorieuses". D’objet de désir et signe extérieur de réussite sociale, elle est devenue pour beaucoup davantage un objet utilitaire dont on attend avant tout qu’il soit pratique et pas trop cher, crise économique oblige. Le succès de la Logan illustre bien cette tendance. Par ailleurs, la multiplication des formules de covoiturage et d’autopartage – comme Autolib’, un pionnier dans ce domaine – qui s’ajoutent aux formules de location plus classiques, montre aussi que l’automobiliste ne tient plus nécessairement à être propriétaire de la voiture qu’il utilise. On est bien dans "l’âge de l’accès" qu’a décrit Jeremy Rifkin dans un de ses ouvrages.  

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Que dit l'évolution du statut de la voiture de l'évolution de la société de consommation ?

Comme je l’ai dit, les mentalités évoluent. On peut imaginer qu’un jour les constructeurs deviennent des "prestataires de mobilité" en fournissant à leurs clients des solutions de mobilité incluant le véhicule le mieux adapté à chaque usage (trajets domicile-travail, achats, loisirs…), et le mode de financement préféré : achat, location de longue durée ou de courte durée, etc. Avec des forfaits incluant l’entretien, le prêt d’un autre véhicule pour le week-end, et d’autres services, notamment d’information et de guidage.  

Peut-on parler de la fin de l'histoire d'amour entre les Français et l'automobile ? Comment expliquer cela ?

Pour autant, la voiture n’a pas totalement cessé d’exercer son pouvoir de séduction sur les Français. Les foules qui se pressent au Mondial de l’automobile et aux manifestations de voiture vintage telles que Rétromobile montrent bien cette nostalgie pour une époque où l’on pouvait prendre la route sans se préoccuper des radars ni des nombreuses contraintes qui brident aujourd’hui l’usage de l’automobile, surtout en ville. Et les constructeurs font tout pour maintenir le rêve, même s’ils sont obligés en même temps de se plier à des normes environnementales de plus en plus strictes. Leurs publicités ne peuvent plus évoquer la puissance ou la vitesse de leurs voitures, alors ils multiplient les équipements à bord, certains destinés à améliorer la sécurité, et d’autres d’une utilité parfois plus discutable destinés principalement à accroître le plaisir du conducteur et de ses passagers.    

L'automobile est-elle en fait devenue un produit de luxe ? Quelque chose de superflu ?

L’automobile est au contraire devenue un bien de plus en plus accessible, tant en France que partout ailleurs dans le monde. Il y a déjà un milliard de voitures qui roulent à la surface de notre planète, et ce chiffre augmente rapidement, notamment dans les pays émergents comme la Chine et l’Inde. Bien entendu, cette croissance accélérée n’est pas sans poser de sérieux problèmes pour l’environnement, comme on le constate dans les grandes mégalopoles chinoises, bien que pour celles-ci l’automobile n’est pas seule en cause.

Par ailleurs, depuis des décennies toute l’urbanisation a été conçue autour de l’automobile. Les grands centres commerciaux à la périphérie des villes ne sont pratiquement pas accessibles autrement qu’en voiture. Il en est de même de beaucoup de lotissements construits à la campagne qui ont donné lieu au phénomène de "rurbanisation" bien connu. Hors de question de se passer de voiture dans ces nouveaux quartiers souvent très mal desservis par les transports en commun ! Pour leurs habitants, l’automobile n’a hélas rien de superflu, et il en faut même plusieurs pour chaque famille.

La perception de l'automobile est-elle homogène dans notre pays ? Existe-t-il des différences provinces/grandes villes et/ou entre les classes sociales ?

Il est clair qu’il est plus facile de se passer de voiture quand on habite au centre d’une grande ville, a fortiori Paris qui offre un réseau très dense de transports collectifs de toutes sortes, que quand on habite à la campagne ou même dans une petite ville. La perception de l’automobile va donc nécessairement refléter cette réalité. Par contre, la distinction d’autrefois entre les riches qui roulent dans des "grosses voitures" et les pauvres qui roulent dans des petites voitures – quand ils peuvent s’en offrir une – est moins nette aujourd’hui, car aux critères financiers s’ajoutent aussi des critères d’ordre plus culturel. Les classes aisées, un peu blasées, ont cessé de considérer la voiture comme le symbole suprême de la réussite sociale ; tandis qu’au contraire ceci reste davantage vrai pour les classes sociales plus modestes qui vont consentir des sacrifices financiers plus importants pour accéder au Graal de la luxueuse berline allemande. Une tendance qu’un écrivain nigérian a bien résumé en intitulant un de ses romans "Ma Mercedes est plus grosse que la tienne".

Comment l'évolution du rapport aux véhicules personnels influence-t-elle celle des transports en communs ? Peut-on imaginer une société qui ne repose que sur ces derniers ?

Dans les grandes villes, c’est le principe de réalisme qui l’emporte pour les liaisons domicile-travail, les plus importantes en semaine. Chacun choisit son mode de transport en fonction des temps de trajet respectifs et des divers aléas qui pèsent sur chacun d’eux. En principe, une personne qui habite en banlieue et qui travaille en centre-ville choisira plutôt les transports en commun pour éviter les embouteillages et les problèmes de stationnement. Mais autant les transports collectifs sont en général assez bien adaptés aux besoins pour les trajets radiaux banlieue-centre-ville, autant ils le sont beaucoup moins pour les trajets périphériques de banlieue à banlieue. Et cela va rester vrai longtemps, car pour des raisons financières évidentes on n’aura jamais un maillage de transports en commun adapté aux besoins très divers de chacun. 

Propos recueillis par Jean-Baptiste Bonaventure

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